Seigneur, apprends-nous à prier

Un homme arrive au ciel et demande à saint Pierre : Dites-moi, pourquoi mes prières n’étaient jamais exaucées ? J’ai prié pour gagner au Loto pendant 30 ans ! Saint Pierre regarde son registre, puis lui répond en soupirant : Oui… on a bien reçu toutes vos prières. Mais vous auriez pu au moins acheter un ticket ! Frères et sœurs, cet homme n’a pas été exaucé parce qu’il n’a pas su prier comme il faut. Nous sommes tentés de nous moquer de lui, mais sommes-nous plus « doués » que lui ? Pas sûr, c’est pourquoi je vous propose de demander aujourd’hui au Seigneur, avec ses disciples : « apprends-nous à prier ».  Ne pas prier reviendrait à marcher les yeux bandés, avec l’incapacité de voir aussi bien les merveilles de notre monde que ses nombreux pièges. C’est pourquoi le Seigneur nous dit : « priez sans cesse » (1Th 5,17). Mais comment y parvenir ? Jésus lui-même nous a donné l’exemple, puisqu’on le voyait souvent prier, parfois des nuits entières. Il nous enseigne à parler à Dieu, à écouter Dieu, et à persévérer.

 

Pour commencer, le Christ nous enseigne à parler à Dieu, en nous donnant des mots. Bien sûr, nous sommes libres, mais le Notre Père constitue le cœur de toute prière chrétienne. Saint Augustin écrit qu’elle contient et achève toute prière[i]. Elle est constituée de 7 demandes, qui nous rappellent d’abord à quel point nous sommes pauvres. Elles sont toutes adressées à « notre Père, qui es aux Cieux ». D’emblée, l’essentiel est dit : notre prière n’est pas individualiste, mais communautaire (« notre »[ii]), elle s’adresse non à un Dieu lointain mais à un Dieu qui nous a donné la vie (« Père »). Pour autant, nous devons respecter une certaine distance, pleine non de peur mais de respect et d’adoration, car il est « aux cieux ». Ces premiers mots sont si importants que bien souvent, sainte Thérèse d’Avila ne parvenait pas à les dépasser et les redisait pendant des heures.

La demande centrale, la 4ème, est la plus importante, selon la manière juive d’écrire : « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Il s’agit à la fois du pain matériel, qui donne des forces à notre corps, mais aussi du pain spirituel (la Parole de Dieu[iii]) et du pain mystique (le Christ lui-même[iv]), qui donnent des forces à notre esprit et notre âme. Avec ces forces, nous pouvons sanctifier le Nom du Père, faire advenir son Règne, et faire sa volonté… d’abord en nous-mêmes, et en même temps dans le monde. Elles nous permettent aussi de reconnaître humblement nos manquements et de pardonner à ceux qui nous ont offensés, de ne pas entrer en tentation, et de nous libérer de la servitude du Malin. Le mot « aujourd’hui » nous rappelle que nous ne pouvons pas faire des provisions de grâce, comme les Hébreux ne pouvaient pas faire des provisions de manne au désert… Heureuse dépendance, qui nous empêche de nous couper de notre Créateur par suffisance !

 

Prier consiste à parler à Dieu, mais aussi à l’écouter. Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans un camp de concentration, un enfant juif fut surpris en train de prier. Un garde moqueur lui dit : Tu crois vraiment que ton Dieu va t’entendre ici ? Et l’enfant répondit doucement : Je ne prie pas pour qu’il m’entende. Je prie pour continuer à l’entendre, moi… Pour en être capable, nous avons besoin de l’Esprit de Dieu, qui a permis au prophète Elie de reconnaître sa présence dans le murmure d’une brise légère (1R19,12). C’est pourquoi Jésus nous exhorte : « Si donc vous, qui mauvais, vous savez donner de bonnes choses êtes à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » Dans l’épître aux Romains, saint Paul écrit : « L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables. » (Rm 8,26) L’Esprit nous donne à la fois de parler à Dieu, même sans paroles, à travers des gémissements, mais aussi de l’entendre, Lui qui nous parle soit avec des mots (ceux de l’Ecriture notamment), soit sans paroles là encore. La petite Thérèse a écrit : « Pour moi la prière, c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté vers le Ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie ; enfin c’est quelque chose de grand, de surnaturel qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus » (Ms C, 25).

 

Parler à Dieu et écouter son murmure dans la brise légère de l’Esprit, au milieu du fracas du monde, n’est pas facile. C’est pourquoi le Christ nous invite à la persévérance. La conclusion de la parabole de l’ami sans-gêne est claire et nette : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira ». Jésus enfonce le clou : « quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira ». Les images qu’il emploie sont parlantes, comme toujours : alors que le serpent et le scorpion donnent la mort, le poisson est le symbole du salut (souvenons-nous des 2 pêches miraculeuses) et de la foi (ICTUS, poisson en grec, est l’acrostiche de Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur), et l’œuf est le symbole de la vie à venir, et donc de la résurrection…

Un bel exemple de prière confiante et persévérante est celle d’Abraham qui intercède pour Sodome (où se trouve son neveu Loth (1° lect.) Passant par étapes de 50 à 10, il ne va plus loin car c’est le chiffre minimum (le minian) pour qu’on puisse parler de prière communautaire. Même si son intercession ressemble beaucoup à un marchandage, il témoigne d’une audace extraordinaire, et non d’une peur de Dieu. Nous-mêmes, chrétiens, pouvons l’être infiniment plus, depuis que le Christ nous a révélé la grâce, l’amour infini de la miséricorde de Dieu. Comme l’écrit saint Paul : « Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix » (2° lect). Notre audace peut aller jusqu’à l’extrême : « tout ce que vous demanderez en mon nom[v], je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. » (Jn 14,13)

 

Ainsi, frères et sœurs, nous devons parler à Dieu et l’écouter avec des mots mais surtout avec notre cœur, et avec persévérance. Seul l’Esprit peut nous permettre d’y parvenir. La lettre sans l’Esprit est comme un cadavre, un corps sans âme, et l’Esprit sans la lettre (sans le Verbe) est comme un fantôme. Au-delà des paroles que nous disons ou entendons, l’essentiel est de cultiver le lien qui nous unit à notre Seigneur, source de Vie. Dans son Journal (écrit entre 1941 et 1943 dans le camp de Westerbork), Etty Hillesum écrit : « Même au plus profond du malheur, je trouve en moi un petit puits. Et ce puits est rempli d’eau. Et j’ai soif. » Malgré leur demande, les disciples n’ont pas toujours accepté de prier comme Jésus le leur avait enseigné, si bien que leur lien avec lui s’est distendu. Ce fut vrai en particulier à Gethsémani, lorsqu’il demanda à Pierre, Jacques et Jean de veiller avec lui (Mt 26,38). Parce qu’ils se laissèrent aller au sommeil, ils n’eurent pas la force d’accompagner leur Maître dans sa Passion. Au lieu de mettre en premier son Règne, ils ne résistèrent pas à la tentation et au mal. Que le Seigneur nous aide à le prier de mieux en mieux, conscients de nos pauvretés, en récitant souvent le Notre Père et en demandant souvent aussi le Saint-Esprit, toujours avec confiance et persévérance. C’est ainsi que nous pourrons demeurer dans la paix et dans la joie intérieures, et que nous résisterons aux assauts du mal.

P. Arnaud

 

 

[i] « Si tu parcours toutes les formules des prières sacrées, tu ne trouveras rien, je crois, qui ne soit contenu dans cette prière du Seigneur et n’y trouve sa conclusion. On est donc libre, lorsque l’on prie, de dire les mêmes choses avec des paroles diverses, mais on n’est pas libre dire autre chose ». (Lettre à Proba)

[ii] Le « notre » m’invite à élargir notre cœur aux dimensions de l’univers. De plus, il me réconforte car je sais que beaucoup prient pour moi.

[iii] « Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. » (Dt 8,3)

[iv] « Jésus leur répondit : Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6,35)

[v] « En mon nom » signifie que nous ne devons pas demander n’importe quoi, mais demander ce que nous savons être le désir du Christ.