Accepter de ne pas combler le manque

Puisque nous sommes judéo-chrétiens, les propos de la rabbin Delphine Horvilleur doivent retenir notre attention, car ils parlent de nous en évoquant les patriarches. Elle s’interrogeait sur les ‘héros’ juifs remarquant souvent leur handicap : Isaac finit aveugle, Jacob est boiteux, etc… « Tous, dit-elle, ont construit leur leadership sur leur vulnérabilité domptée ». Qu’est-ce à dire ? Ainsi Isaac après s’être fait joué par Jacob (et Rebecca) mais ne reprend pas la bénédiction qu’il voulait offrir à Esaü. Il accepte donc que le plan de Dieu passe par un autre que celui qu’il avait prévu. Jacob se sachant plus faible que son frère Esaü, à cause de sa hanche démise (au combat avec l’ange), ira au devant de celui-ci pour arranger une réconciliation en s’acceptant plus faible.

Ainsi la rabbin conclue : « Le manque sur lequel le juif se construit, est indestructible à condition qu’il accepte de ne pas le compléter. » Notre force spirituelle vient donc de notre faiblesse quand on ne cherche pas à la camoufler, ou à la nier.

En ces jours où nous sommes quelque peu vulnérable et dans le manque, il est bon de méditer cette identité spirituelle pour y correspondre ; où alors la pandémie et son lot de décès aura été méprisé. Au nom de tous ces souffrant, nous avons comme un devoir moral de méditer sur nous-mêmes, et notre vocation de chrétienne. De méditer aussi sur nos faiblesses, et notre façon de les accepter.

Je ne vous invite pas à une introspection ou une auto-analyse, mais simplement à porter un autre regard sur ce qui nous manque. Comment est-ce que je réagis ? Qu’est-ce que je fais de ma frustration. Certain diront un peu fièrement, qu’ils s’en accommodent très bien. Je leur dirai que cela ne suffit pas. Le chrétien est celui qui par son sacerdoce baptismal, vit dans l’offrande du monde, de lui-même et des autres.

Reste à y penser, pour cela il nous faudra dompter le silence. Je laisse au père Guy Gilbert vous en parler.

Ma force : silence et prière

Le monde d’aujourd’hui a un besoin tragique de silence. Le silence porte en lui-même une force pas possible: celle qui permet de s’interroger sur soi d’abord. Les questions « Qui suis-je », « Où vais-je ? », « Qu’est-ce qui me pousse à agir ? », on peut les biffer toute une vie, en courant après tout, sauf après soi-même, en refusant de se donner des réponses à ces questions vitales. Peut-être avons-nous peur des réponses justement, à cause de l’engagement qu’elles peuvent susciter et des virages à prendre.

Si je n’avais pas comme ascèse ces heures absolument consacrées à moi-même et a Dieu, je manquerais I’essentiel de ce que je veux vivre. Je n’aurais jamais entendu les appels de Dieu dans ma vie concrète. Je n’aurais jamais pu deviner, derrière l’événement, Dieu qui fait signe. Seuls, le silence et la prière ont pu me faire comprendre. Mais pour cela, il a fallu que je m’isole et m’assoie de multiples fois.

Le silence a le don de relativiser et de dynamiser à la fois, de façon parfois stupéfiante, mon action. Il nous accule, en effet, à tourner notre regard vers Dieu. Cette immobilité est la source des plus riches moissons. Il nous pousse, de plus, à ne pas nous croire indispensables. Ce qui est une de nos plus puissantes tentations aussi orgueilleuses que destructrices. C’est souvent dans les longues marches silencieuses en forêt que j’ai compris que la prière était l’action prioritaire de l’homme de Dieu. Le silence dégage les essentiels de ma vie. La prière me donne la force de les vivre.

Guy Gilbert, prêtre éducateur

P. Bruno