Il nous a donné part à son Esprit
Frères et sœurs, quel esprit nous habite et nous meut ? Est-ce l’Esprit Saint ? Avant de méditer dimanche prochain – jour de la Pentecôte – sur l’action missionnaire de l’Esprit, qui nous pousse vers les non-croyants, nous sommes invités à méditer aujourd’hui sur son rôle plus intime, celui de nous unir à Dieu et aux autres disciples. « Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. » (2° lect.) La 3ème Personne de la Trinité unit le Père au Fils, et nous donne d’entrer dans leur intimité. Cette intimité nous est rarement dévoilée dans les évangiles. On voit souvent Jésus qui prie, mais on n’entend ses paroles qu’en quelques circonstances[i], en particulier lorsqu’il s’adresse à son Père au moment de son dernier repas, livrant ainsi son testament spirituel dans ce qu’on a appelé le « discours sacerdotal » (Jn 17). Ici, Jésus prie justement pour que ses disciples puissent entrer dans son intimité avec son Père. Comment accueillir en nous l’Esprit pour vivre dans l’intimité du Père et du Fils ? Jésus donne 3 conditions, que la Vierge Marie a parfaitement remplies, qui « s’imbriquent » les unes dans les autres comme des poupées russes : d’abord être unis en son nom ; ensuite se garder du Mauvais; enfin se sanctifier dans la Vérité.
Pour commencer, Jésus prie ainsi : « Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes. » Les divisions entre Chrétiens sont non seulement un contre-témoignage, mais aussi nous éloignent de l’union parfaite avec le Seigneur. Elles font « fuir » l’Esprit Saint. Admirons la première communauté chrétienne, réunie autour de Pierre comme chef mais aussi de Marie comme « maman » (Ac 1,14). « Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun. » (Ac 2,44‑45) Après la défection de Judas, que « l’Esprit avait d’avance annoncée », elle se rassemble dans la prière pour que le Seigneur lui-même lui indique celui qu’Il a choisi pour prendre la place que l’apôtre « a désertée en allant à la place qui est désormais la sienne » (1° lect.). Judas s’est coupé du Christ et de la communauté. Mais il doit être remplacé car le chiffre 12 est justement symbole d’unité et de plénitude (les 12 tribus d’Israël, les 12 portes de la Jérusalem céleste, les 12 heures du jour et de la nuit et les 12 mois de l’année[ii]…)[iii]
Le désir d’unité est puissant dans le cœur de l’homme, il habite même dans le cœur de ceux qui s’opposent au Seigneur, comme l’épisode de Babel en témoigne. Plus récemment, Hitler voulait rassembler tous les hommes sous la bannière du pangermanisme. C’est pourquoi Jésus précise : « dans ton nom, le nom que tu m’as donné ».
Comment demeurer unis dans le Christ ? C’est l’objet de la 2ème demande: « Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde. » Pourquoi ne sommes-nous pas du monde ? Parce que son prince, c’est Satan ou le diable[iv], qui cherche à nous unir contre Dieu ou à nous diviser (dia/bolos) par ses mensonges. Il est « menteur et père du mensonge » (Jn 8,44). Souvenons-nous de la Genèse. Après s’être laissés tenter par lui, Eve et Adam se sont cachés de Dieu mais aussi l’un de l’autre. La Vierge Marie est la nouvelle Eve, qui a vaincu Satan parce qu’elle est toujours restée fidèle aux commandements du Seigneur. Dans beaucoup de peintures, on la voit qui foule aux pieds sans effort le serpent de la Genèse…
Comme elle, nous devons faire preuve de vigilance pour nous garder du Mauvais, mais aussi pour ne pas « appartenir au monde » (le mot apparaît 9 fois dans la péricope d’aujourd’hui). Face au monde, devons-nous adopter une attitude de rejet total ? Non, car le monde a été créé bon par le Seigneur, et les semences d’évangile y ont également produit beaucoup de bons fruits. En Europe, en particulier, nous bénéficions des intuitions géniales des fondateurs de la Communauté Européenne[v], qui étaient tous des chrétiens convaincus. Mais la parabole de l’ivraie et du bon grain (Mt 13) nous révèle que tous deux croîtront ensemble jusqu’à la Parousie[vi]. Prenons l’exemple d’internet : il véhicule le meilleur comme le pire. Et même le meilleur, nous devons l’accueillir avec prudence afin de ne pas devenir esclave de notre portable et de cultiver notre vie intérieure.
Comment ne pas nous laisser piéger par les mensonges de Satan et trouver notre juste place dans le monde ? C’est l’objet de la 3ème demande de Jésus : « Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. » C’est grâce à la Parole de Dieu que Jésus a vaincu Satan dans le désert. Notons que celui-ci a également utilisé l’Ecriture pour le tenter, lorsqu’il lui a dit : «Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre[vii]. » Cela doit nous protéger du risque de fondamentalisme : l’Ecriture ne nous sanctifie dans la vérité que si elle est accueillie avec amour, et non utilisée à nos propres fins. Autrement, on peut faire dire n’importe quoi à l’Ecriture et, au lieu de servir Dieu, on fait de Lui notre serviteur. C’est pourquoi elle doit être reçue en Eglise, qui nous donne de bien l’interpréter grâce aux méditations de nos frères et sœurs du passé et du présent, et qui forment ce qu’on appelle la Tradition.
N’oublions pas que nous ne sommes pas une religion du livre. Alors que les musulmans considèrent le Coran comme incréé, et alors que Luther affirmait : « sola scriptura », seule l’Ecriture nous sauve, nous – catholiques – croyons que la vérité est une Personne, le Christ[viii], et que c’est lui seul qui nous sauve. C’est pourquoi nous donnons à la Tradition plus d’importance qu’à l’Ecriture, la seconde étant elle-même issue de la première. De fait, le canon des livres considérés comme inspirés n’a été fixé qu’assez tard (à la fin du IV° s. et confirmés par le concile de Trente au XVI°) et après bien des débats.
Elargissons encore la perspective, au-delà de l’Ecriture et de la Tradition. Dieu parle à l’homme d’autres manières encore : dans le livre de la nature, mais aussi dans la prière, les personnes, les évènements… Dans tous les cas, Il se sert de médiations pour atteindre notre intelligence.
La Vierge Marie, qui « retenait tous les événements et les méditait dans son cœur » (Lc 2,19), est pour nous un modèle. Même si elle était pleine de grâce depuis sa conception, elle n’a pas tout compris tout de suite, elle s’est laissée sanctifier progressivement dans la Vérité.
Ainsi, frères et sœurs, le Christ a prié son Père pour que nous entrions dans leur intimité, en nous laissant habiter et mouvoir par l’Esprit Saint qui les unit. Pour ne pas le faire fuir, il y a 3 conditions : être unis les uns aux autres en Christ ; nous garder du Mauvais et être vigilant dans notre rapport au monde ; nous sanctifier dans la Vérité, en méditant la Parole de Dieu. En ces jours qui précèdent la Pentecôte, laissons-nous guider particulièrement par l’Esprit, qui nous unira au Père et au Fils. Alors, nous pourrons goûter la joie que le Christ a demandé pour nous à son Père : « Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. »
P. Arnaud
[i] Lorsqu’il exulte de joie sous l’action de l’Esprit Saint, et proclame la louange du Père qui se révèle aux tout-petits. (Lc 10,21) ; lorsqu’il remercie son Père de ressusciter Lazare (Jn 11); lorsqu’à Gethsémani, il le supplie de lui épargner la croix…
[ii] Ou encore les 12 fruits de l’arbre de vie, les 12 étoiles de la femme de l’Apocalypse…
[iii] Et celui qui prendra sa place doit être choisi par Dieu comme les autres apôtres. Même si Joseph était reconnu comme un homme juste et avait sans doute la préférence de beaucoup, c’est Matthias qui sera choisi…
[iv] Cf Jn 12, 31 ; 14, 30 ; 16, 11
[v] Appelée CECA au départ, communauté européenne du charbon et de l’acier
[vi] Finalement, que dire de notre rapport au monde ? Comme l’écrit l’auteur de l’épître à Diognète, une apologie du christianisme de la fin du 2° siècle, « en un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L’âme est répandue dans tous les membres du corps comme les chrétiens dans les cités du monde. L’âme habite dans le corps, et pourtant elle n’appartient pas au corps, comme les chrétiens habitent dans le monde, mais n’appartiennent pas au monde ».
[vii] Ps 91,11-12 & Mt 4, 6
[viii] cf Jn 14,6 & He 4,12