Heureux les artisans de paix

Frères et sœurs, comment être artisans de paix ? Alors que la guerre ravage non seulement l’Ukraine et la Palestine mais aussi bien d’autres lieux de notre monde, comment ne pas nous poser cette question ? Le Fils de Dieu est le Prince de la paix, et il est venu sur terre pour nous la donner, comme les anges l’ont chanté le jour de sa naissance : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. » (Lc 2,14) Oui mais voilà, il nous dit aujourd’hui : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division »… Il y a là une contradiction apparente, qui pourrait donner du grain à moudre à ceux qui estiment que les religions sont facteurs de guerres ! En réalité, le Fils de Dieu est bien venu pour nous donner la paix, mais il le fait à travers sa Parole, « énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants » (He 4,12) pour nous permettre de trancher en nous nos liens avec le mal et le mensonge. Alors que la pax romana était fondée sur le glaive des soldats, la paix du ciel repose sur le glaive de la Parole de Dieu, qui est aussi celui de l’Esprit de vérité. Alors que la première était fragile et n’a pas duré, la seconde est parfaitement solide et éternelle… mais c’est à nous d’être artisans de cette paix que le Seigneur nous offre ! Comment y parvenir ? Puisque les guerres affectent non seulement notre humanité mais aussi toute la création, je vous propose, pour aboutir à la paix du ciel, de passer par la terre, par l’eau et par le feu. Ces 3 éléments symbolisent respectivement l’humilité, la conversion, et la mission.

 

Pour commencer, nous devons être ancrés dans l’humilité (du latin « humus », la terre). Nous devons reconnaître que nous sommes de « pauvres pécheurs », comme nous le disons dans l’Ave Maria. Saint Jacques écrit dans sa lettre : « D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas justement de tous ces désirs qui mènent leur combat en vous-mêmes ? » (Jc 4,1) L’humilité nous permet de reconnaître nos faiblesses et nos péchés[i]. C’est parce que les israélites refusaient de reconnaître leur infidélité à l’Alliance qu’ils ont persécuté le prophète Jérémie (1° lect.) L’humilité n’est pas une vertu spécifiquement biblique : sur le frontispice du temple de Delphes, il était inscrit « Connais-toi toi-même » afin de rappeler aux pèlerins de passage qu’ils étaient de simples mortels, et qu’ils devaient éviter l’hybris (l’orgueil, la démesure) plus que tout. Mais en tant que chrétiens, nous devons la cultiver particulièrement car le Fils de Dieu s’est fait chair, à l’image d’Adam qui avait été modelé par Dieu à partir de la poussière du sol (Gn 2,7) Dans un psaume, le roi David déclare : « Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi » (Ps 50,5) et dans ses lettres, saint Paul rappelle souvent qu’il a persécuté l’Eglise (1Co 15,9) La prise de conscience de nos faiblesses et de nos péchés ne doit pas nous décourager, mais nous pousser davantage vers Celui qui est juste et miséricordieux. Ils constituent une sorte de fumier sur lequel les graines semées par le Seigneur pourront croître davantage. Dans une famille, reconnaître qu’on a eu tort et demander pardon, même pour une petite parole blessante, c’est déjà un acte d’humilité qui construit la paix.

 

Se reconnaître pauvre et pécheur est nécessaire, mais pas suffisant pour atteindre la paix. Il faut aussi se convertir. « Va et désormais ne pèche plus » (Jn 8,11) dit Jésus à la femme adultère. Cet appel à une transformation intérieure, là encore, ne concerne pas que les chrétiens. Dans beaucoup de religions, on utilise l’eau pour signifier ce désir d’une vie nouvelle (dans l’hindouisme avec les eaux du Gange, dans le judaïsme et l’islam avec les ablutions…) mais pour nous, le baptême dans l’eau signifie beaucoup plus : « Par le baptême, nous avons été ensevelis avec le Christ dans la mort, afin que, comme lui est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle. » (Rm 6,4) Certes, le baptême est un sacrement, mais celui-ci n’a de sens que s’il correspond à une façon de vivre. Sans cesse, nous devons accepter de plonger, de mourir au vieil homme qui est en nous pour renaître à l’homme nouveau. Cette renaissance s’accompagne parfois de souffrance, comme notre maman et nous-mêmes avons souffert lors de notre naissance. Jésus lui-même a d’abord été baptisé par Jean dans le Jourdain, mais il a dû passer ensuite par le baptême de sa mort et de sa résurrection. C’est celui-ci qu’il évoque alors qu’il se dirige pour la dernière fois vers Jérusalem : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli » ! Nous-mêmes devons accepter de souffrir parfois pour renaître : nous n’avons pas encore « résisté jusqu’au sang dans notre lutte contre le péché » (2° lect.) ! Mais plus généralement, la conversion signifie simplement une nouvelle façon de vivre, à l’image de la Samaritaine après sa rencontre avec Jésus… auprès d’un puits et après avoir reçu la promesse de l’eau vive (Jn 4) ! Cette vie-là s’accompagne de la paix intérieure, comme en témoigne saint Augustin dans ses Confessions : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi. »

 

L’humilité nous permet de nous reconnaître pauvres et pécheurs et la conversion de mener une vie nouvelle, mais ce n’est toujours pas suffisant. Nous ne voulons pas goûter le fruit de la paix seuls, égoïstement, nous voulons qu’elle règne « sur la terre comme au ciel ». Saint Dominique, que nous avons fêté le 8 août, passait ses nuits à pleurer en disant : « que vont devenir les pécheurs » ? Donc, en plus de la terre et de l’eau, nous avons besoin du feu de l’Esprit, celui qui nous rend témoins et missionnaires. Cet été encore, nous avons constaté comment le feu se propage rapidement dans les forêts et même les villes, au point de détruire des zones immenses. Mais le feu de l’Esprit ne fait que détruire le mal, son but est de nous éclairer et de nous réchauffer. Jésus dit à ses disciples : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé » ! Ce feu, il va l’allumer avec sa mort et sa résurrection, et il va le transmettre ensuite à ses disciples. Les disciples d’Emmaüs, après l’avoir rencontré, s’écrient : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant tandis qu’il nous parlait en chemin ? » (Lc 24,32) et ils repartent en hâte à Jérusalem témoigner de leur rencontre. Plus tard, le jour de la Pentecôte, c’est sur tous les disciples que des « langues de feu » se posèrent (Ac 2,3). A partir de ce jour, ils témoignèrent de la Bonne Nouvelle, avec la même consigne qu’ils avaient reçue lors du premier envoi en mission : « dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : “Paix à cette maison.”» (Lc 10,5‑6) Alors pourquoi Jésus annonce-t-il : « désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront » ? Parce qu’il n’est pas facile de faire la vérité en soi et de se convertir, nous venons de le voir… Nous rencontrons des résistances en nous-mêmes, alors comment nous étonner de les rencontrer chez les autres ? Nous devons faire preuve de patience et de miséricorde, aussi bien pour nous-mêmes que pour les autres.

 

Pour conclure, frères et sœurs, n’oublions pas ce que le Christ nous a promis : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9) Il est le médecin qui veut guérir l’humanité de la maladie des conflits. Alors, reconnaissons d’abord que nous sommes malades nous-mêmes, acceptons de nous soigner par le meilleur des traitements – sa Parole, et allons partout offrir celle-ci. En d’autres termes, plus « guerriers », brandissons le glaive de sa Parole et plongeons-le dans notre propre cœur et dans celui de nos contemporains. Il les déchirera sûrement, mais c’est seulement à ce prix que le Seigneur pourra rassembler un jour notre humanité déchirée par ses divisions.

P. Arnaud

[i] Il a révélé au grand jour les péchés de son peuple et l’a exhorté à faire la paix avec Nabuchodonosor, un ennemi beaucoup plus puissant que lui. Parce qu’il ne cachait pas la vérité, il a été considéré comme un « prophète de malheur » : « Que cet homme soit mis à mort : en parlant comme il le fait, il démoralise tout ce qui reste de combattant dans la ville, et toute la population. Ce n’est pas le bonheur du peuple qu’il cherche, mais son malheur. » (1° lect.)