L’école de l’Amour

Frères et sœurs, pourquoi célébrer la sainte famille ? D’abord parce que nous l’aimons et la vénérons. Mais aussi pour la prendre pour modèle. La famille est en effet une institution à la fois fondamentale et fragile (les deux confinements ont permis à beaucoup d’en prendre mieux conscience). Fondamentale, parce qu’elle est une école de l’amour : à l’école républicaine, on apprend à lire, à compter, à faire des mathématiques… mais en famille, on apprend à aimer l’autre : ses parents, et ses frères et sœurs. Fragile, parce que notre amour est fragile : certains d’entre nous sont des génies en sciences ou en art, mais nous sommes tous des débutants en amour. Aujourd’hui plus que jamais, la famille est en danger : un couple sur deux divorce, et l’enfant est considéré par certains comme une marchandise. Alors, qu’est-ce que la Sainte Famille peut nous enseigner ? Elle nous enseigne 3 vertus : la pauvreté, l’obéissance et la chasteté. Certes, il s’agit là des 3 « conseils évangéliques » que tous les religieux cherchent à suivre. Mais ces conseils nous concernent tous, comme nous allons le voir.

 

École de la pauvreté. « Heureux les pauvres », c’est la 1ère béatitude, aussi bien en Matthieu qu’en Luc. Si Luc évoque ici la pauvreté matérielle, il s’agit pour Matthieu de la pauvreté spirituelle. Le pauvre de cœur, c’est celui qui attend tout de Dieu, parce qu’il reconnaît que tout ce qu’il possède lui vient de Dieu. Or, quelle richesse plus précieuse qu’un enfant ? Dans le passé, ceux qui n’en avaient pas étaient considérés comme punis de Dieu, car ils ne pouvaient pas compter sur quelqu’un pour les aider dans leur vieillesse, et surtout pour perpétuer leur souvenir après leur mort. Ce fléau de la stérilité a touché plusieurs des patriarches, et d’abord Abraham et Sarah. Pourquoi cette épreuve ? Pour qu’ils découvrent que l’enfant est avant tout un don de Dieu, et non un bien qu’on pouvait acquérir, comme les esclaves. Abraham et Sarah ont eu du mal à le comprendre. Bien que le Seigneur leur avait promis une descendance, quelqu’un de leur sang (1° lect.), ils ont cherché à acquérir un enfant coûte que coûte, en passant par Agar, la servante de Sarah, qui a accepté de devenir ainsi « mère porteuse ». Mais cela n’était pas le plan de Dieu, et ce projet humain a engendré beaucoup de souffrances : Sarah et Agar ont commencé à se haïr, et Abraham a été contraint de chasser celle-ci pour rassurer celle-là, inquiète à propos de l’héritage de leur fils Isaac, que Dieu leur a donné ensuite, comme Il l’avait promis.

De même, Joseph et Marie ont reçu leur enfant comme un don de Dieu. L’ange l’avait dit à Marie : Comme le Seigneur avait donné un enfant à une femme stérile et âgée, Il en a donné un à une jeune fille vierge, car « rien n’est impossible à Dieu. » (Lc 1,37) Ainsi, la pauvreté de cœur engendre la reconnaissance : je peux m’émerveiller devant chaque personne, et reconnaître qu’elle est pour moi un don de Dieu, un frère ou une sœur, même si elle n’est pas de ma famille de sang. C’est ainsi qu’Anne, la femme prophète, qui « ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière » a su reconnaître en Jésus son sauveur et elle «  proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.». Veuve, elle n’avait plus de famille humaine, mais elle se sentait membre de la grande famille des croyants.

 

École de l’obéissance. On pourrait à nouveau être tentés de croire qu’elle ne concerne que les religieux vis à vis de leurs supérieurs, ou les prêtres vis à vis de leurs évêques. En réalité, elle nous concerne tous. Quelle que soit notre personnalité, nous avons tous à obéir à Dieu. Abraham en a souvent fait preuve, grâce à sa foi : « Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qui devait lui être donné comme héritage. Et il partit sans savoir où il allait. […] Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses » (2° lect.) La foi est comme un rocher sur lequel l’homme s’appuie, et qui lui permet d’obéir quelles que soient les tempêtes que l’obéissance lui fait traverser.

Quant à Marie et Joseph, ils ont fait preuve d’une double obéissance, en emmenant Jésus au Temple pour le présenter au Seigneur (év.) : à la Loi d’abord, selon laquelle « tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur » ; à la Parole de Dieu ensuite, transmise par le vieillard Syméon, selon laquelle leur fils provoquerait « la chute et le relèvement de beaucoup en Israël » et serait « un signe de division. » Vis à vis de son propre « destin », Marie a même obéi à cette parole tellement dure : «  Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée. » Au pied de la croix, elle ne fuira pas, elle vivra le martyre dans son cœur, comme Syméon le lui avait annoncé.

 

École de la chasteté. Ce mot, d’où dérive le mot inceste (in-cestus en latin), signifie le refus de dominer l’autre. La chasteté est une vertu non seulement pour les religieux, mais aussi dans la famille. D’abord dans le couple, où le mari doit respecter sa femme, qui doit elle-même être à l’écoute de son corps (de là vient la méthode de régulation des naissances). Entre les parents et leurs enfants ensuite : ceux-ci ne leur appartiennent pas, ils doivent donc  respecter leurs personnalités, même si elles ne correspondent pas à ce qu’ils avaient rêvé. C’est ainsi qu’Abraham a dû apprendre à respecter la liberté de son épouse (Saraï, ma princesse, devenue Sarah, princesse « tout court[i] » Gn 17) et de son fils (Isaac, qu’il a accepté de laisser partir après l’épisode de son sacrifice, où c’est finalement un bouc que Dieu a demandé en holocauste – Gn 22). De même, Joseph et Marie ont dû accepter de respecter la vocation de Jésus, lorsqu’à 12 ans, il a fait une « fugue » et leur a dit au Temple : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C’est chez mon Père que je dois être. » (Lc 2,49) Dans ma famille, je dois respecter l’autre tel qu’il est.

 

Ainsi, frères et sœurs, la famille est une école où l’on apprend à aimer selon la pauvreté de cœur, l’obéissance à Dieu et la chasteté. La première est source de reconnaissance, la seconde de paix[ii], et la troisième de respect. La société de consommation dans laquelle nous vivons est aux antipodes de ces valeurs. Aussi bien le conjoint que les enfants sont souvent considérés comme des matières consommables, comme le reste. J’ai déjà évoqué la proportion de divorces, voici quelques autres chiffres : 200 000 enfants sont avortés chaque année en France ; des milliers d’autres sont congelés en l’absence de projet parental, ou pour des recherches dites « thérapeutiques »[iii]; des femmes louent leur ventre pour d’autres, ce qu’on appelle la GPA (gestation pour autrui)… Il ne s’agit pas de condamner les personnes qui sont concernées par tous ces drames, car elles sont avant tout les victimes de la « culture de mort » de notre société. Il s’agit au contraire de les aider, et de promouvoir une culture de la vie, « l’évangile de la Vie », selon le titre d’une encyclique magnifique du Pape Jean-Paul II. Aujourd’hui, frères et sœurs, rendons grâce au Seigneur pour notre famille, et prenons exemple sur Joseph, Marie et Jésus pour faire grandir chacun de ses membres dans l’amour. Mais luttons aussi pour que non seulement les chrétiens mais aussi tous les hommes prennent toujours mieux conscience que nous formons une grande famille, comme la pandémie depuis un an et comme le pape François dans sa dernière encyclique (« Tous frères ») nous le rappellent.

[i] La lettre hébraïque ï indique le possessif.

[ii] Saint Jean XXIII l’avait bien compris, lui qui avait choisi comme devise épiscopale : obedientia et pax.

[iii] Dans ce tableau très sombre, une lumière a jailli en 2012, lorsque le professeur Yamanaka a reçu le prix Nobel pour avoir démontré qu’il était possible  de rajeunir des cellules de l’organisme adulte, et de les rendre pluripotentes.