Qui s’abaisse sera élevé

Frères et sœurs, sommes-nous humbles ? Sommes-nous prêts à nous abaisser pour être élevés par le Seigneur, comme il nous y invite ? L’humilité est la base de la vie spirituelle, « le fondement de toutes les autres vertus », selon saint Augustin. Et Ben Sirac exhorte ainsi son disciple : « accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur ». Au contraire, « la condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui » (1° lect.). Alors que certaines vertus, comme le courage, sont prisées de tous, l’humilité a mauvaise presse dans notre société, qui la confond souvent avec la médiocrité, la timidité ou même le dénigrement de soi. En réalité, l’humilité est une vertu d’une beauté extraordinaire, mais discrète. Elle est synonyme de pauvreté de cœur, et donc source de bonheur : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3). L’humble, le pauvre de cœur, c’est celui qui sait recevoir des autres, qui ne fait pas tout par lui-même. Dès la Genèse, l’humilité de Dieu est manifeste : Il cesse de créer le septième jour, afin que l’homme puisse poursuivre sa création (Gn 2,2), travailler et garder le jardin d’Eden (Gn 2,15). Et Il lui donne de nommer lui-même toutes choses (Gn 2,19). Mais c’est dans l’Incarnation que son humilité resplendit au maximum : Dieu se fait homme (et même petit enfant), le Maître mange avec les publicains et les pécheurs, lave les pieds de ses disciples et meurt finalement comme un « maudit de Dieu ». Dans un premier temps, nous allons méditer sur ce que l’humilité signifie, en prenant conscience que nous sommes des ppp, pauvres pécheurs pardonnés. Dans un second temps, nous verrons comment nous pouvons la faire grandir en nous, notamment grâce aux deux histoires que nous raconte Jésus ce dimanche.

 

Pour commencer, méditons sur ce qu’est l’humilité. Sainte Thérèse d’Avila disait : « l’humilité, c’est la vérité ». Aujourd’hui, certains courants qu’on appelle transhumanistes cherchent à transformer l’homme pour en faire une sorte de robot immortel. Ils échoueront car la vérité, c’est que nous sommes de pauvres pécheurs pardonnés. Pauvres, d’abord, rappelle notre condition de créatures. Notre monde hyper technologisé tend à nous faire oublier que nous sommes fragiles et dépendants de beaucoup de choses. Nous avons été créés le sixième jour, le même jour que les animaux sauvages (Gn 1), et nous avons été tirés de la glaise (Gn 2). La pyramide de Maslow a mis en lumière nos besoins multiples, classés en 5 catégories : physiologiques, de sécurité, d’appartenance et d’amour, d’estime et d’accomplissement de soi. Vers la fin de sa vie, Abraham Maslow ajouta un dernier niveau, qu’il appela self-transcendence (« dépassement de soi-même »), ouverture à la transcendance marquée notamment par le besoin de se donner pour une cause plus grande que soi. Ces besoins s’inscrivent dans le cadre d’une hiérarchie et sont continuellement présents, mais certains se font plus sentir que d’autres à un moment donné. Par exemple, une personne démunie de tout est capable de mettre en péril sa vie pour se nourrir (dans ce cas, on observe que les besoins physiologiques ont plus d’importance que les besoins de sécurité). Quelles que soient les limites de cette théorie scientifique, elle met en lumière notre dépendance.

Non seulement nous sommes pauvres, mais nous sommes aussi pécheurs (la Vierge Marie étant la seule créature à faire exception). Notre examen de conscience doit nous aider à en prendre sans cesse conscience, non pour nous culpabiliser de façon malsaine, mais pour nous rendre humbles. Chaque vendredi, nous lisons pendant les laudes le psaume 50 : « Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi… Moi, je suis né dans la faute, j’étais pécheur dès le sein de ma mère. » Mais au lieu d’être anéanti, le psalmiste ajoute : « Mais tu veux au fond de moi la vérité ; dans le secret, tu m’apprends la sagesse. Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige » (v.8-9). L’humilité est mère de l’Espérance. C’est aussi ce que révèle le livre des Proverbes : « le juste tombe sept fois mais se relève, alors que les méchants s’effondrent dans le malheur. » (Pr 24,16) La conscience de notre péché va de pair avec notre confiance en la miséricorde du Seigneur, qui nous offre toujours son pardon. C’est parce que notre société a rejeté la foi en Dieu qu’elle refuse la notion de péché. Nous-mêmes ne sommes pas forcément meilleurs que les incroyants, mais nous avons la grâce de croire que nous sommes des pauvres pécheurs pardonnés.

 

Après avoir médité sur la nature de l’humilité, cherchons comment la faire grandir en nous. Le Christ nous y aide en nous racontant deux histoires de repas : la première nous situe comme la personne invitée, et la seconde comme la personne qui invite. Dans le premier cas, nous devons choisir la dernière place, celle qui nous éloignera des personnes les plus importantes et nous placera près des plus « petits ». Et dans le second cas, nous devons inviter justement ces plus petits. On voit que les deux histoires se rejoignent. En nous approchant des petits, nous sacrifions nos arrière-pensées (les grands nous font briller aux yeux des hommes et peuvent nous réinviter, nous aider dans notre ascension sociale, etc.) pour privilégier la gratuité de la relation. C’est dans cette gratuité que nous pourrons recevoir l’essentiel. Qui n’a pas été bouleversé en profondeur en rencontrant un SDF lors d’une maraude, un malade à l’hôpital, un étranger sans papier ? Saint François d’Assise avait l’habitude de fuir les lépreux, dont la vue et l’odeur l’insupportait. Mais le jour où il en a embrassé un, ce qui était pour lui amertume s’est transformé en douceur… Vivre entre-soi est un phénomène malheureusement très fréquent, même dans les religions où les règles alimentaires peuvent parfois être synonymes d’exclusion. C’est pour combattre cet entre-soi, qui peut aussi s’installer dans les familles, que l’inceste est un interdit moral majeur. Chez les sangliers, certains mâles vivent seuls et voyagent de harde en harde pour éviter la consanguinité et apporter du sang neuf… Nous aussi, allons vers les périphéries de nos existences pour apprendre de ceux qui sont différents de nous !

Ces deux histoires de repas nous renvoient à un troisième : l’eucharistie. Nous y participons comme invités par le Seigneur, mais il nous incombe aussi de l’inviter lui-même dans notre cœur. On peut malheureusement participer à la messe en refusant de s’offrir en profondeur à lui, ce qui revient à le laisser poliment en dehors de notre vie. Mais si nous lui ouvrons bien grand notre cœur, il y vient humblement, « sans obscurité, ténèbres ni ouragan, ou son de trompettes » (2° lect.) mais dans la brise légère (1R 19,12). Il vient à nous dans sa Parole, mais aussi dans le pain et le vin consacrés, symboles de la nourriture des pauvres. Et il vient à nous dans nos voisins, à qui nous allons tendre la main au moment du baiser de paix, même s’ils ne sont pas de notre « microcosme… A ce sacrement, ajoutons celui de la réconciliation. Faire la vérité en soi-même et la confesser au prêtre, voilà une des façons les plus efficaces de devenir plus humbles.

 

En conclusion, frères et sœurs, demandons au Seigneur la grâce de l’humilité. En reconnaissant que nous sommes de pauvres pécheurs pardonnés, et en nous approchant des petits, en particulier du tout-petit par excellence qu’est le Christ, lui qui est « doux et humble de cœur » (Mt 11,29), nous en goûterons la douceur. Abaissons-nous toujours plus afin que le Seigneur nous élève auprès de Lui dans la gloire du Ciel !

P. Arnaud