Apprenons le rap

« Commencement de la bonne nouvelle (l’évangile) de Jésus, Christ, Fils de Dieu ». Frères et sœurs, la venue du Sauveur parmi nous est-elle vraiment la bonne nouvelle par excellence pour nous ? Alors que les medias nous annoncent chaque jour tant de mauvaises nouvelles (la pandémie, les violences, les guerres, etc.), nous avons reçu la grâce immense de croire que parmi nous est présent Jésus (« Dieu sauve »), Christ (« celui qui est oint » i.e. rempli de l’Esprit Saint), le Fils de Dieu. Mais tout comme il est possible que les bonnes nouvelles que nous apprenons quotidiennement ne fassent que nous effleurer (nous avons tendance à voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein), la venue parmi nous de Jésus Christ peut ne rien changer dans nos vies. Pour qu’elle nous transforme, nous devons accepter de nous convertir : « Dieu nous a créés sans nous, mais Il ne veut pas nous sauver sans nous » (saint Augustin). Pourquoi nous convertir ? Parce que le Seigneur, qui vient à nous sans cesse, trouve parfois sur le chemin de nos cœurs des obstacles qui nous empêchent de vraiment l’accueillir : les montagnes de nos orgueils, les collines de nos vanités, les ravins de nos manques d’amour, les passages tortueux de nos vices (cf 1° lect.) C’est pourquoi l’Avent, comme le Carême, est un temps de pénitence, ce qui n’empêche pas la joie, bien au contraire (comme nous le verrons dimanche prochain). Pour nous aider à nous convertir, dans ces deux périodes centrales de l’année liturgique, l’Eglise nous invite à nous inspirer de Jean le Baptiste. Aujourd’hui, il peut nous apprendre le rap : non pas le rythm and poetry (la musique de loin la plus populaire en France ces dernières années[i]), mais le recueillement, l’abandon et la patience.

 

Pour commencer, nous devons apprendre le recueillement. C’est la raison pour laquelle Dieu nous attire au désert, là où il n’y a RIEN, et où on peut donc trouver le TOUT. Là, les repères habituels disparaissent, et il n’y a pas de tentation et de fuite possibles. Par le prophète Osée, comparant son peuple à sa fiancée, le Seigneur déclare : « je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. » (Os 2,16) Les patriarches ont tous dû traverser le désert ; Israël a même dû y rester 40 ans. Et Isaïe exhorte son peuple : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur. » (1° lect.)

De même, c’est dans le désert que Jean prêche et baptise. Vêtu de poils de chameau comme le prophète Elie, il reprend sa mission d’appel à la conversion : renoncez à vos idoles, et choisissez le vrai Dieu ! Et son message est bien accueilli par un peuple qui désire ardemment la venue du Messie, puisque « toute la Judée, tout Jérusalem » viennent à lui.

Le Christ, lui aussi, partait régulièrement à l’écart, et pas seulement pendant les 40 jours où il fut tenté par Satan. Il enseigna à ses disciples à faire de même lorsqu’au retour de leur première mission, il leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu.» (Mc 6, 31)

Et pour nous, que signifie partir au désert ? Cela signifie d’abord partir de temps en temps loin de la capitale, dans des lieux moins agités où nous pouvons prendre plus de recul. C’est particulièrement le cas si nous décidons de prendre un temps de retraite. Tous les grands témoins de l’évangile connaissent la valeur de ces moments privilégiés de cœur à cœur avec Dieu. Mais ce type de retraite, aussi bénéfique soit-il, ne suffit pas : c’est chaque jour qu’il nous faut partir au désert, en prenant un temps d’intimité avec le Seigneur, que ce soit dans notre chambre, dans une église ou ailleurs.

 

Une fois au désert, que faire pour nous convertir ? Rien, ou plutôt : nous laisser faire, nous laisser transformer par le Seigneur lui-même. Cela signifie que nous devons apprendre l’abandon. Ce n’est pas à la force du poignet qu’on devient saint, mais en s’abandonnant à la grâce divine, infiniment plus efficace. C’est ce que saint Jean Baptiste exprime, lorsqu’il proclame que son action est insuffisante : « Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de me courber à ses pieds pour défaire la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés dans l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. » (év.) Sans l’Esprit Saint, qui agit en union parfaite avec le Fils de Dieu, même un cœur parfaitement contrit par la pénitence ne peut se convertir. La petite Thérèse l’avait compris elle aussi, alors qu’elle se désespérait de ne pouvoir imiter les grands saints à qui elle rêvait de ressembler. Pour parvenir au sommet de la sainteté, elle ne grimperait pas par ses propres forces, mais elle se laisserait élever par les bras de Jésus, comme dans un ascenseur.

L’abandon s’accompagne souvent d’incompréhension, lorsque le Seigneur nous déroute : « mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins » (Is 55,8) Comme dit un proverbe portugais, « Dieu écrit droit avec des lignes courbes ». Il nous faut donc apprendre à renoncer parfois à nos projets, pour suivre ceux du Seigneur. C’est ce que Jean a fait, lorsqu’il a accepté de baptiser Jésus, alors qu’il considérait que c’était Jésus qui aurait dû le baptiser.

 

Pour nous convertir, le recueillement et l’abandon sont nécessaires, mais pas suffisants : nous devons aussi apprendre la patience. «  L’amour prend patience […] il supporte tout, il espère tout, il endure tout. » (1 Co 13,4.7) Dans notre société qui voue un culte à la rapidité, nous sommes souvent trop pressés. Alors, le Seigneur nous appelle non seulement à l’abandon, mais aussi à la patience : « pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion. » (2° lect.). Et saint Pierre ajoute cette parole extraordinaire : « vous voyez quels hommes vous devez être, en vivant dans la sainteté et la piété, vous qui attendez, vous qui hâtez l’avènement du jour de Dieu ». Nous pouvons donc hâter la venue du Règne de Dieu ! Et donc aussi la retarder… C’est pourquoi notre conversion n’est pas un choix uniquement personnel, elle est une urgence pour le bien de tous. Patience et urgence, paradoxalement, vont de pair. C’est aujourd’hui, maintenant, que nous devons nous convertir.

Jean a dû lui aussi faire preuve de patience. Alors qu’il espérait que le Messie allait couper et jeter au feu les arbres qui ne portaient pas de fruit (cf Mt 3,10), Jésus laisse le mal subsister… Dans sa prison, Jean lui fait demander : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11,3) Et Jésus lui répond qu’il est bien le Messie. Ce n’est que lors de son retour dans la gloire que le mal disparaîtra de la face de la terre. Dans l’attente de ce jour où il y aura « un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice », nous devons faire tout pour qu’il nous trouve « nets et irréprochables, dans la paix. » (2° lect.)

 

Ainsi, frères et sœurs, convertissons-nous en devenant de bons rappeurs. Apprenons à nous recueillir, à nous abandonner à la volonté divine, et à être patients. Cette semaine, pourquoi ne pas prendre chaque jour un temps de prière, qui nous aidera à mettre en pratique ces trois invitations ?

P. Arnaud

[i] Les 10 artistes les plus écoutés en France sur Spotify de la décennie 2010-2019 sont tous des rappeurs.