Kyrie eleison !
Frères et sœurs, comment pouvons-nous être sauvés ? Pendant des siècles, la peur de l’enfer était si forte que cette question était au cœur de l’existence des chrétiens. Aujourd’hui où si peu de personnes semblent craindre l’enfer, la question du salut s’est largement estompée. Beaucoup se contentent de gérer la réalité présente, soit parce qu’ils ne croient pas en une vie après la mort, soit parce qu’ils croient que « nous irons tous au paradis », comme l’a chanté Polnareff. Un grand théologien comme Origène n’a-t-il pas parlé de l’apocatastase, qui signifie que toutes les créatures seront sauvées, et même le diable ? Au regard de la miséricorde infinie du Seigneur, qui se révèle dans toute la Bible mais particulièrement avec le Christ, cette opinion est tentante. Mais en fait, il s’agit d’une erreur, que l’Eglise a fermement rejetée. La possibilité que l’homme ne soit pas sauvé est une des facettes de l’Amour de Dieu, qui a donné à l’homme et aux anges la liberté. « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2,4) mais Il ne veut forcer personne à entrer dans son Royaume. L’enfer, qui renvoie à un enfermement, est une possibilité laissée à notre liberté. Dans l’Apocalypse, saint Jean évoque 4 fois la « seconde mort »[i], qu’il compare à un « océan de feu » (Ap 21,8). Le salut, lui, ressemble à une grande et belle liturgie, dans laquelle les élus chanteront « le cantique de l’agneau. » (15,3) Cependant, lorsque quelqu’un lui demande : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? », Jésus ne répond pas à la question. L’important n’est pas de connaître le nombre des sauvés, mais d’en faire partie. C’est pourquoi Jésus dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite » et il ajoute solennellement : « Car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas ». Quelle est cette porte étroite ? Il le dit dans l’évangile de Jean : « Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé. » (Jn 10,9)[ii] Alors, comment entrer par cette porte ? Le Seigneur nous demande 3 attitudes : l’obéissance à ses commandements, la résilience, et la mission. J’illustrerai mes propos avec l’exemple de sainte Thérèse d’Avila, que le Seigneur « gratifia » en 1560, 6 ans après sa « grande conversion », d’une vision de l’enfer. Cette vision la terrifia et, en même temps, lui donna une détermination immense à toujours rester unie au Christ et à œuvrer pour le salut de tous.
Pour commencer, nous devons nous efforcer d’obéir aux commandements du Seigneur. Le verbe « efforcez-vous » employé par Jésus a la même racine que le mot « agonie » qui renvoie à son expérience de Gethsémani (il se dirige vers Jérusalem pour y vivre sa Passion). Autrement dit, le salut est un don de Dieu, mais il exige aussi un véritable combat spirituel. Certains doivent faire de gros efforts physiques pour perdre le poids qui les empêche de passer par certaines portes, mais nous devons tous faire des efforts spirituels pour nous débarrasser de ce qui nous encombre et passer par la porte du Christ. Certes, l’homme est sauvé par la foi, comme l’a martelé Luther, mais à condition de ne pas oublier que cette foi doit être bien vivante : « dans le Christ Jésus, ce qui importe, c’est la foi agissant par la charité. » (Ga 5,6) Jésus nous prévient que le maître de la maison interdira l’entrée dans son Royaume à certains qui se mettront alors à dire : « Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places. » Il leur répondra : « Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal. » Même la participation à l’Eucharistie n’est pas un sauf-conduit pour le Royaume ; elle nous en donne l’avant-goût et nous redonne des forces, mais à la fin de notre vie, nous serons jugés sur l’amour, c’est-à-dire sur le bien et sur le mal que nous aurons commis ou omis de faire[iii]. Jésus a dit que « depuis les jours de Jean Baptiste, le Royaume des cieux subit la violence, et ce sont les violents qui s’en emparent » (Mt 11,12), ce qui signifie que nous devons non pas faire violence aux autres, mais à nous-mêmes.
Lorsqu’elle a voulu franchir la porte du domicile de son papa pour ensuite franchir celle du Carmel, sainte Thérèse écrit : « on eût dit que chacun de mes os se séparait des autres ; je me fis si grande violence que, si le Seigneur ne m’eût aidé, mes considérations n’eussent pas suffi à me faire aller de l’avant. Il me donna le courage de me vaincre, et me permit d’agir. » (Vie 4,1)
Même si nous nous efforçons de notre mieux d’accomplir la volonté du Seigneur, il nous arrive de nous tromper, ou même de pécher. La tentation est grande alors de nous décourager. L’auteur de l’épître aux Hébreux écrit : « Mon fils, ne néglige pas les leçons du Seigneur, ne te décourage pas quand il te fait des reproches. Quand le Seigneur aime quelqu’un, il lui donne de bonnes leçons ; il corrige tous ceux qu’il accueille comme ses fils » (2° lect.) La correction du Seigneur peut produire d’abord de la tristesse, « mais plus tard, quand on s’est repris grâce à la leçon, celle-ci produit un fruit de paix et de justice ». La correction du Seigneur peut être une épreuve extérieure ou intérieure. Parfois, elle signifie seulement qu’Il nous « abandonne » à nos propres forces, afin que la « désolation » que nous éprouvions nous donne le désir de nous convertir ou de changer de direction. Et Il nous donne ensuite la force de le faire.
Sainte Thérèse a dit : « la sainteté, ce n’est pas de ne jamais chuter, c’est de toujours savoir se relever ». Alors qu’elle avait perdu sa ferveur initiale au long de ses années au Carmel, notamment à cause de ses nombreuses fréquentations mondaines au parloir, la vision du Christ enchaîné pendant sa Passion lui a permis de se ressaisir. « Le monde est en feu ! Ce n’est pas le moment de traiter avec Dieu d’affaires de peu d’importance ! » A partir de ce moment, elle renonça totalement à ses « distractions » qui l’empêchaient de passer facilement par la porte du Christ, et elle pénétra toujours plus au cœur de la demeure de Dieu.
S’efforcer d’être sauvé en accomplissant la volonté du Seigneur et en tirant parti de ses échecs et des épreuves de la vie est bien, mais pas suffisant. Nous ne pouvons pas nous contenter de notre salut personnel, sans vouloir celui des autres. Si Israël a été élu par le Seigneur, c’est pour être le médiateur du salut de tous les peuples, comme Il l’a déclaré par tous les prophètes, en particulier Isaïe : « de toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères, jusqu’à ma montagne sainte, à Jérusalem » (1° lect.) C’est notre mission de ramener tous nos frères vers le Christ. Nous pouvons le faire par nos paroles, nos actes, nos prières…
Reprenons une fois encore l’exemple de sainte Thérèse. Elle aurait aimé passer sa vie dans le Carmel qu’elle avait réformé et où elle se sentait si heureuse avec ses sœurs. Mais elle accepta de partir sur les routes cabossées d’Espagne pour créer 17 autres monastères de Carmélites « déchaussées » ! Son but était que d’autres sœurs aussi ferventes qu’elle prient pour le salut des âmes.
Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur veut sauver tous les hommes, mais Il ne veut pas le faire sans nous[iv]. Le Christ nous a prévenus : « il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. » Nul ne sait qui sera sauvé, seul Dieu jugera. Mais n’ayons pas peur : lorsque ses disciples ont demandé à Jésus, après le refus de l’homme riche de le suivre : « mais alors, qui peut être sauvé ? », il a répondu : « ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu. » (Lc 18,26) C’est pourquoi « on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu ». Seigneur, sauve-nous ! Kyrie eleison !
P. Arnaud
[i] Ap 2, 11 ; 20, 6.14 ; 21, 8
[ii] Saint Paul l’écrit à Timothée: « il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus. » (1 Tm 2,5)
[iii] « Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur !’, pour entrer dans le Royaume des cieux ; mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : ‘Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons été prophètes, en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?’ Alors je leur déclarerai : ‘Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui faites le mal !’ » (Mt 7,21-23)
[iv] La grâce est première, mais elle ne supprime pas la nature, elle la perfectionne (saint Thomas d’Aquin).