Fiat !

« Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » Frères et sœurs, comme Marie, sommes-nous prêts à toujours dire « oui », « fiat », à la volonté du Seigneur ? Cette parole de la Vierge, que le latin synthétise merveilleusement en un simple mot « fiat », est peut-être la plus belle et la plus importante qui soit jamais sortie de la bouche d’une créature. Grâce à elle, le Verbe s’est fait chair, Dieu a habité parmi nous. C’est pourquoi elle a donné lieu ensuite au plus bel hymne d’action de grâce de toute la Bible, le Magnificat, que Marie a chanté devant sa cousine Elisabeth. Elle exprime le plus haut degré de la liberté d’une créature, qui permet de dire « oui » à Dieu en toutes circonstances, même et surtout dans les plus difficiles. Le péché est ce qui entrave l’action de Dieu en nous ; la grâce est ce qui la rend possible. Or, Marie est « comblée de grâce », comme l’archange Gabriel le lui dit. Préservée du péché originel dès sa conception, le péché n’a eu aucune place en Marie, et n’a donc jamais entravé l’action de Dieu. Devant un tel privilège, nous pourrions être tentés de jalouser Marie. Alors, n’oublions pas 3 choses. D’abord que Marie a été préservée du péché originel, mais pas de ses conséquences : elle a dû affronter le mal et la souffrance comme chacun d’entre nous. Ensuite, nous-mêmes pouvons être lavés du péché et devenir aussi purs qu’elle, à chaque fois que nous nous confessons en toute vérité. Enfin, le privilège qu’a reçu Marie, c’est pour elle, mais c’est aussi pour nous ! Elle est à la fois notre Mère, qui intercède inlassablement pour nous, et notre modèle, sur qui nous pouvons prendre exemple. Car n’oublions pas que nous sommes appelés à la même sainteté et pureté qu’elle, comme  saint Paul le rappelle aux Ephésiens : « en Jésus Christ, Dieu nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l’amour, saints et irréprochables sous son regard » (2° lect.)… Alors, comment y parvenir ? D’une part, il nous faut résister au mal, en prenant leçon d’Adam et d’Eve. D’autre part, il nous faut faire confiance à Dieu de façon absolue, en prenant exemple sur Jésus et Marie, le nouvel Adam et la nouvelle Eve.

 

Pour commencer, il nous faut résister au mal, en prenant leçon d’Adam et d’Eve (Gn 1-3). Revenons au jardin de la Genèse (1° lect.) Au commencement, tout ce que Dieu avait créé était « très bon ». L’homme vivait en harmonie avec Lui, avec son semblable, avec lui-même et avec la création. Mais la désobéissance d’Ève a rompu cette harmonie. Au lieu de demeurer fidèle à la parole du Seigneur – « tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais quant à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas » – Ève a préféré se fier au serpent qui l’incitait à manger du fruit de cet arbre. Alors, l’homme et la femme ont perdu confiance en Dieu : quand ils l’entendirent se promener dans le jardin, « ils allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin. » Ils ont perdu confiance l’un dans l’autre : alors que la création d’Eve avait suscité l’admiration et l’enthousiasme d’Adam (« voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! »), il l’accuse maintenant d’être responsable de son acte, et Dieu dit à Ève : « le désir te portera vers ton mari, et celui-ci dominera sur toi. ». Ils ont perdu l’harmonie en eux-mêmes : leur intelligence s’est obscurcie, leur volonté s’est affaiblie, leurs désirs se sont déréglés, comme toute la suite de l’histoire le manifestera. Enfin, même l’harmonie avec la création est rompue : désormais, la femme enfantera « dans la souffrance », et c’est aussi « dans la souffrance », « à la sueur de son front »,  que l’homme  tirera de la terre sa subsistance.

Dans ce tableau bien sombre, une lueur apparaît cependant : au serpent, qui est le responsable premier du mal, le Seigneur déclare : « Je mettrai une hostilité entre la femme et toi, entre sa descendance et ta descendance : sa descendance te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. » C’est ce qu’on appelle le protévangile, la première annonce de la Bonne Nouvelle de la victoire du bien sur le mal, de la vie sur la mort. Cette victoire sera remportée grâce à la descendance de la femme, qui écrasera la tête du serpent. Qui est cette descendance ? C’est bien sûr le Christ, mais c’est aussi la Vierge Marie, comme certains peintres l’ont représenté, notamment le Caravage avec la Vierge qui écrase sans effort apparent la tête du serpent.

 

En plus de résister au mal, il nous faut faire confiance à Dieu de façon absolue, en prenant exemple sur Jésus et Marie, le nouvel Adam et la nouvelle Eve[i]. Tous deux ont renoncé à leur propre volonté pour accomplir celle du Père. Au désert déjà, Jésus repousse le serpent : « Arrière, Satan ! » (Mt 4,10) Il redit cette même parole en s’adressant à Pierre qui veut le dissuader de passer par la Croix : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.” » (Mt 16,23) A Gethsémani ensuite (un autre jardin), Jésus dit : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » (Lc 22,42) Et au lieu d’accuser les autres, comme Adam a accusé Eve, il dit aussi : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34)

De la même façon, Marie a résisté au mal et fait confiance à Dieu, même dans la nuit de la foi. Elle a cru la parole de l’ange : « rien n’est impossible à Dieu.» (Lc 1,37) Lorsque Syméon lui prédit que son âme « sera traversée d’un glaive» (Lc 2,35), ou que Jésus lui déclare après qu’elle l’a cherché pendant 3 jours avec Joseph : « comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » (Lc 2,49), jamais elle ne se révolte, mais elle « gardait dans son cœur tous ces événements » (Lc 2,51).

 

Frères et sœurs, les plus grandes victoires sont les fruits de victoires nombreuses qui les ont précédées, et qui sont parfois passées inaperçues. L’Armistice de 1918, que nous avons célébré le 11 novembre, a été le résultat de nombreuses victoires, acquises sur les champs de bataille par les soldats, mais aussi dans les villes et les villages par les femmes qui se sont dépensées au service de leur patrie. Depuis près d’un an, nous menons une guerre contre la pandémie, afin de protéger nos santés. Nous avons raison de le faire, mais n’oublions pas que la guerre contre le péché est infiniment plus importante, et que la sainteté (la santé de l’âme) est plus précieuse que la santé du corps. On nous parle continuellement du Covid, mais qui ose encore parler du péché ? On salue l’arrivée de plusieurs vaccins mais qui rend grâce pour… la grâce justement, la présence de l’Esprit Saint en nous qui nous rend forts contre le mal ? « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. » (Mt 10,28) Avant de guérir le paralytique dans son corps, le Christ l’a guéri dans son âme, en lui pardonnant tous ses péchés (Lc 5). Alors, continuons de lutter contre les virus, mais luttons surtout contre le péché. Chacune de nos petites victoires nous conduit vers la victoire finale, qui est la sainteté. Oui, « Dieu nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour » (Ep 1,4) Le Christ a déjà remporté la victoire sur le mal, et grâce à lui, « là où le péché s’était multiplié, la grâce a surabondé. » (Rm 5,20) Alors, comme la Vierge Marie, laissons-nous combler de grâce afin de participer avec elle à la victoire du Christ. Certes, nous n’avons pas été conçus immaculés comme elle, et nous ressentons parfois lourdement le poids du péché. Mais n’oublions pas qu’elle nous aide par son intercession et par l’exemple qu’elle nous a laissé. Alors, si nous chutons parfois, ne nous décourageons pas. Chacun de nos « oui » à Dieu, de nos « fiat » à sa volonté, nous remplira de sa grâce et, comme en Marie, fera naître en nous la joie du Magnificat.

P. Arnaud

[i] « De même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. » (Rm 5, 18)