Adorons Dieu en esprit et en vérité[i]

Frères et sœurs, comment pouvons-nous adorer le Seigneur ? Parce qu’il a été créé à l’image de Dieu, qui est Trinité de Personnes, l’homme est un être de relations. Il ne peut s’enfermer en lui-même, il est appelé à se tourner vers l’Autre, et d’abord vers le Tout-Autre, Dieu lui-même (d’où notre axe pastoral, A la rencontre de l’Autre). Mais où Le trouver ? Dans son dialogue avec Jésus, la Samaritaine lui demande s’il faut l’adorer sur la montagne de Sichem, ou à Jérusalem (Jn 4,20). Il lui répond : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père… Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » (v.21.24) Autrement dit, nous pouvons adorer Dieu n’importe où, du moment que nous sommes « en esprit et en vérité ». Origène commente ainsi cette parole : « Adorer en esprit, c’est offrir des prières animées par l’Esprit de Dieu, et non selon la lettre. Adorer en vérité, c’est adorer le Père par le Fils, qui est la Vérité. » Pour lui, « en esprit » se réfère donc à l’Esprit Saint, et « en vérité » au Christ : toute adoration est trinitaire. Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? Nous pouvons adorer Dieu dans l’Eglise, qui est le Corps du Christ, mais aussi dans la Création, où son Esprit continue de souffler.

 

Pour commencer, nous pouvons adorer Dieu dans l’Eglise. Les églises de pierre d’abord. Nous sommes des êtres incarnés et nous avons besoin de lieux où nous recueillir dans le silence. Mais plus largement, l’Eglise est le Corps du Christ, dont nous sommes tous des pierres vivantes (1P2,5). Nous sommes « le temple de Dieu », bâti sur la pierre de fondation qu’est le Christ (2° lect.) et reliés au successeur de Pierre (dont la cathédrale est au Latran, dont nous fêtons la dédicace).

Pour les Juifs, le Temple de Jérusalem était le lieu privilégié pour adorer Dieu. C’est là seulement que l’on pouvait lui offrir des sacrifices. A chaque grande fête, ils devaient s’y rendre pour offrir à Dieu un agneau, ou deux petites colombes, selon leurs richesses. Ils pouvaient ainsi offrir à Dieu ce qui leur était le plus précieux, des animaux et même des enfants à certaines époques (comme dans d’autres civilisations). Mais le Seigneur a révélé que ce genre de sacrifice ne lui plaisait pas : « c’est l’amour qui me plaît et non les sacrifices, la connaissance de Dieu plutôt que les holocaustes. » (Os 6,6) Et le prophète Zacharie avait annoncé : « Il n’y aura plus de marchand dans la maison de Dieu Sabaot, en ce jour-là » (Za 14,21)

Ce jour-là est arrivé avec le Christ. Avec lui, il n’y a plus d’animaux à offrir, car c’est lui-même qui s’est offert librement pour notre salut. Il est à la fois la victime, mais aussi celui qui l’agrée (c’est-à-dire Dieu) et le Temple lui-même : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. » Ce sacrifice de Jésus, nous le rappelons dans chaque eucharistie : « Regarde, Seigneur, le sacrifice de ton Église, et daigne y reconnaître celui de ton Fils qui nous a rétablis dans ton Alliance » (PE n°3). Ainsi, la première façon d’adorer Dieu, c’est de venir le rencontrer à l’église, et en particulier lors de l’eucharistie où il s’offre sans cesse à nouveau pour nous.

 

Mais ce n’est pas que dans l’Eglise que nous devons adorer Dieu, c’est dans toute la Création. Elle-même est le premier Temple de Dieu puisqu’Il en est l’Artisan, avec son Souffle qui ne cesse de planer sur elle (cf Gn 1). Elle est le premier livre où Dieu se révèle. Nombre de psaumes appellent les créatures à adorer Dieu, notamment le 148 : « Louez-le, soleil et lune, louez-le, tous les astres de lumière ; Les montagnes et toutes les collines, les arbres des vergers, tous les cèdres ; les bêtes sauvages et tous les troupeaux, le reptile et l’oiseau qui vole… »

L’Esprit veut ainsi agir dans toutes les créatures, mais spécialement dans les hommes créés à l’image de Dieu. « Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (Gaudium et Spes 22).

Tout ce que nous recevons de l’Esprit est destiné à la gloire de Dieu mais aussi au salut du monde. N’oublions pas que « la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu ! » (Rm 8,19) C’est le sens de la vision d’Ezéchiel : il jaillit du Temple un torrent qui « assainit tout ce qu’il pénètre, même la mer Morte, et la vie apparaît en tout lieu où il arriveAu bord du torrent, sur les deux rives, toutes sortes d’arbres fruitiers poussent. Leurs fruits sont une nourriture, et leurs feuilles un remède. » (1° lect.) Et cette eau coule à l’orient de Jérusalem, c’est-à-dire dans le désert. Qu’est-ce que cette eau ? Le prophète l’a dit un peu avant : « Je verserai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés. De toutes vos souillures, de toutes vos idoles je vous purifierai. » Et il a ajouté : « Je mettrai en vous mon esprit : alors vous suivrez mes lois, vous observerez mes commandements et vous y serez fidèles. » (Ez 36,25.27) L’eau qui donne la vie est une des plus belles images de l’Esprit Saint, que nous avons reçu d’abord avec notre baptême puis avec notre confirmation, mais que nous recevons aussi dans chaque sacrement, et au-delà si Dieu le désire. La grâce ne se limite pas aux sacrements, et Dieu est libre de nous la donner comme et quand Il le souhaite. Mais Il nous la donne toujours pour le bien de tous, et pour que nous puissions faire fleurir les « déserts » de notre monde.

 

Finalement, où que nous soyons, nous sommes toujours dans l’Eglise, membres du Corps du Christ, et dans le monde, guidés et fortifiés par l’Esprit Saint. Parce que nous sommes les temples de Dieu, nous sommes appelés à lui offrir notre vie « en sacrifice saint, capable de Lui plaire : c’est là pour nous l’adoration véritable. » (Rm 12,1‑2) Notre cœur ne doit jamais devenir une maison de commerce, nous devons en chasser tous les esprits mauvais (orgueil, égoïsme, cupidité…) et notamment cette tentation insidieuse de traiter avec Lui selon le « donnant-donnant ». Elle s’exprime dans la prière intéressée (« si tu m’exauces, je viendrai à la messe tous les dimanches »), le service calculé (« je rends service à l’Eglise donc tu me dois bien un petit coup de pouce »), la fidélité conditionnelle (« je t’ai été fidèle, pourquoi me laisses-tu souffrir ? »), la culpabilité implicite (« si les choses vont mal, c’est que Dieu me punit ») … Demandons au Christ et à l’Esprit Saint de chasser eux-mêmes tout ce qui n’est pas pur dans notre relation avec le Père. C’est ainsi que notre cœur deviendra une source d’eau vive qui abreuvera ceux qui ont soif d’amour, de vérité, de justice… Seigneur, nous t’adorons !

P. Arnaud

[i] Au début de la célébration : En célébrant aujourd’hui la dédicace de la basilique du Latran, nous soulignons le lien qui nous unit tous au successeur de Pierre. Après avoir rappelé le week-end dernier que nous vivons en communion avec les défunts (ceux qui sont au Paradis et ceux qui sont encore au Purgatoire), nous élargissons aujourd’hui la perspective avec tous les vivants qui sont unis au Christ : la communion des saints englobe toutes ces personnes.