Cherchez d’abord le Royaume

Frères et sœurs, que cherchez-vous ? Cette question que Jésus pose à ses premiers disciples (Jn 1,38), il la pose à chacun d’entre nous. Cherchons-nous la richesse ? la gloire ? le bien-être ? le plaisir ? la santé ? A moins de vouloir ressembler aux moines bouddhistes, pour qui tout désir doit être éteint (afin d’éviter toute souffrance), nous avons tous des aspirations, qui sont autant de moteurs et de gouvernails pour nos existences. Mais la question est de savoir s’ils nous font aller dans la direction du bonheur, ou au contraire nous en éloignent. Les burnouts et les dépressions, qui constituent une épidémie bien plus répandue que celle du coronavirus[i], surviennent souvent parce qu’on travaille et qu’on se dépense sans la satisfaction d’avancer dans une direction qui « fait sens ». Chercher à gagner sa vie ne suffit pas. Au cœur de son discours sur la montagne, Jésus a dit clairement : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste (la nourriture, les vêtements… tout ce que les païens recherchent) vous sera donné par surcroît. » (Mt 6,33) Il le redit ici à l’aide de trois paraboles. La première nous révèle que le Royaume des cieux est à accueillir comme un trésor que l’on découvre dans un champ, c’est-à-dire comme une grâce. La deuxième nous invite à rechercher activement ce Royaume, comme des négociants en quête de perles fines. La troisième nous appelle à être vigilants pour savoir rejeter le mal: autrement, nous pourrions ne jamais entrer dans ce Royaume, et être jetés « dans la fournaise », là où « il y aura des pleurs et des grincements de dents ».

 

 Avant tout, le Royaume des cieux est à accueillir comme une grâce. « Nous aimons parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier. » (1 Jn 4,19) « Je suis à la porte et je frappe. » (Ap 3,20) Jésus nous révèle l’amour prévenant de Dieu à l’aide de la parabole du trésor. A son époque, alors qu’il n’y avait pas de banques, on gardait ses économies et on les cachait le mieux possible, par exemple en les enterrant dans son champ. Il arrivait que le propriétaire meure sans avoir pu révéler son secret, ce qui explique que l’on pouvait ensuite le découvrir par hasard, comme ici le laboureur que le nouveau propriétaire du champ a embauché. Jésus veut nous faire comprendre que son trésor vaut mieux que tous les autres biens, et qu’il mérite qu’on lui sacrifie tout : « l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ. »

Quel est ce trésor ? Il ne ressemble pas à celui d’Ali Baba, qui avait été amassé par des voleurs. Jésus a dit, dans son sermon sur la montagne : « Ne vous faites pas de trésors sur la terre, là où les mites et la rouille les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler […] là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » (Mt 6,19.21) Le psaume 118 nous le dit aussi : « Mon bonheur c’est la loi  de ta bouche, plus qu’un monceau d’or ou d’argent ». Le Christ est le véritable trésor caché dans le champ (i.e. le monde).

La Vierge Marie, au moment de l’Annonciation, a su dire « oui » à la grâce qui lui était proposée. Au contraire, le jeune homme riche, lorsque Jésus lui a proposé  de vendre tous ses biens pour recevoir « un trésor dans les cieux » (Mt 19,21), a refusé de le suivre, et il est parti « tout triste ».  De même, dans la parabole du festin, beaucoup refusent l’invitation du Maître. Nous sommes libres d’accueillir ou non les grâces qui nous sont offertes, et qui sont nombreuses. « Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce.» (Jn 1,16)

 

Le Royaume de Dieu est une grâce à accueillir, mais aussi à rechercher. Parfois, comme le Bien-aimé du Cantique des Cantiques, le Seigneur semble se cacher pour nous inciter à le chercher. C’est ce que Jésus nous indique avec la deuxième parabole, qui complète la première : « Le Royaume des cieux est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle. » Il peut sembler fou de concentrer toute sa richesse sur une petite perle, qu’on peut perdre si facilement. Mais cet homme est en quête d’absolu, il ne peut se contenter de perles de pacotille qui, pour des non-initiés, brillent comme les vraies, mais n’ont en fait qu’une très faible valeur.

Déjà dans l’Ancien testament, certains hommes ont recherché le Royaume, notamment à travers la Sagesse, qui en constitue la clef, le « sésame ». Salomon la demande à Dieu durant son songe à Gabaon : « Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal » (1° lect.). Dans le Nouveau Testament, la quête se fait plus pressante, à l’image de saint Paul : « A cause du Christ, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des balayures, en vue d’un seul avantage, le Christ. » (Ph 3,8) La quête peut sembler difficile, et il nous faut être patients pour supporter les difficultés et les échecs et pour attendre notre entrée dans le Royaume : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » (Ac 14,22) Mais Dieu se sert de tout, même du mal, pour nous aider à trouver la perle de grand prix: « quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (2° lect.) C’est dans ce sens que la petite Thérèse a pu écrire que « tout est grâce ».

 

Puisque le Royaume de Dieu est une grâce à accueillir et à rechercher, il peut ne pas être trouvé. Celui qui sème l’ivraie cherche à nous détourner de ce but, c’est pourquoi nous devons être vigilants. « Le Royaume des cieux est encore comparable à un filet qu’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien. » A la fin du monde, il y aura un jugement, et certains seront « jetés dans la fournaise » : au-delà de l’image, nous comprenons que comme le jeune homme riche, nous pouvons refuser d’entrer dans le Royaume, et que nous connaîtrons alors comme lui la tristesse et la souffrance. Le roi Salomon, qui a demandé la Sagesse et l’a pratiqué au début de son règne, a ensuite détourné son cœur vers ses femmes étrangères (1R 11). L’apôtre Pierre, juste après avoir reconnu en Jésus le Messie, éclairé par le Père, a été repris très fermement par son Maître lorsqu’il voudra le détourner de sa mission : « Arrière Satan ! » Plusieurs fondateurs de communautés se sont laissés « piéger »… C’est dans nos choix de chaque jour que nous préparons notre éternité. L’enjeu est si grand que Jésus demande ensuite : « Avez-vous compris tout cela ? »

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ nous invite à nous recentrer sur l’essentiel et à rendre grâce pour le Royaume où il nous invite. Cet été, accueillons avec reconnaissance les grâces de Dieu  (autrement dit, rendons-Lui grâce) et cherchons le de tout notre cœur, tout en nous méfiant sans cesse de notre adversaire. Cherchons-le en particulier dans les Ecritures, à l’invitation de Jésus: « tout scribe devenu disciple du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. » Dans le trésor de son cœur, saint Matthieu a su tirer du neuf (les paroles de Jésus) et de l’ancien (celles de l’Ancien Testament). Nous aussi, amassons les richesses de la Bible, et partageons-les avec nos prochains. Loin de nous appauvrir, ce partage nous rendra toujours plus riches !

P. Arnaud

[i] Selon une étude du cabinet Technologia, 3 millions d’actifs français présentent un risque élevé de faire un burnout ou syndrome d’épuisement professionnel.