En communion avec nos défunts (Sg 3,1-6.9 ; Ps 26 ; 1 Co 15,51-57 ; Jn 6,37-40)
Frères et sœurs, que pouvons-nous faire pour nos défunts ? Un récent sondage IFOP-Famille chrétienne nous apprend que les Français se répartissent en trois parts quasi égales entre ceux qui croient en une vie après la mort, ceux qui n’y croient pas, et ceux qui ne savent pas. Comparés aux 5% à 10% de pratiquants réguliers, les 32% qui croient en une vie après la mort constituent un cercle bien plus large. Sans compter que les agnostiques sont souvent bien plus proches des croyants qu’ils ne le pensent eux-mêmes : il suffit parfois d’un décès, d’une maladie, d’un accompagnement fraternel pendant un deuil etc. pour qu’ils franchissent la porte de la foi… Par contre, les représentations de l’au-delà traduisent une perte de l’ancrage de l’héritage chrétien. Seuls 7% espèrent « voir Dieu » après leur mort, alors que 40% n’attendent rien, et que les autres oscillent entre « tunnel de lumière » façon New Age et réincarnation façon bouddhiste (à la sauce occidentale !), ou au mieux les retrouvailles avec ses proches (ce qui est très « horizontal »). Alors, que pouvons-nous leur dire de notre espérance et leur proposer pour leurs défunts ? Certes, aller au cimetière est souhaitable, si nous le pouvons, parce que cette démarche nous aide à être en communion avec eux[i]. Mais au-delà, cette communion peut se vivre d’une triple façon. D’abord, en rendant grâce pour eux ; ensuite, en intercédant pour eux ; enfin, en nous convertissant avec l’espérance de les rejoindre un jour au Ciel.
Pour commencer, nous sommes invités à rendre grâce pour nos défunts : pour ce qu’ils ont été, et pour ce qu’ils sont maintenant. Il est bon d’abord de se souvenir de leur vie passée, non pour cultiver la mélancolie, mais pour les remercier – et remercier le Seigneur en même temps – de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils ont fait de bon, de beau, de vrai. Il ne s’agit pas de les canoniser, mais de reconnaître ce qui dans leur vie a revêtu une dimension d’éternité : leur amour pour les personnes – leur conjoint, leurs enfants, leurs proches… – quelques-unes de leurs œuvres, de leurs paroles…
Nous rendons grâce à Dieu pour ce que nos défunts ont vécu, mais aussi pour ce qu’ils vivent maintenant : ils sont sur « l’autre rivage », enfin à l’abri des tempêtes. La vie sur la terre nous offre de grandes joies, mais aussi beaucoup d’épreuves, car elle est un pèlerinage qui nous conduit jusqu’à Celui qui nous a créés. Notre but est donc au Ciel, où nous pourrons contempler le Beau, connaître toute la Vérité, ne plus accomplir que le Bien, et jouir de la Vie divine. Le Christ vient de nous le dire : « Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. » Comment ne pas nous réjouir pour et avec ceux qui goûtent peut-être dès maintenant le bonheur de la vie éternelle, c’est-à-dire la vie divine, et qui ressusciteront un jour dans son Paradis ?
Notre action de grâce, cependant, est accompagnée d’intercessions, car nous ne savons pas si la transformation de nos défunts s’est déjà totalement réalisée ou non. Hier, nous avons célébré tous les saints du ciel, connus et inconnus, tellement nombreux que saint Jean nous a parlé d’une « foule innombrable, que nul ne peut compter » (Ap 7,9). Ils ont été purifiés de toutes les scories du péché. Nous espérons très fort que c’est le cas de nos défunts, mais Dieu seul le sait. Au moment de leur mort, ils ont été jugés (l’Église parle du « jugement particulier »). La question n’est pas de savoir s’ils avaient fait le bien ou le mal, car la réponse est clairement « les deux », comme pour chacun d’entre nous, la question est de savoir s’ils s’étaient pleinement convertis.
Si ce n’était pas le cas, ne désespérons pas : dans sa miséricorde infinie, le Seigneur offre à tous de pouvoir revêtir le vêtement de noces (Mt 25). A moins de décider de se couper radicalement de Dieu (c’est ce qu’on appelle l’enfer, qui évoque l’enfermement de l’homme sans Dieu), le purgatoire constitue une « seconde chance » pour les défunts qui n’étaient pas parfaitement purifiés au moment de leur mort. Mais si le purgatoire est source d’une joie immense, celle d’être purifié petit à petit par le feu de l’amour de Dieu, et de le voir de mieux en mieux, il est aussi source d’une grande souffrance, celle de ne pas pouvoir le voir encore parfaitement à cause du péché qui a rendu l’âme imparfaite, comme la rouille qui recouvre un objet l’empêche de recevoir pleinement les rayons du soleil. C’est pourquoi les âmes du purgatoire ont besoin de nos prières. Et si les défunts pour lesquels nous prions sont au Paradis, nos prières serviront mystérieusement à d’autres, qui en ont besoin.
Certains défunts ont encore à se laisser purifier, mais nous aussi ! Notre société se « désincarne » de plus en plus, et la mort est devenue une étrangère, souvent reléguée aux hôpitaux. Certains rêvent de la repousser toujours plus loin, voire définitivement. Pourtant, soyons lucides, nous devrons mourir à notre tour, et au moment de rejoindre Dieu et ceux qui nous ont précédés, nous serons jugés. Chaque année, le mois de novembre (qui commence par la Toussaint et culmine avec le Christ-Roi) nous replace devant la perspective des fins dernières, qui incluent notre mort et notre jugement. Cette perspective ne doit pas nous faire peur, mais nous inciter à la conversion. Certes, nous pouvons compter sur le purgatoire, mais autant réussir notre examen sans devoir passer par l’oral de rattrapage ! Nous serons plus vite en vacances ! Voici ce qu’écrit la petite Thérèse : « Avec ceux qui s’efforcent de répondre à son amour, Jésus est « aveugle » et ne « compte pas », ou plutôt il ne compte, pour les purifier, que sur ce feu de charité qui « couvre toutes les fautes » et surtout sur les fruits de son perpétuel Sacrifice. Oui, malgré vos petites infidélités, vous pouvez espérer d’aller droit au ciel, car le bon Dieu le désire encore plus que vous et il vous donnera sûrement ce que vous aurez espéré de sa miséricorde » [ii]. Alors, efforçons-nous de répondre à l’amour du Seigneur, et laissons le feu de la charité couvrir toutes nos fautes ! Si nous nous convertissons ainsi, nous n’avons pas à craindre le jugement, comme Jésus l’a dit : « celui qui écoute ma parole et croit au Père qui m’a envoyé, celui-là obtient la vie éternelle et il échappe au Jugement, car il est déjà passé de la mort à la vie. » (Jn 5,24)
Ce qui nous empêche peut-être de nous convertir pleinement, ce sont les épreuves de la vie, qui peuvent nous pousser à nous éloigner de Dieu ou à rejeter l’Amour. Alors, réécoutons les paroles de la Sagesse au sujet des justes : « Après de faibles peines, de grands bienfaits les attendent, car Dieu les a mis à l’épreuve et trouvés dignes de lui. Comme l’or au creuset, il les a éprouvés ; comme une offrande parfaite, il les accueille. » (1° lect.) Les épreuves peuvent nous purifier, si nous les vivons dans la foi avec le Christ. Grâce à elles, notre purgatoire peut être vécu sur la terre, et pas au-delà !
Ainsi, frères et sœurs, nous sommes invités à prier pour les défunts dans un esprit d’action de grâce à la fois pour ce qu’ils ont été, et pour ce qu’ils sont maintenant ; d’intercession pour les aider à se débarrasser totalement de l’homme ancien qui était en eux ; et de conversion, pour nous en débarrasser nous-mêmes dès ici-bas. Alors, n’hésitons pas à demander aux défunts leur aide, car eux aussi peuvent prier pour nous ! Et écoutons le Christ par qui nous pouvons passer de la mort à la vie, et qui veut tous nous ressusciter un jour dans son Paradis !
P. Arnaud
[i] C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, même si elle autorise la crémation, l’Eglise demande que les cendres soient gardées précieusement dans une urne, et que celle-ci soit placée dans un lieu de mémoire autre que notre lieu de vie.
[ii] Voici la citation complète : « Ecoutez jusqu’où doit aller votre confiance ! Elle doit vous faire croire que le purgatoire n’est pas fait pour vous, mais seulement pour les âmes qui ont méconnu l’Amour miséricordieux, ou qui ont douté de sa puissance purificatrice. Avec ceux qui s’efforcent de répondre à cet amour, Jésus est « aveugle » et ne « compte pas », ou plutôt il ne compte, pour les purifier, que sur ce feu de charité qui « couvre toutes les fautes » et surtout sur les fruits de son perpétuel Sacrifice. Oui, malgré vos petites infidélités, vous pouvez espérer d’aller droit au ciel, car le bon Dieu le désire encore plus que vous et il vous donnera sûrement ce que vous aurez espéré de sa miséricorde. C’est votre confiance et votre abandon qu’il récompensera ; sa justice, qui connaît votre fragilité, s’est arrangée divinement pour y parvenir. »