Veillez !

Frères et sœurs, sommes-nous bien éveillés ? Alors que les jours diminuent, que le froid devient de plus en plus vif et que la pandémie semble s’éterniser,  nous pourrions être tentés de nous replier sur nous-mêmes, comme les animaux qui se creusent des terriers pour hiberner pendant l’hiver. Ce qui est bon pour ces animaux ne l’est pas pour nous, c’est pourquoi le Christ nous répète avec insistance aujourd’hui : « veillez » ! Le mot revient 4 fois dans le très court passage que nous venons d’entendre. Pourquoi veiller, plutôt que de nous endormir comme les ours ou les marmottes ? Pour deux raisons : d’abord pour ne pas manquer la venue de celui qui nous aime; ensuite, pour ne pas nous laisser surprendre par nos ennemis.

 

Nous devons veiller d’abord pour accueillir Celui que nous aimons. Prenons nos portables : si nous ne les rechargeons pas régulièrement au réseau électrique, ils ne seront plus en veille, et quelqu’un aurait beau nous appeler, nous ne le saurons même pas… Lorsque l’on n’attend pas quelqu’un, son arrivée à l’improviste risque de nous trouver endormis ou de nous gêner et de sonner comme une mauvaise nouvelle. Mais lorsqu’arrive une personne qu’on attend de tout son cœur, la sonnette suscite en nous la joie… Dans notre société, tout est fait pour que nous n’ayons pas à attendre. L’attente peut être destructive, si elle est vécue dans l’agitation, la colère ou la peur, ou constructive, si elle est vécue dans la confiance et l’amour. La pandémie que nous traversons éprouve beaucoup notre patience, car nous attendons les vaccins et l’affaiblissement du virus, mais comment  vivons-nous cette attente ?

Lorsque le Fils de Dieu est venu parmi nous il y a 2000 ans, il était attendu par le peuple juif depuis des siècles. A la fin des temps, il reviendra et nous devons être prêts pour l’accueillir, comme l’étaient les premiers chrétiens à qui Paul s’adresse : « aucun don de grâce ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ. C’est lui qui vous fera tenir fermement jusqu’au bout, et vous serez sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus Christ » (2° lect.). Mais le Christ vient aussi à nous chaque jour, si nous savons l’accueillir : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » (Ap 3,20)

Sous quelles formes vient-il ? Dans la prière : « Que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux» (Mt 18,20)… Dans les sacrements, en particulier l’Eucharistie : « ceci est mon corps » (Mt 26,26)… Dans les évènements : « tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée ! » (Lc 19,44)… Dans les personnes : « ce que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40)…

Le Seigneur vient donc chaque jour. Le problème, c’est que nous pouvons ne pas le voir, parce que nos cœurs sont parfois endormis. C’est l’amour seul qui peut nous réveiller, comme un feu qui revigore quelqu’un que le froid paralyse et qui cesse de lutter pour vivre… Le prophète Isaïe lance ce cri : « Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais ! » parce que son peuple s’est détourné de Dieu: « Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? » (1° lect.)

 

Nous devons veiller d’abord pour accueillir Celui que nous aimons, mais aussi pour nous protéger de nos ennemis. Dans une forêt la nuit, il faut allumer un grand feu pour éloigner les loups, et mieux vaut ne dormir que d’un œil, comme on le constate dans l’histoire de Croc Blanc. Et dans un match d’escrime, il faut une vigilance maximale pour parer aux attaques de l’adversaire. Jésus a déclaré : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. » (Mt 10,28) Et à Gethsémani, peu avant de prononcer la parabole que nous venons d’entendre, Jésus avait dit à Pierre, Jacques et Jean: « Veillez et priez afin de ne pas entrer au pouvoir de la tentation » (Mc 14,38). Notre véritable ennemi s’appelle le diable, et il possède des alliés, les démons. Dans les évangiles, Jésus les a souvent évoqués, car ils cherchent à demeurer dans l’ombre, et il les a aussi souvent chassés. Dans l’évangile de Marc, que nous allons suivre pendant toute l’année liturgique, après avoir vaincu le diable dans le désert, le premier signe de Jésus est de chasser un esprit mauvais (1,21-28). Et c’est ce même esprit qui est le premier à reconnaître qu’il est le Saint de Dieu (1,24), bien avant ses disciples.

En plus du diable et des démons, nous devons veiller pour ne pas nous laisser vaincre par deux autres types d’ennemis : le monde et la chair. Le monde a été créé bon, mais il a été perverti par Satan, qui en est devenu le prince[i]. Il existe dans le monde des « structures de péché », comme le soulignait le pape Jean-Paul II, et nous devons lutter contre elles individuellement et collectivement. Quant à la chair, elle ne représente pas le corps, qui a été créé bon lui aussi, mais toutes les tendances qui peuvent l’asservir. A Gethsémani, juste après avoir invité ses disciples à veiller, Jésus avait ajouté : « L’esprit est plein d’ardeur, mais la chair est faible » (Mc 14,38).

« Vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin »… Nul doute que Jésus anticipe ici sa Passion, lorsqu’il partagera un dernier repas avec ses disciples le soir, entrera en agonie à Gethsémani vers minuit, sera renié 3 fois au chant du coq, et sera jugé au petit matin. A Gethsémani, il dira à nouveau à ses 3 plus proches disciples : « veillez avec moi »… Mais parce qu’ils ne lui obéiront pas et qu’ils s’endormiront, ils seront incapables de résister le lendemain à la tentation.

Si nous ne laissons pas le Seigneur entrer en nous par la prière, nous risquons de laisser la porte ouverte à son adversaire, ou même d’entrer nous-mêmes dans sa maison. C’est le sens de la parole du Notre Père : « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Parfois, le Seigneur doit « réveiller » son peuple qui s’assoupit, comme Bagheera doit réveiller Moogli qui se laisse hypnotiser par le serpent, prêt à le dévorer.

 

Frères et sœurs, pendant ce temps de l’Avent, tenons nos lampes allumées, soyons en état de veille. Le Seigneur, lui, veille sur nous sans cesse, comme un père sur ses enfants, à la fois pour nous donner le meilleur et pour nous protéger du mal. Comme Lui, veillons les uns sur les autres car nous sommes les gardiens les uns des autres (cf Gn 4,9). Pour nous y aider, prions davantage pendant ces 4 semaines de l’Avent, comme le Christ l’a fait non seulement à Gethsémani mais aussi tous les jours de sa vie sur terre. Et cultivons l’esprit d’enfance, car notre veille doit être douce et paisible, comme un enfant qui s’abandonne dans le sommeil et qui pourrait dire, comme l’épouse du cantique des Cantiques : « je dors mais mon cœur veille » (Ct 5,2). C’est ainsi que les cieux se déchireront et que le Seigneur descendra du ciel jusque dans la demeure de notre cœur, bien avant le père Noël. AMEN.

P. Arnaud

[i] Jn 12, 31 ; Jn 14, 30 ; Jn 16, 11