Venez à moi, vous tous qui peinez

Frères et sœurs, comment trouver le vrai repos ? L’été est un temps propice pour le repos. Re poser le corps, l’esprit, l’âme… Nous le recherchons sans doute d’autant plus en cette année qui a été marquée par les épreuves (grève des gilets jaunes, pandémie de coronavirus…) Mais par expérience, nous savons que nous ne trouvons pas toujours ce repos que nous désirons. Selon une étude récente, 3 millions d’actifs seraient à la limite du burnout en France. Nous confondons parfois le repos avec le laisser-aller, l’oisiveté, le divertissement… Le vrai repos nous est donné par le Seigneur.  Il nous appelle : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. »  Cette exhortation, Jésus la prononce alors que lui-même pourrait ployer sous le fardeau de « l’échec » dans son ministère : il vient de comparer ses contemporains à des « gamins » qui ont rejeté aussi bien Jean comme un « possédé » que lui-même comme « un glouton et un ivrogne » (Mt 11,16-19), et il a fait « des reproches aux villes où avaient eu lieu la plupart de ses miracles, parce qu’elles ne s’étaient pas converties » (Mt 11,20)… Mais loin de se décourager, il exulte sous l’action de l’Esprit Saint (Luc nous le révèle dans le passage correspondant) et se tourne vers Dieu, qu’il appelle « Père, Seigneur du ciel et de la terre ». Dans cette expression apparaissent d’ailleurs les deux premiers dons de l’Esprit: la crainte, qui nous permet de reconnaître la toute-puissance du Créateur, « Seigneur du ciel et de la terre », et la piété, grâce à laquelle nous nous abandonnons avec confiance entre ses bras, comme dans ceux d‘un père. Alors que Jésus pourrait être accablé par les difficultés de sa mission, il se tourne dans l’Esprit vers son Père (« je proclame ta louange ») et vers ses frères, particulièrement ceux qui peinent sous le poids du fardeau. Parfois, en ce moment peut-être, nous en faisons partie. Alors, écoutons Jésus, qui nous livre les 2 secrets du repos : l’humilité – fondement de la vie spirituelle, et la charité – son sommet.

 

Le premier secret du repos est l’humilité: « ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (nepiois, mot à mot les petits enfants). Cette exclamation correspond parfaitement à la première béatitude : « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3) Alors que le sage et le savant se fient à leur propre sagesse et savoir, le tout-petit ne se fie qu’à Dieu. C’est pourquoi Jésus dira également à propos des enfants : « le Royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent » (Mt 19,14). Un petit enfant, s’il ne faisait pas confiance à ses parents, ne pourrait pas grandir. C’est le drame des pharisiens et des scribes : parce qu’ils se considèrent comme sages et savants, ils refusent de se laisser guider par un pauvre charpentier d’une bourgade de Galilée. Les mages, au contraire, se prosternent devant le petit enfant de la crèche, sans se laisser aveugler par l’orgueil. Les premiers vivent sous l’emprise de la chair, alors que les seconds vivent sous l’emprise de l’Esprit (cf 2° lect.). Avant eux, l’Ancient Testament nous offre plusieurs exemples d’humilité. Le plus beau est sans doute celui de Moïse, qualifié « d’homme le plus humble que la terre ait porté. » (Nb 12,3) Son handicap (le bégaiement sans doute) l’a porté à reconnaître qu’il avait besoin des autres, en particulier de son frère Aaron, son porte-parole. Lorsque celui-ci et sa sœur Myriam le jalousent, il ne leur en tient pas rancune. Lorsque Eldad et Medad s’éloignent du camp et reçoivent malgré tout l’Esprit comme les autres anciens, lui-même n’éprouve aucune jalousie et désire au contraire que le Seigneur fasse de tout son peuple un peuple de prophètes (Nb 11,28‑29)[i] Le prophète Zacharie avait bien compris la force de l’humilité en annonçant que le Messie viendrait « pauvre et monté sur un âne » (1° lect.) et non sur un char comme les rois de la terre, ce qui adviendra lors de l’entrée de Jésus à Jérusalem.

Aux tout-petits, qui attendent tout de Lui, Dieu se révèle. Autrement dit, ce qui a été caché aux sages et aux savants, les tout-petits l’ont reconnu grâce au Père, qui l’a voulu ainsi dans sa bonté[ii] . Qu’ont-ils reconnu ? Que Jésus est le Fils de Dieu, qu’il existe un lien unique entre lui et son Père : « Tout m’a été confié par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. » Jésus est le Tout-Petit par excellence, qui reçoit TOUT de son Père, grâce à l’Esprit Saint, le Père des Pauvres (cf le Veni  Sancte Spiritus)

 

Le second secret du repos est la charité : « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. » Pour les hommes et femmes du XXI° siècle que nous sommes, cette image peut sembler soit opaque – parce que nous ne connaissons pas le monde rural, soit choquante -parce qu’un joug nous suggère l’esclavage[iii]. En réalité, le joug est une des plus grandes inventions de l’humanité, au même titre que la roue. Dans l’Antiquité, Bouzigès imagina de dompter et d’atteler deux taureaux ensemble. Ainsi, la force de ces derniers, au lieu d’être destructrice, devient féconde. Il faut savoir que dans un attelage, un des deux animaux (normalement des bœufs) dirige, tandis que l’autre se laisse guider. Le mot yoga est issu de la même racine, yug en indo-européen. Par lui, ses pratiquants cherchent à atteindre l’harmonie intérieure, grâce à une discipline physique et mentale rigoureuse.

Que pouvons-nous déduire de cette image ? Le Christ nous propose de le laisser guider notre vie, au lieu de nous abandonner à notre nature laissée à elle-même, qui ne tend vers rien de constructif. Par nos seuls instincts, nous ressemblons à des animaux sauvages, vivant pour eux-mêmes et parfois destructeurs. Sous le joug du Christ, au contraire, notre vie s’humanise et nous devenons – paradoxalement – de plus en plus libres. En effet, son joug est facile à porter, et son fardeau, léger. Pourquoi ? Parce que le Christ est « doux et humble de cœur ». Non seulement il ne nous tente jamais au-delà de nos forces (cf 1Co 10,13), mais ses commandements sont aussi doux que lui[iv].

Quel est ce joug que le Christ nous propose de porter avec lui ? Pour le connaître, il suffit de relire tous les commandements des 4 évangiles. Mais ils peuvent être résumés en un seul : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,12). Le joug du Christ est celui de l’amour, à la fois pour Dieu, pour mon prochain et pour moi-même.  Saint Jean écrit dans sa première lettre : « l’amour de Dieu, c’est cela : garder ses commandements. Ses commandements ne sont pas un fardeau, puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Et ce qui nous a fait vaincre le monde, c’est notre foi.   (1 Jn 5,3‑5) La foi n’est donc pas le pesant fardeau qu’imaginent certains, elle nous donne au contraire des ailes, comme l’avait dit Benoît XVI aux jeunes lors des JMJ de Cologne.

 

Ainsi, frères et sœurs, le véritable repos nous est donné par le Christ et se trouve dans l’humilité et le commandement de l’amour. Sainte Thérèse de Lisieux l’a compris, elle qui a suivi la voie de l’enfance spirituelle et qui a écrit : « dans le cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’amour ». C’est d’ailleurs pour cette raison que, le jour de sa fête (le 1er octobre), on entend le même évangile que ce dimanche. La crise des gilets jaunes a révélé crûment que nos contemporains veulent des dirigeants humbles et au service du bien commun. L’histoire montre qu’ils ont raison car c’est ce qu’ont été les saints mais aussi les grands dirigeants tels que le roi saint Louis, Gandhi, Nelson Mandela… Grâce à leur humilité et leur charité, ces hommes ont été capables de s’adapter au réel et aussi de le transformer (cf Paul qui écrit «  ­je peux tout en celui qui me donne la force » -Ph 4,13[v]). Pendant cet été, suivons nous-aussi cette double voie. Ainsi, nous goûterons le vrai repos, et nous referons nos forces pour poursuivre notre chemin dans la paix et dans la joie, en exultant parfois comme le Christ sous l’action de l’Esprit Saint.

[i] De même, le roi David en fuite devant son fils Absalom. Alors que Abishaï veut tuer Shimeï qui lui lance des pierres, David lui répond : « Même celui qui est mon propre fils s’attaque à ma vie : à plus forte raison ce descendant de Benjamin ! Laissez-le maudire, si le Seigneur le lui a ordonné. Peut-être que le Seigneur considérera ma misère et me rendra le bonheur au lieu de sa malédiction d’aujourd’hui. » (2 S 16,11 12)

[ii] Peut-être sommes-nous choqués par l’idée que Dieu cache à certains ce qu’il révèle à d’autres ; il s’agit là d’une image très fréquente dans l’Ancien Testament, où l’on considère que toute réalité est entre les mains de Dieu : c’est ainsi, par exemple, qu’Il « endurcit le cœur de Pharaon » (Ex 9,12) ; mais la toute-puissance de Dieu n’exclue pas la liberté de l’homme, puisqu’il est écrit auparavant que « Pharaon endurcit son cœur » (Ex 8,11).

[iii] Ainsi, au IVe siècle av. JC, 40.000 soldats romains passèrent sous le joug  des Samnites après leur défaite aux Fourches Caudines.

[iv] Nous pouvons lui faire confiance et cultiver la sainte indifférence chère à St Ignace : « L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme, et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé. D’où il suit que l’homme doit user de ces choses dans la mesure où elles l’aident pour sa fin et qu’il doit s’en dégager dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle à cette fin. Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre et qui ne lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste, mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés. »   Principe et Fondement, Ignace de Loyola, 1491-1156

[v] « ­12 Je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance. J’ai été formé à tout et pour tout : à être rassasié et à souffrir la faim, à être dans l’abondance et dans les privations. ­13 Je peux tout en celui qui me donne la force. » (Ph 4, 12‑13)