Mon âme exalte le Seigneur
Frères et sœurs, vivons-nous dans l’action de grâce ? Nous demandons beaucoup de choses au Seigneur, et nous avons raison, car nous sommes pauvres et fragiles, et Lui-même nous invite à agir ainsi. Le Notre Père, la prière chrétienne par excellence que le Christ nous a enseignée, est ainsi constituée de 7 demandes. Mais s’il est important de présenter nos demandes à Dieu, nous ne devons pas oublier de Lui rendre grâce. Une des premières choses qu’on enseigne à un enfant, c’est à dire « s’il te plaît », mais aussi « merci ». Alors, disons-nous souvent merci au Seigneur ? Cette fête de l’Assomption est particulièrement adaptée pour le faire. La Vierge Marie nous montre en effet l’exemple. Le Magnificat, que nous venons d’entendre, est le plus bel hymne d’action de grâce exprimé par une créature. « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ». Certes, Marie l’a dit ou chanté au moment où elle était devant sa cousine Elizabeth, peu de temps après avoir appris qu’elle deviendrait la Mère du Sauveur. Mais on peut dire que c’est tout au long de sa vie qu’elle a dû le chanter dans son cœur[i]. Au moment où elle a été emportée au Ciel pour rejoindre son Fils et son Créateur, comment ne pas imaginer qu’elle a chanté le Magnificat avec tout son cœur, avec les mêmes mots ou avec d’autres semblables ? Alors, pour exulter avec elle en Dieu notre Sauveur, faisons mémoire du passé, espérons dans l’avenir en nous appuyant sur les promesses divines, et convertissons-nous dans le présent en combattant les forces du mal.
Pour commencer, faisons mémoire du passé pour y discerner l’action de Dieu. « Souviens-toi » est un des commandements les plus fréquents de la Bible. Le Magnificat est pétri de réminiscences bibliques, notamment celle d’Anne qui rend grâce à Dieu de lui avoir donné le fils (Samuel) qu’elle lui avait supplié de lui donner, alors qu’elle était stérile. Cela ne signifie pas que cet hymne est seulement le fruit du travail génial de saint Luc, qui a écrit l’évangile, mais que Marie connaissait si bien les Ecritures que ses paroles ont jailli de son cœur et de sa mémoire. Chaque soir, les consacré(e)s le reprennent lors de l’office des vêpres pour rendre grâce à Dieu pour son action depuis le jour précédent. En ce cœur de l’été, le Seigneur nous invite nous aussi à faire mémoire de son action dans nos vies et dans l’histoire des hommes. Souvent, ce n’est qu’en prenant du recul que l’on prend conscience de cette action. C’est ainsi que Jacob s’écrie en s’éveillant, après avoir vu en songe une échelle monter vers le ciel avec des anges, et avoir entendu Dieu lui parler : « En vérité, le Seigneur est en ce lieu et je ne le savais pas ! » (Gn 28, 16) De même, dans ses Confessions, saint Augustin relit toute sa vie comme un chemin où Dieu était déjà là avant même qu’il en prenne conscience : « Bien tard, je t’ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard, je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors, et c’est là que je te cherchais… Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi » …
Faire mémoire du passé nous fortifie dans l’Espérance : puisque Dieu a toujours été avec nous, nous pouvons nous fier à ses promesses pour l’avenir. Alors, écoutons saint Paul : « La mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. En effet, de même que tous les hommes meurent en Adam, de même c’est dans le Christ que tous recevront la vie » (2° lect.).
Certes, contrairement à Jésus et Marie qui n’ont pas connu le péché, notre corps terrestre connaîtra la corruption, et nous devrons assumer la souffrance de nous en séparer. Et peut-être un certain nombre d’entre nous devront passer par le purgatoire avant d’entrer dans le bonheur parfait. Il vaut mieux tout faire sur cette terre pour l’éviter car cela signifiera beaucoup de souffrance (celle de ne pas être pleinement unis à Celui que nous aimons) mais celle-ci sera accompagnée de beaucoup de joie, celle de savoir que rien ne pourra empêcher notre transformation définitive. Et pour d’autres, la mort correspondra à une entrée immédiate dans le Paradis, où nous rejoindrons le bon larron et tous les autres élus !
Notre société souffre d’un terrible manque d’Espérance. Pour beaucoup, la mort est la fin de tout et c’est pourquoi d’une part on la craint tellement, et d’autre part on cherche à profiter au mieux de la vie présente en évitant à tout prix la souffrance. En tant que Chrétiens, nous avons reçu la grâce immense d’un but pour nos existences. Sénèque disait qu’ « il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait pas où il va ». J’ose ajouter que pour nous, il n’y a pas de mauvais vent, car un bon marin sait se diriger dans la bonne direction quelle que soit la direction où il souffle. C’est ainsi que Paul a pu affirmer que « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8,28).
La perspective de la résurrection a beau susciter en nous l’Espérance, elle ne supprime pas les difficultés du présent. Nous devons affronter un terrible Dragon, celui que saint Jean a décrit dans son Apocalypse (1° lect.). Il symbolise les forces du mal, à la fois le diable, la chair et le monde. Il est infiniment plus puissant que nous et pourtant, nous pouvons le vaincre, comme le fit saint Georges, ou au moins nous protéger de lui, si nous demeurons unis à Dieu. Prenons exemple sur la Vierge Marie, qui personnifie la femme de l’Apocalypse. On peut remarquer que le Dragon ne parvient à lui faire aucun mal car elle « s’enfuit au désert où Dieu lui a préparé une place ». Ce verset rappelle la fuite en Egypte, lorsque la sainte famille a fui la colère meurtrière du roi Hérode (Mt 2). Mais il évoque aussi le désert comme lieu privilégié de la rencontre avec Dieu, loin du bruit de la vie mondaine (dans la prière, le recueillement, la contemplation…) De grands peintres comme Caravage ont représenté Marie en train de fouler au pied le serpent, sans effort apparent[ii]. Le démon n’a aucune prise sur elle. C’est la raison pour laquelle il cherche à dévorer l’enfant et non la femme. Malheureusement, il a beaucoup de prises sur nous à cause de nos péchés. C’est pourquoi nous devons nous convertir. Et pour cela, nous devons d’abord assumer la vérité sur nous-mêmes. C’est le sens même du mot Assomption, qui vient d’assumere en latin : prendre auprès de soi, assumer. Le Seigneur a tout assumé de notre vie, « il a vécu notre condition d’hommes en toute chose, excepté le péché » (prière eucharistique n°4). Comme le disaient les Pères de l’Eglise, « ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé ». Cela signifie que nous devons accepter d’être en vérité devant le Seigneur. Le sacrement du pardon est aussi appelé celui de la confession car il nous demande de faire la vérité sur nous-mêmes, afin que le Seigneur puisse nous transformer.
Frères et sœurs, la présence de Marie dans la maison de Zacharie a entraîné l’exultation d’Elisabeth, une pauvre du Seigneur, mais aussi des deux enfants qui étaient dans leurs entrailles. Tous étaient remplis de l’Esprit Saint. Alors nous aussi laissons nous habiter et guider par le « père des pauvres » et exultons de tout notre cœur en Dieu notre Sauveur. Le Puissant fait pour nous des merveilles ;
Saint est son nom !
[i] « Tout est grâce », a dit la petite Thérèse : Marie a vécu chaque instant de son existence avec cette conviction profonde.
[ii] Admirez la Madone des palefreniers peint entre 1605 et 1606 et conservé à la galerie Borghèse de Rome.