L’école de l’Amour

Frères et sœurs, pourquoi célébrer la sainte famille ? D’abord parce que nous l’aimons et la vénérons. Mais aussi pour la prendre pour modèle. La famille est en effet une institution à la fois fondamentale et fragile. Fondamentale, parce qu’elle est une école de l’amour, et que c’est là que se situe le plus important dans la vie, la source de notre bonheur. Fragile, parce que notre amour est fragile : certains d’entre nous sont des génies en sciences ou en art, mais nous sommes tous des débutants en amour. Aujourd’hui plus que jamais, la famille est en danger : un couple sur deux divorce,  et certains considèrent l’enfant comme une marchandise et les personnes âgées et/ou malades comme des poids pour la société. Alors, qu’est-ce que la Sainte Famille peut nous enseigner ? Elle nous enseigne à pratiquer le plus grand des commandements : l’amour de Dieu, l’amour du prochain, l’amour de soi-même.

 

Pour commencer, nous sommes appelés à aimer Dieu de tout notre être, car c’est de Lui que nous tenons la Vie. Or, la tentation des parents, c’est de considérer qu’ils sont les auteurs de la vie de leur enfant, et donc aussi ses maîtres. Cette tentation est très forte aujourd’hui où l’homme s’est transformé en démiurge et souhaite fabriquer les vivants selon ses désirs. La contraception, qui permet de maîtriser le désir d’enfant, l’avortement, qui permet la suppression des enfants non désirés, et toutes les techniques de création in vitro vont dans le même sens, celui d’une humanité qui veut se mettre à la place de Dieu[i]. Cette tentation a néanmoins toujours existé, et c’est pourquoi le Seigneur avait demandé à Abraham de sacrifier son enfant : non pour l’éliminer, mais pour le lui redonner avec un esprit nouveau, en respectant sa liberté. « Vos enfants ne sont pas vos enfants » écrivait Khalil Gibran.

Les récits de ce dimanche nous aident à entrer dans cette perspective. Pour commencer, Anne accepte de consacrer au Seigneur l’enfant qu’elle lui avait demandé avec tant d’insistance dans sa prière, Samuel (c’est-à-dire : Dieu exauce). Au lieu de l’enfermer dans son amour maternel, elle le redonne à celui qui le lui a donné. Au prêtre Eli à qui elle le remet, elle dit : « C’est pour obtenir cet enfant que je priais, et le Seigneur me l’a donné en réponse à ma demande. À mon tour je le donne au Seigneur pour qu’il en dispose. Il demeurera à la disposition du Seigneur tous les jours de sa vie. » Quel exemple admirable de dépossession !

Dans l’évangile, c’est Jésus lui-même qui va aider ses parents à faire cette démarche. En demeurant 3 jours au Temple alors qu’ils le cherchaient, il va accepter et même provoquer leur angoisse, exprimée par Marie au moment des retrouvailles : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! » Mais au lieu de leur demander pardon, il déclare : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Alors qu’il a maintenant 12 ans, l’âge de la maturité religieuse, il leur fait comprendre qu’il ne leur appartient pas, et qu’il a reçu une mission de son Père, qu’il devra accomplir un jour.

 

En plus d’aimer Dieu, la famille peut nous enseigner à aimer notre prochain. On choisit ses amis, mais pas ses frères et sœurs. Cette « cohabitation » forcée peut entraîner le ressentiment et même la haine, comme on le voit dans certaines familles. La bible nous montre ainsi plusieurs luttes fratricides : Caïn tue Abel, Jacob trompe Esaü puis Laban et doit s’enfuir pour ne pas être tué lui aussi, les fils de Jacob vendent leur frère Joseph après avoir failli le tuer… En même temps cependant, elle nous montre que la fraternité est possible : Jacob se réconcilie avec Jacob puis Esaü, tout comme Joseph et ses frères. En apprenant à aimer l’autre tel qu’il est, sans avoir la possibilité de le fuir, je découvre les richesses insoupçonnées de l’Amour, même si je fais face parfois à mes limites.

Mais au-delà de la famille biologique, nous sommes appelés à vivre une véritable fraternité entre chrétiens d’abord, particulièrement lorsque nous sommes membres d’une même communauté paroissiale, mais aussi entre êtres humains. Le Christ n’a pas eu de frères et sœurs de sang, mais il est devenu le frère de tous ceux qui ont accepté d’être ses disciples. Tout comme les parents peuvent être possessifs vis-à-vis de leurs enfants, certaines familles peuvent devenir des « clans », à l’image de celles qu’on voit dans les mafias. C’est pourquoi Jésus a dit, alors que sa mère et ses « frères » (c’est-à-dire ses cousins) le cherchaient : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. » (Lc 8,21) Si le pape François a écrit sa seconde encyclique sur la fraternité, c’est parce que notre société humaine est fortement fragmentée et que nous devons apprendre à créer des liens entre nous, en allant à la rencontre les uns des autres.

 

En plus d’aimer Dieu et mon prochain, la famille peut m’aider à m’aimer moi-même. C’est parfois le plus difficile. Il arrive que les enfants soient confrontés aux moqueries de leurs camarades, qui leur renvoient en pleine figure leurs moindres défauts ou ceux de leurs proches. Ils sont parfois obligés de lutter pour être acceptés par les autres. Mais s’ils ont la chance de vivre dans une famille aimante, ils peuvent s’y reposer et y être eux-mêmes, sans devoir donner de faux semblants.

Mais là aussi, nous pouvons compter sur une famille plus large que celle de nos liens biologiques. Même si je ne suis pas aimé dans ma famille, je sais que le Père céleste m’aime, et qu’Il m’a créé à son image, si bien que je peux m’estimer et m’aimer moi-même comme un véritable fils de Dieu.

C’est parce que Jésus s’aimait parfaitement lui-même qu’il a pu être libre dans toutes ses actions. Sa « fugue » au temple manifeste qu’il a une totale confiance en lui. Cette confiance, elle n’a pu grandir que grâce à Marie et Joseph, qui lui ont donné leur amour de façon constante.

Aujourd’hui, on parle beaucoup d’accomplissement de soi, et cet objectif devient un marché juteux, avec les techniques orientales de relaxation, celles utilisées dans les entreprises pour le développement des compétences… Toutes ces méthodes peuvent être utiles, mais à condition que la personne les emploie pour mieux servir les autres, et non pour une pseudo perfection individualiste.

 

Ainsi, frères et sœurs, la famille est une école où l’on apprend à aimer Dieu, son prochain et soi-même. La société de consommation dans laquelle nous vivons promeut une « culture de mort » qui tend à désintégrer les familles. Nous devons promouvoir une culture de vie, « l’évangile de la Vie », selon le titre d’une encyclique magnifique du Pape Jean-Paul II, dans laquelle puisse se développer la fraternité entre les hommes. Aujourd’hui, prions et œuvrons pour notre famille biologique, mais aussi pour l’Eglise, la famille des disciples du Christ, et pour l’humanité, la famille des enfants de Dieu. Mettons-nous à l’école de la sainte famille de Nazareth pour nous y aider.  

P. Arnaud

[i] 200 000 enfants sont avortés chaque année en France ; des milliers d’autres sont congelés en l’absence de projet parental, ou pour des recherches dites « thérapeutiques » ; des femmes louent leur ventre pour d’autres, ce qu’on appelle la GPA (gestation pour autrui) ; on cherche à se débarrasser des personnes âgées devenues encombrantes par l’euthanasie…