Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu

Frères et sœurs, voulons-nous être sauvés ? Jésus nous dit aujourd’hui qu’il est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Perdu dans un monde qui conduit à la mort spirituelle, la seule qu’il faut craindre. Les évangiles révèlent que Jésus a fait des apôtres des pêcheurs d’hommes, afin de les sortir de l’océan du péché et de la mort.  Puis, avant de multiplier les pains, il a été saisi de compassion envers la foule, qui rassemblait ceux qui étaient « comme des brebis sans berger » (Mc 6,34). Et avant la parabole du fils prodigue, il nous a offert celle du berger qui laisse ses 99 brebis pour aller chercher la 100ème qui s’est égarée (Lc 15). Avons-nous conscience d’être immergés dans une société dans laquelle nous pouvons nous noyer, comme dans un océan ? Que chacun d’entre nous est la brebis égarée ? Le Fils de Dieu s’est incarné pour nous sauver, mais il ne peut le faire que si nous le voulons. Son désir doit rencontrer notre désir. Aujourd’hui, prenons exemple sur Zachée. En tant que chef des collecteurs d’impôts, cet homme était perdu dans un métier qui l’avait conduit à l’injustice. Mais il a su saisir sa chance en entendant parler de la venue de Jésus, et ainsi, le salut est arrivé pour sa maison. Lui dont le nom Zakkaï signifie « pur, irréprochable » va devenir fidèle à son identité en franchissant 3 étapes, que nous allons franchir avec lui. D’abord, il monte sur un arbre. Ensuite, il redescend pour accueillir Jésus chez lui. Enfin, il agit avec justice et générosité.

 

« Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était de petite taille ». Pour commencer, nous devons monter sur un arbre pour quitter la foule et voir Jésus. Le désir de voir Dieu est profondément inscrit en l’homme. Certes, l’Ancien Testament déclare qu’ « on ne peut pas voir Dieu sans mourir » (Ex 33,20). Et le deuxième commandement interdit de façonner des images de Dieu (Ex 20,1-4). Pourtant, notre désir demeure, tout simplement parce que nous pressentons qu’en contemplant le Seigneur, nous deviendrons semblables à Lui[i]. Alors, sommes-nous dans l’impasse ? Non, car avec le Christ, tout a changé : « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14,9) répond Jésus à Philippe qui lui avait demandé : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit.» (Jn 14,8) Le Christ est l’icône de Dieu. En voulant le voir, Zachée a cherché à voir Dieu, même sans le savoir. Et Jésus lui-même l’a vu, et a posé sur lui un regard que l’on peut deviner plein d’amour, bien différent de celui de la foule qui jugeait Zachée comme un « collabo » (et nous savons en France la haine que ce type de jugement peut engendrer).

Pour voir Jésus, nous devons nous-mêmes nous retirer du monde et de nos préoccupations quotidiennes. Beaucoup restent sans cesse « le nez dans le guidon », sans aucun recul sur leur existence. Dans ces conditions, les moindres contrariétés deviennent de terribles problèmes. Au contraire, lorsque nous nous recueillons, nous quittons le bruit de la foule – pas forcément d’individus mais de pensées et de soucis qui nous agitent – et nous voyons apparaître l’essentiel. Pour admirer une tapisserie ou une peinture, il ne faut pas être trop prêt, et se reculer jusqu’à la juste distance. Cette prise de recul demande parfois du courage. Zachée n’a pas eu peur qu’on se moque de lui parce qu’il montait dans un arbre comme les enfants. Nous-mêmes, n’avons-nous parfois pas peur de dire à notre conjoint, à nos enfants, à nos amis ou collègues : je vais prier ? Il est souvent plus facile de rester dans la foule afin de ne pas se faire remarquer et d’éviter les remarques désobligeantes… Il est aussi plus facile de rester dans nos pensées et nos soucis afin d’éviter la venue des questions les plus profondes et les plus importantes, qui peuvent nous remettre en question…

 

La deuxième étape pour Zachée est de descendre de son arbre pour recevoir Jésus chez lui. Saint Luc souligne qu’il le fait « vite », et « avec joie ». Après l’échange des regards lointains vient le temps de la rencontre plus intime. Comme on aime quelqu’un, on ne peut pas en rester à un regard de loin, on souhaite regarder l’autre les yeux dans les yeux, tout proche. Dans la prière, ce temps correspond à celui de la contemplation, qui suit le recueillement et la méditation. Lorsqu’on médite sur les évangiles après s’être recueilli, si l’on entend l’appel du Christ, il faut vite « descendre » de la méditation pour entrer dans le cœur à cœur amoureux avec le Seigneur. Souvenons-nous des paroles de Jésus : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » (Jn 14,23)[ii]

Sainte Elisabeth de la Trinité a cherché à vivre pleinement cette spiritualité qui correspond parfaitement à son nom, qui signifie « maison (beth) de Dieu (El) ». Comme sa mère refusa qu’elle entre avant 21 ans au Carmel, elle la  vécut d’abord dans le monde. Une fois au carmel, elle écrivit de nombreuses lettres pour inciter les autres à en vivre aussi. Elle conseillait notamment à sa sœur de profiter de ses voyages dans le train pour faire oraison…

 

La 3ème étape pour Zachée est de changer ses relations avec les autres. Quand on rencontre Dieu en vérité, on est transformé, et le renouvellement de l’amour de Dieu ne peut qu’entraîner celui du prochain. Zachée fait preuve à la fois de justice (en réparant ses torts) et de charité (en donnant 4 fois plus et en distribuant la moitié de ses biens aux pauvres). Il devient alors un véritable « fils d’Abraham », dont la générosité s’est manifestée plusieurs fois, notamment lorsqu’il accueillit les 3 mystérieux voyageurs auprès du chêne de Mambré (Gn 18). Zachée s’est véritablement converti, en se détournant de l’injustice et en se tournant à la fois vers Dieu et vers les autres. Nous-mêmes, nous pouvons vérifier la qualité de notre relation au Seigneur par la qualité de notre relation aux autres. Comme écrit saint Jean, « celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4,20) C’est pourquoi, après avoir fait prié, il est bon de prendre une bonne résolution… et de la mettre en pratique !

 

Ainsi, si nous voulons être sauvés, frères et sœurs, nous devons franchir les 3 étapes que Zachée a franchies. D’abord, nous devons monter sur un arbre pour voir Dieu, i.e. nous extraire parfois de la foule des individus qui nous entourent et des pensées et soucis qui nous habitent, afin de nous recueillir et de méditer sur les évangiles. Ensuite, nous devons accueillir le Seigneur dans la maison de notre cœur, vite et avec joie, pour le contempler dans une relation d’intimité avec lui. Enfin, nous devons pratiquer la justice et la charité envers nos prochains, particulièrement les pauvres. Ne désespérons jamais ni de nous-mêmes, ni des autres, à l’image du Seigneur dont la miséricorde envers nous est sans limite: « tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout. […] Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent, pour qu’ils se détournent du mal et croient en toi, Seigneur.» (1° lect.) Le Seigneur espère sans cesse la conversion de ses enfants, avec patience, une qualité qui nous manque souvent, comme elle manquait aux Thessaloniciens qui pensaient le retour du Christ imminent et que Paul dut reprendre (2° lect.) Alors, en plus de « travailler à notre salut avec crainte et tremblement » (Ph 2,12), œuvrons aussi au salut de nos frères, à l’exemple de saint Paul, ce pharisien converti comme Zachée après sa rencontre avec le Christ, qui s’est fait tout à tous « pour en sauver à tout prix quelques-uns » (1Co 9,22).

[i] C’est ce qu’écrit saint Jean : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3,2)

[ii] Ou encore : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » (Ap 3,20)