Seigneur, apprends-nous à prier

Frères et sœurs, sommes-nous des hommes et des femmes de prière ? Dimanche dernier, à travers son dialogue avec Marthe, le Christ nous avait invité à choisir la meilleure part, celle de de la vie intérieure, rempart contre l’agitation et l’anxiété. Nous avions vu que la vie intérieure se nourrissait par la prière, la rencontre avec les autres, et notre travail… et qu’il y avait une hiérarchie, selon le mot de sainte Jeanne : « Dieu premier servi ». Aujourd’hui, nous allons approfondir le sens de la prière. Jésus lui-même nous a donné à la fois l’exemple, puisqu’on le voyait souvent prier, parfois des nuits entières, et des enseignements, comme celui que nous venons d’entendre. Nous savons que nous devons prier, puisque le Seigneur nous l’a demandé -cf « priez sans relâche » (1 Th 5,17) – mais reconnaissons que nous ne prions pas assez (par manque de temps, de motivation…) et que nous prions mal (par manque de présence à Celui à qui nous nous adressons). Demandons donc au Christ, comme un de ses disciples : « Seigneur, apprends-nous à prier. » Nous allons méditer d’abord sur le contenu de la prière, ensuite sur la manière de prier, et enfin sur son but ultime.

 

Pour commencer, quel doit être le contenu de notre prière ? Bien sûr, nous sommes libres, mais le Notre Père constitue le cœur de toute prière chrétienne. Saint Augustin écrit qu’elle contient et achève toute prière[i]. Elle est constituée de 7 demandes, qui nous rappellent d’abord à quel point nous sommes pauvres. Elles sont toutes adressées à « notre Père, qui es aux Cieux ». D’emblée, l’essentiel est dit : notre prière n’est pas individualiste, mais communautaire (« notre »[ii]), elle s’adresse non à un Dieu lointain mais à un Dieu qui nous a donné la vie (« Père »). Pour autant, nous devons respecter une certaine distance, pleine non de peur mais de respect et d’adoration, car il est « aux cieux ». Ces premiers mots sont si importants que bien souvent, sainte Thérèse d’Avila ne parvenait pas à les dépasser et les redisait pendant des heures.

La demande centrale, la 4ème, est la plus importante, selon la manière juive d’écrire : « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Il s’agit à la fois du pain matériel, qui donne des forces à notre corps, mais aussi du pain spirituel (la Parole de Dieu[iii]) et du pain mystique (le Christ lui-même[iv]), qui donnent des forces à notre esprit et notre âme. Avec ces forces, nous pouvons sanctifier le Nom du Père, faire advenir son Règne, et faire sa volonté… d’abord en nous-mêmes, et en même temps dans le monde. Elles nous permettent aussi de reconnaître humblement nos manquements et de pardonner à ceux qui nous ont offensés, de ne pas entrer en tentation, et de nous libérer de la servitude du Malin. Le mot « aujourd’hui » nous rappelle que nous ne pouvons pas faire des provisions de grâce, comme les Hébreux ne pouvaient pas faire des provisions de manne au désert… Heureuse dépendance, qui nous empêche de nous couper de notre Créateur par suffisance !

 

Après nous avoir donné le contenu de la prière, Jésus nous enseigne la manière de prier. Deux mots sont à retenir : confiance et persévérance. La conclusion de la parabole de l’ami sans-gêne est claire et nette : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira ». Jésus enfonce le clou : « quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira ». Les images qu’il emploie sont parlantes, comme toujours : alors que le serpent et le scorpion donnent la mort, le poisson est le symbole du salut (cf les 2 pêches miraculeuses) et de la foi (cf ICHTUS Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur), et l’œuf est le symbole de la vie à venir, et donc de la résurrection…

Un bel exemple de prière confiante et persévérante est celle d’Abraham qui intercède pour Sodome (où se trouve son neveu Loth (1° lect.) Passant par étapes de 50 à 10, il ne va plus loin car c’est le chiffre minimum (le minian) pour qu’on puisse parler de prière communautaire. Même si son intercession ressemble beaucoup à un marchandage, il témoigne d’une audace extraordinaire, et non d’une peur de Dieu. Nous-mêmes, chrétiens, pouvons l’être infiniment plus, depuis que le Christ nous a révélé la grâce, l’amour infini de la miséricorde de Dieu. Comme l’écrit saint Paul : « Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix » (2° lect). Notre audace peut aller jusqu’à l’extrême : « tout ce que vous demanderez en mon nom[v], je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. » (Jn 14,13)

 

Finalement, quel est le but ultime de la prière ? Jésus nous l’enseigne aussi : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » C’est aussi ce que dira saint Séraphin de Sarov à l’un de ses disciples : « le vrai but de la vie chrétienne consiste en l’acquisition du Saint-Esprit de Dieu ». Autrement dit, ce que nous devons demander à Dieu… c’est Lui-même ! Rien ni personne ne pourra jamais assouvir notre faim d’absolu. C’est pourquoi Jésus a dit dans la synagogue de Capharnaüm : « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6,35) Ce qui est vrai de la deuxième Personne de la Trinité l’est aussi de la troisième. L’Esprit nous transforme, nous divinise, nous christifie. C’est tellement vrai qu’il devient lui-même l’acteur de notre prière : « l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l’Esprit puisque c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles. » (Rm 8,26‑27) Seul l’Esprit peut sanctifier le Nom du Père, faire advenir son Règne, nous donner de faire sa volonté, d’accueillir son pardon et de pardonner nous-mêmes, et nous rendre forts contre les tentations et contre Satan lui-même. Nous avons la grâce extraordinaire d’avoir le Saint Esprit comme patron. Alors, ne nous contentons pas de le prier pendant la neuvaine de Pentecôte, mais soyons sans cesse attentifs à ses appels !

 

Pour conclure, frère et sœurs, reconnaissons que nous ne sommes pas des as de la prière. Et que nous devrons sans cesse apprendre à mieux prier. Sainte Thérèse d’Avila a écrit que l’oraison est « un commerce d’amitié où l’on s’entretient fréquemment avec celui dont on se sait aimé. » Et aussi : « l’oraison ne consiste pas  beaucoup à penser mais  beaucoup à aimer ». Dans le Château intérieur, elle décrit différents degrés d’union au Seigneur à travers l’oraison, nous invitant à aller toujours plus profondément en nous-mêmes. Pour effectuer cette plongée en Dieu et en nous-mêmes, laissons agir en nous l’Esprit, puisque chacun d’entre nous est pour lui un temple (1Co 3,16-17). A la rentrée de septembre, nous inaugurerons les soirées de l’Esprit Saint, tous les vendredis soirs. A travers la louange, les enseignements, les témoignages, l’intercession et l’adoration, nous lui laisserons la première place. Nous découvrirons ainsi que demande et l’action de grâce peuvent aller de pair. « Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, dans l’action de grâce priez et suppliez pour faire connaître à Dieu vos demandes. » (Ph 4,6) « Viens Esprit Saint, viens en nos cœurs, Viens en nous, père des pauvres. Viens, dispensateur des dons… ». AMEN.

[i] « Si tu parcours toutes les formules des prières sacrées, tu ne trouveras rien, je crois, qui ne soit contenu dans cette prière du Seigneur et n’y trouve sa conclusion. On est donc libre, lorsque l’on prie, de dire les mêmes choses avec des paroles diverses, mais on n’est pas libre dire autre chose ». (Lettre à Proba)

[ii] Le « notre » m’invite à élargir notre cœur aux dimensions de l’univers. De plus, il me réconforte car je sais que beaucoup prient pour moi.

[iii] « Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. » (Dt 8,3)

[iv] « Jésus leur répondit : Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6,35)

[v] « En mon nom » signifie que nous ne devons pas demander n’importe quoi, mais demander ce que nous savons être le désir du Christ.