Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu

Frères et sœurs, rendons-nous à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ? Cette parole du Christ est tellement célèbre qu’elle est devenue une expression populaire, souvent tronquée de sa seconde partie. En France, elle est aussi invoquée pour légitimer la loi de 1905 qui a séparé l’Eglise et l’Etat. Jésus la prononce alors que les Pharisiens  cherchent à le prendre au piège à l’aide de leurs ennemis politiques, les partisans d’Hérode qui collaborent avec le pouvoir romain grâce à qui leur chef est sur le trône. Après l’avoir flatté de façon hypocrite pour éviter qu’il ne mente comme eux (« Maître, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu … »), ils lui posent la question grâce à laquelle ils espèrent le faire chuter : « Donne-nous ton avis : est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? » Si Jésus répond négativement, il pourra être dénoncé comme un fauteur de trouble à la pax romana et dénoncé par les Hérodiens qui collaborent avec l’occupant; s’il répond positivement, il sera considéré lui-même comme un collaborateur, et même comme un idolâtre (puisque l’empereur demandait à être vénéré comme un dieu), et ce seront les Pharisiens qui auront beau jeu de lui faire perdre son crédit auprès du peuple. La réponse de Jésus est géniale. Certes, il invite à bien distinguer les domaines politique et religieux, mais sans les séparer radicalement. Car il y a une hiérarchie, et nous devons infiniment plus à Dieu qu’à César. Le second tient son pouvoir du premier, comme Jésus le dira à Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut.» (Jn 19,11) Cherchons donc à comprendre ce que signifie d’abord rendre à César ce qui est à César et ensuite, rendre à Dieu ce qui est à Dieu.

 

Rendez à César ce qui est à César. Le Christ nous appelle d’abord à respecter les autorités politiques, et donc à payer l’impôt. Elles remplissent une mission fondamentale pour la société, qui est de préserver la paix et de faciliter la vie commune. Saint Paul l’écrit aux Romains, ceux qui côtoient de plus près l’empereur : « Que chacun soit soumis aux autorités supérieures, car il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, et celles qui existent sont établies sous la dépendance de Dieu ; si bien qu’en se dressant contre l’autorité, on est contre l’ordre des choses établi par Dieu, et en prenant cette position, on attire sur soi le jugement.» (Rm 13,1‑2) Il écrit cette lettre pendant l’hiver 57-58, lorsque gouverne Néron, ce despote sous le règne duquel il sera décapité quelques années plus tard !

Cependant, l’obéissance aux autorités doit cesser lorsque les lois qu’elles promulguent s’opposent à l’évangile. Saint Thomas d’Aquin ira jusqu’à légitimer le tyrannicide en ces termes : « Nul n’a la droit d’ôter la vie à quiconque sauf au tyran. » Après la mort de Paul, plusieurs empereurs romains ont persécuté les chrétiens parce qu’ils ont refusé d’obéir à certaines lois, en particulier celles qui les obligeait à le vénérer comme un dieu ou à renoncer à leur foi. Souvenons-nous de saint Maurice: pendant la persécution de Dioclétien (vers 303), lui et ses 6000 compagnons soldats de la légion thébaine, venus d’Égypte, ont refusé d’exécuter  l’ordre de tuer tous les chrétiens de la vallée d’Agaune (en Suisse actuelle). Finalement, ce sont eux qui furent exécutés… Au Japon, entre la fin du XVI° s. et la fin du XIX° s., comme dans beaucoup d’autres pays d’Asie, les chrétiens furent martyrisés parce qu’ils refusaient de fouler aux pieds la croix du Christ (cf le film Silence de Martin Scorsese)… Actuellement, l’Etat français envisage de supprimer la clause de conscience qui permet à tout médecin de refuser de pratiquer une IVG pour des raisons morales. Si son projet était voté, il placerait certains médecins dans une situation insupportable qui légitimerait leur désobéissance.

Rendez à Dieu ce qui est à Dieu. Jésus dé-divinise l’empereur, en relativisant son pouvoir, en le limitant au domaine temporel. Le chrétien doit être obéissant à César (sauf lorsqu’il veut lui imposer d’aller contre l’Evangile), mais César doit se souvenir qu’il n’est pas Dieu. La tentation est grande pour lui de le croire et de le faire croire, comme l’histoire le montre bien (d’où la séparation dans les démocraties des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire). Il suffit de se promener dans le forum romain pour voir les statues de tous les empereurs qui étaient vénérés comme des dieux, depuis Auguste qui l’avait exigé. Déjà dans l’Ancien Testament,  Dieu déclare à propos de Cyrus, l’empereur perse qui a libéré le peuple juif du joug de son adversaire babylonien, lui a permis de retourner à Jérusalem et l’a aidé financièrement à rebâtir le temple : « Je t’ai rendu puissant, alors que tu ne me connaissais pas, pour que l’on sache, de l’orient à l’occident, qu’il n’y a rien en dehors de moi. Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre » (1° lect.) Cyrus ne doit pas s’enorgueillir et se faire vénérer comme un dieu car c’est le Seigneur qui lui a donné son pouvoir et a fait de lui « son messie », le sauveur du peuple juif. Il nous faut respecter l’empereur (qui frappait les pièces de monnaie à son effigie) mais il nous faut aussi – et même d’abord – rendre un culte à Celui qui nous a créés à son image. Si César a pu graver son effigie sur les pièces, qu’il faut donc lui « rendre », à combien plus forte raison la personne humaine faite à l’effigie de Dieu doit elle se « rendre » toute entière à son Créateur ! Se rendre, c’est-à-dire se livrer à son bon vouloir.

Comment rendre à Dieu le culte qui lui est dû ? Saint Thomas d’Aquin considérait la vertu de religion (du latin religere, relier à Dieu) comme la première des parties de la vertu de justice, qui consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Nous avons TOUT reçu de Dieu : notre vie, notre corps, notre intelligence, notre volonté… Nous devons donc TOUT lui donner. C’est le sens du premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » (Dt 6,5) Nous ne pouvons pas donner à Dieu 1% de notre temps et de notre attention (la messe du dimanche et 5mn de prière tous les soirs) et à César (qui représente les autorités politiques, mais aussi économiques, sociales…) les 99% restants. En donnant TOUT à Dieu, nous pouvons mieux servir et honorer César. Songeons à sainte Jeanne d’Arc, qui a bien servi le roi de France parce qu’elle servait avant tout le Roi des cieux.

 

Le commandement du Christ, frères et sœurs, n’est pas facile à pratiquer. Tout comme on peut être tenté de pratiquer le premier commandement (« aimer Dieu de tout notre être ») en négligeant le second (« aimer notre prochain comme nous-même ») ou l’inverse, on peut être tenté d’idolâtrer César ou de le négliger. S’il y a eu tant de tyrans dans l’histoire, c’est parce que les peuples leur ont souvent donné eux-mêmes le pouvoir (Hitler, par exemple, a été élu démocratiquement). S’il y a eu tant de régicides, c’est parce que les peuples (les mêmes parfois) ont refusé de leur obéir. C’est encore vrai aujourd’hui : un grand nombre de pouvoirs autoritaires sont en place, qui réclament la vénération de leurs peuples (cf Bachar El Hassad en Syrie) ; dans nos démocraties occidentales au contraire, tous les pouvoirs sont aujourd’hui remis en cause, et certains individus considèrent qu’ils ont tous les droits. En tant que chrétiens, demandons au Saint Esprit de nous aider à rendre à César ce qui est à César (en priant pour les gouvernants et ceux qui ont des responsabilités, en payant nos impôts, en respectant les lois, en votant…) et à Dieu ce qui est à Dieu (en le priant, en respectant ses commandements,  en étant prêts au martyr…)  C’est ainsi que nous ressemblerons de plus en plus à celui qui nous a créés à son image. AMEN.

P. Arnaud