Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes

Frères et sœurs, avons-nous du cœur ? Dans notre langue, des dizaines d’expressions manifestent le rôle central du cœur[i] : avoir le cœur sur la main, avoir du cœur au ventre,  avoir le cœur gros ou  léger…  Dans la bible également, le cœur joue un rôle central. « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair » dit le Seigneur à Ezéchiel (Ez 36,26) Et Jésus dit à ses disciples : « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » (Mt 6,21) Dans la bible, le cœur n’est pas seulement le siège des sentiments, mais aussi de la volonté, de l’intelligence et de la mémoire. Avoir un cœur bon (un cœur de chair), c’est aimer en vérité, c’est-à-dire mettre toutes nos capacités au service de Dieu, de notre prochain et de nous-même. Il nous faut donc unir notre cœur à celui de Dieu Lui-même, dans un cœur à cœur amoureux. Quand Jésus venait de mourir sur la croix, St Jean écrit qu’« un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. » (Jn 19,34) L’eau pour le baptême et la pureté, le sang pour l’eucharistie et le sacrifice… C’est notamment après avoir médité sur cet événement que Jean, qui avait d’abord reposé sur le cœur de Jésus au moment de la dernière Cène, a pu écrire : « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » (2° lect.) Si la spiritualité du Cœur de Jésus s’est peu à peu développée à partir du Moyen-Âge, comme dévotion privée, saint Jean Eudes fut l’auteur du premier office liturgique en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus, dont la fête fut célébrée pour la première fois en 1672. A peu près à la même époque, le Christ a dit à sainte Marguerite-Marie Alacoque, lors de l’une de ses apparitions à Paray le Monial: « voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes ». Comme ces 3 saints, penchons-nous sur le cœur du Christ. Nous allons voir qu’il déborde d’amour pour son Père d’abord, et pour nous ensuite.

 

Pour commencer, Jésus déborde d’amour pour son Père. L’évangile (surtout celui de Luc) souligne souvent qu’il priait, mais il est rare d’entendre ses paroles à son Père. Nous en avons ici le seul exemple avant la dernière Cène et l’agonie à Gethsémani. « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits.  Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance ». Dans le passage correspondant, saint Luc ajoute que  «  Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint» (Lc 10,21) en prononçant ses paroles. C’est l’un des plus beaux passages des évangiles, où l’on voit la communion parfaite qui existe entre les 3 Personnes de la Trinité.

Si Jésus est comblé par l’amour de son Père, c’est parce qu’il est le « tout-petit » par excellence, celui qui sait qu’il doit TOUT à son Père. Il l’avait dit déjà dans la première béatitude: « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5,3) Le problème des Pharisiens et des chefs du peuple, c’est qu’ils se croient « sages et savants », ils sont riches (pas seulement matériellement), ce qui les empêche d’ouvrir leur cœur pour recevoir ce que Dieu veut leur donner. A l’époque de Moïse, Il avait bien dit pourtant : « si le Seigneur s’est attaché à vous, s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le plus petit de tous. C’est par amour pour vous, et pour tenir le serment fait à vos pères » (1° lect.)

 

Jésus déborde d’amour non seulement pour son Père, mais aussi pour nous. C’est parce qu’il nous aime qu’il ne peut supporter de nous voir ployer sous le poids du fardeau, et qu’il veut nous procurer « le repos » (le mot revient deux fois). Un peu plus tôt, saint Matthieu a souligné que « voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger » (Mt 9,36) (la notion d’abattement ou de langueur revient souvent dans son évangile).

Pour nous sortir de notre abattement, le Christ nous offre d’abord ses commandements. « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. » Pour labourer la terre, on appairait deux bœufs par un joug, qui leur permettait d’avancer au même rythme, qui était impulsé par l’un d’entre eux. Les commandements que le Christ nous donne ne sont pas des chaînes mais au contraire ils nous permettent d’être unis à lui, l’homme libre par excellence. C’est le péché qui nous asservit, bien plus que le pharaon d’Egypte, et c’est de lui que le Seigneur a voulu nous libérer en nous donnant d’abord la Loi de Moïse. Comme celui-ci le rappelle à son peuple : « C’est par amour pour vous, et pour tenir le serment fait à vos pères, que le Seigneur vous a fait sortir par la force de sa main, et vous a rachetés de la maison d’esclavage et de la main de Pharaon, roi d’Égypte… Tu garderas donc le commandement, les décrets et les ordonnances que je te prescris aujourd’hui de mettre en pratique. » (1° lect.) Mais alors que la loi de Moïse nous donne « un début de liberté » (St Augustin), la loi du Christ nous en donne la plénitude : « là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté. » (2 Co 3,17) « Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu et que nous accomplissons ses commandements. ­ Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ; et ses commandements ne sont pas un fardeau, ­ puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde.» (1 Jn 5,2‑4)[ii]

Cependant, soyons lucides. Aussi léger que soit le joug du Christ, nous refusons bien souvent de le porter. Nos péchés sont-ils un obstacle à son amour ? Moïse a bien écrit que « c’est le Seigneur ton Dieu qui est Dieu, le Dieu vrai qui garde son Alliance et sa fidélité pour mille générations à ceux qui l’aiment et gardent ses commandements. Mais il riposte à ses adversaires en les faisant périr, et sa riposte est immédiate » (1° lect.) Progressivement, le peuple élu a découvert ce que signifie la « riposte » de Dieu : c’est notre salut, la victoire de la miséricorde sur le mal[iii]. « Il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie…. Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. Il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses » (Ps). Et Jean déclare : « voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés ». Jésus est doux et humble de cœur, et il répond au mal par le bien.

 

Frères et sœurs, rendons grâce au Christ dont le cœur déborde d’amour pour son Père mais aussi pour nous. Abreuvons-nous à son cœur afin d’avoir nous aussi des cœurs débordants d’amour pour lui mais aussi les uns pour les autres. « Celui qui croit en moi, comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. » (Jn 7,38) Prenons sur nous son joug en pratiquant ses commandements, qui se résument en un seul : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » (Jn 13,34) C’est ainsi que nous trouverons le vrai repos, que nous soyons en vacances ou non, et nous amasserons dans notre cœur un trésor pour la vie éternelle. AMEN.

P. Arnaud

[i] A cœur joie, à cœur ouvert, à votre bon cœur, briser le cœur, avoir à cœur, prendre à cœur, un cœur de pierre, un coup de cœur, un cri du cœur,  de grand cœur, être de (tout) cœur avec quelqu’un, faire appel au bon cœur de quelqu’un, le cœur me manque…

 

[ii] Comme l’avait dit le pape Benoît XVI avant les JMJ de Cologne : « L’idée largement répandue est que les chrétiens doivent obéir à d’innombrables commandements, interdits, principes (…) et que par conséquent le christianisme est épuisant, difficile à vivre et qu’on est plus libre sans tous ces fardeaux. Moi, au contraire, je voudrais  faire comprendre aux jeunes qu’être soutenu par un grand Amour et par une révélation ce n’est pas un fardeau : cela donne des ailes et que c’est beau d’être chrétien. »

 

[iii] « Dites aux gens qui s’affolent : “Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver.” » (Is 35,4 5)