Chaque année, la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens (du 18 au 25 janvier) permet aux catholiques parisiens de rencontrer les membres d’autres Églises. Mais au-delà de ce rendez-vous annuel, certains vivent l’œcuménisme au quotidien, témoignant des nombreux fruits reçus. Enquête du Paris Notre Dame du jeudi 26 janvier 2023.

Dans le chœur de l’église du St-Esprit (12e), neuf représentants des principales Églises chrétiennes, revêtus de leurs habits liturgiques, sont réunis en ce mercredi 18 janvier pour la célébration œcuménique régionale qui ouvre la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Aux côtés de Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, des pasteurs protestants, anglicans et évangéliques, mais aussi des prêtres et évêques orthodoxes, reconnaissables à leurs couvre-chefs noirs. Au son de l’orgue, ils ont ensemble remonté la nef. Procession singulière traversant une assemblée cosmopolite, composée de nombreux paroissiens de l’église hôte. Une joie pour le P. Arnaud Duban, leur curé, qui accueille cette célébration régionale pour la deuxième fois : « L’église du St-Esprit est construite sur le modèle de la basilique Sainte-Sophie (Constantinople), comme un pont entre l’Orient et l’Occident. Elle témoigne de notre désir de communion, possible par l’action de l’Esprit Saint. Nous parlions en paroisse de cette rencontre depuis plusieurs semaines. L’œcuménisme est une nécessité, souvent très – voire trop – négligée par les chrétiens. » Au cours de la veillée de prière qui alterne chants et lectures, les ministres du culte adressent les uns après les autres leurs demandes d’unité au Seigneur. « Vois ces visages rassemblés en une sainte communauté que tu as envoyé porter ton Évangile, exprime pour sa part Mgr Ulrich. Envoie-les, par ton Esprit Saint, porter témoignage et rechercher la justice. Soutiens-les pour qu’ils soient un afin que le monde croie que tu as envoyé ton Fils unique Jésus pour le salut du monde. » Dans l’assemblée, Juliette, 22 ans, membre de l’Église protestante unie de France (ÉpudF). La jeune femme s’est déplacée avec une partie des colocataires de la Maison d’Unité (12e). Au sein de ces colocations œcuméniques lancées en 2013, elle partage un logement avec deux amies, l’une évangélique et l’autre catholique. Ayant grandi dans un foyer agnostique, l’étudiante est « venue à Dieu à l’adolescence par des cours de catéchisme catholique » avant de finalement se sentir « appelée à rejoindre l’Église réformée ». Une incompréhension pour certains de ses amis catholiques, rencontrés plus tard lors de ses études supérieures : « Ils ne comprenaient pas que l’on puisse être autre chose que catholique… Vivre aujourd’hui au contact quotidien de catholiques avec qui je peux échanger spirituellement est venu rétablir un dialogue qui était rompu. » Ces quarante-cinq jeunes de 18 à 35 ans – catholiques, protestants et, pour l’un d’eux, orthodoxe – partagent en effet des temps hebdomadaires d’échanges sur des textes bibliques. « Nous prions les uns pour les autres avant de conclure par un temps de louange, ajoute-t-elle. Ces temps permettent de se consacrer sur ce qui rassemble les chrétiens plutôt que ce qui les divise. Dans un souci d’œcuménisme, ils sont adaptés à tous – le Notre Père est récité jusqu’à “Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles” comme chez les protestants, il n’y a pas de chants mariaux et des icônes orthodoxes peuvent être présentes. »

Une jeunesse trop en retrait ?

Juliette et ses colocataires rajeunissent l’univers de l’œcuménisme parisien. La majorité des groupes de la capitale ayant été créés à la suite de la première rencontre de Taizé en 1978, leurs membres sont presque tous aujourd’hui retraités. Comme Françoise, 75 ans, catholique et membre du Cercle œcuménique du 15qui regroupe une centaine de membres dans l’arrondissement et qui organise, tout au long de l’année, conférences, échanges et prières. « Nous rencontrons de véritables difficultés à mobiliser les jeunes, regrette-t-elle. J’ai le sentiment que cette génération se sent peu concernée par l’œcuménisme, sans doute parce que chacun cherche ses repères dans sa propre communauté… » Pour le P. Jérôme Bascoul, vicaire épiscopal pour l’œcuménisme, « l’enthousiasme pour le rapprochement entre les Églises chrétiennes, suscité par le Concile Vatican II, est aujourd’hui retombé mais la majorité des jeunes catholiques bénéficie aussi des fruits de ces initiatives des années 1970 : les différences théologiques sont devenues secondaires pour toute une tranche d’âge et ils ont le sentiment d’appartenir au même groupe, celui des chrétiens. »

L’échelon paroissial, un maillon essentiel

Et le P. Bascoul de préciser : « L’unité entre les Églises ne pourra pas se décréter de manière démocratique ni autoritaire. Ce travail appartient à l’Esprit Saint. De fait, à vue humaine, ce rapprochement paraît impossible. Mais l’approfondissement du dialogue et de la solidarité concrète peuvent le faire advenir. Ces éléments sont à la portée de tous, fidèles comme pasteurs. » Et ce sont parfois des événements imprévus qui poussent à la rencontre et à la solidarité entre chrétiens. Ainsi, quand la chapelle orthodoxe St-Séraphin-de-Sarov (15e) est détruite par un incendie en avril 2022, le curé de la paroisse voisine de St-Léon (15e) « n’hésite pas un seul instant » à accueillir la communauté orthodoxe touchée au début de sa Semaine sainte. « Nous partageons depuis bientôt un an la crypte de l’église, témoigne le P. Emmanuel Schwab. Elle est orientalisée : nous célébrons notre messe de l’autre côté de l’autel, comme les orientaux. Cela ne pose aucun problème à la communauté paroissiale. » Et le curé de confier : « Il y a quelque temps, alors que j’étais en train de prier dans la crypte avant la messe, j’ai vu une paroissienne catholique s’approcher des icônes pour les vénérer avant d’aller s’assoir. » Alors que la communauté orthodoxe doit retrouver sa chapelle restaurée sous peu, le P. Bascoul souligne l’importance de l’échelon local : « C’est au niveau paroissial que beaucoup se joue car c’est le lieu des relations amicales et de la connaissance. Les paroissiens deviennent des ambassadeurs de la cause de l’unité visible des chrétiens. Et la technicité du dialogue œcuménique peut également être mise au service de l’unité à l’intérieur de l’Église catholique. Il y a toujours un risque de relativisme, mais c’est aussi le prix pour l’intelligence de notre foi. » Françoise, du Cercle œcuménique du 15e, l’a d’ailleurs expérimenté à titre personnel : « Grâce à l’œcuménisme, je suis devenue très tolérante vis-à-vis des catholiques de toute sensibilité. Maintenant, que la messe soit charismatique ou plus traditionnelle, j’arrive à comprendre tout le monde. »

 

C’est Mgr Dimitrios PLOUMIS, Métropole grecque orthodoxe de France, qui a prêché. Voici son homélie :

Son Eminence le Métropolite Dimitrios de France

Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens

18 janvier 2023

Eminences, Excellences,

Bien chers Pasteurs, Prêtres et membres du clergé

Chers frères et sœurs en Christ,

 

« Apprenez-à faire le bien, recherchez la justice », nous dit avec force le prophète Esaïe. Cette citation et le thème général choisi pour cette année à l’occasion de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens s’enracinent dans la conviction profonde que la foi se doit de dépasser les murs de nos églises pour façonner le monde et la société qui nous entourent. Trop facilement en effet nous nous retranchons derrière nos réflexions théologiques pour éviter de parler des sujets contemporains qui structurent la vie de la cité, que nous le voulions ou non. C’est certainement ce qui a poussé les membres du Conseil des Eglises du Minnesota au Etats-Unis d’Amérique à mettre en avant la question de la justice sociale, en lien direct avec les événements liés à l’assassinat de George Floyd en mai 2020 dans ce même état. Ces événements ont mis en lumière la persévérante ténacité du racisme aujourd’hui et nous savons tous parfaitement combien ils ont eu un écho mondial. La préparation du thème et des ressources utilisés au cours de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens est la responsabilité d’une communauté œcuménique locale et notre prière commune sert de puissante caisse de résonnance aux soucis qui traversent les Eglises et communautés chrétiennes dans leur incarnation dans l’ici et maintenant de la vie du monde.

 

Cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens nous offre donc l’opportunité de revisiter, voire d’interroger le rôle de l’œcuménisme comme ferment social. En effet, la perspective de l’unité des chrétiens ne peut se cantonner qu’au dialogue théologique. D’ailleurs, le mouvement œcuménique dès sa création a toujours eu à cœur de lier certes les conditions dialogiques du rapprochement des chrétiens, mais aussi son effet cathartique sur la société d’une foi en action. La citation qui nous est proposée de méditer aujourd’hui renvoie parfaitement à cette dialectique en imposant le principe de justice comme une condition inaliénable de l’incarnation du bien dans le temps et l’histoire. Nous savons parfaitement que nous vivons dans un monde déchu et corrompu par le péché. Certes, nous ne partageons pas tous la même compréhension de ce que les théologiens qualifient de péché originel, mais nous faisons certainement l’expérience au quotidien des conséquences de ce péché sur le monde comme autant d’injustices et de souffrances que le Christ a voulu partager, récapituler et transfigurer au cours de son sacrifice ultime sur la croix et de sa glorieuse résurrection.

 

Or la recherche des sources commune de notre foi, nous invite aussi à prendre la mesure de la réalité de cette justice sociale existant dès les premiers siècles de la vie de l’Eglise. En plus de ce que nous pouvons lire dans l’Ancien et le Nouveau Testaments l’enseignement de la Didachée, rédigée entre 90 et 120, déclare déjà : « Ne repousse pas l’indigent, mets tout en commun avec ton frère et tu ne diras pas que cela est à toi, car si vous êtes en communion pour ce qui est immortel combien plus pour les biens périssables ? » (4, 8) Mais le plus engagé et remarquable des Pères de l’Eglise sur ces questions est sans doute saint Basile le Grand qui vécut au 4e siècle. Ses homélies sur le thème de la richesse et de la pauvreté, bien que prononcées dans des temps anciens, restent tout à fait contemporaines. Que vous possédiez une grande richesse ou que vous disposiez de moyens modestes, au cœur du message de saint Basile se trouve une maxime : « Simplifiez-vous la vie, afin d’avoir quelque chose à partager avec les autres. » Alors que certains textes patristiques portent sur des questions obscures et hautement philosophiques, son message est immédiatement compris et applicable. C’est certainement sa force. À une époque où la grande disparité des revenus et la surexploitation de ressources environnementales deviennent des sujets de préoccupation croissante, le message de saint Basil est plus pertinent que jamais.

 

Cette justice a de nombreux visages. Elle est sociale. Elle est raciale. Elle est aussi écologique. Notre conviction profonde consiste à dire que la division des chrétiens empêche l’avènement de cette justice. Et inversement, la recherche de l’unité des chrétiens tend à nous pousser vers des solutions aux divisions profondes qui séparent l’humanité tout entière. La prière commune que nous offrons ce soir en cette belle paroisse du Saint-Esprit nous permet de réfléchir à ce qui nous unit et à nous opposer ensemble à l’oppression et à la division qui fracture notre fraternité.

 

Lorsque nous prions ensemble nous créons de véritables « moments de fraternité » pour paraphraser le titre d’un ouvrage rédigé sous la plume de Régis Debray. Ce dernier s’emploie à développer la sacralité du nous collectif, de la même manière que nous pouvons parler d’un nous œcuménique prêchant « d’une seule voix et d’un seul cœur » le mystère du Christ ressuscité. L’œcuménisme doit s’offrir comme l’expression spirituelle d’un ethos de solidarité, un labeur de chaque jour.

 

Cette inspiration commune nous la retrouvons au moins dans deux textes contemporains, l’un catholique et l’autre orthodoxe. Dans la lettre encyclique du Pape François Fratelli Tutti datant d’octobre 2020 il est dit : « L’amour nous met enfin en tension vers la communion universelle. Personne ne mûrit ni n’atteint sa plénitude en s’isolant. De par sa propre dynamique, l’amour exige une ouverture croissante, une plus grande capacité à accueillir les autres, dans une aventure sans fin qui oriente toutes les périphéries vers un sens réel d’appartenance mutuelle. » (par.95) De même, dans un document publié la même année avec la bénédiction du Patriarcat œcuménique intitulé Pour la vie du monde : vers un éthos social de l’Eglise orthodoxe, il est écrit : « Bien que l’unité sacramentelle visible entre tous les chrétiens ne soit actuellement qu’une lointaine espérance, rien n’est au-delà de la puissance de l’Esprit de Dieu, et l’Église ne peut pas relâcher ses efforts pour parvenir à une réunion ultime de tous ceux qui se rassemblent au nom du Christ. Aujourd’hui, tant que leurs cœurs et leurs esprits sont ouverts aux incitations de la Parole et de l’Esprit de Dieu, les chrétiens de toutes les communions peuvent se rencontrer dans l’amour et travailler ensemble à la transformation du monde. En particulier, ils peuvent coopérer les uns avec les autres par des œuvres de charité, rendant ainsi l’amour de Dieu manifeste au monde, et par des efforts pour faire progresser la justice sociale et civile, proclamant ainsi la justice et la paix de Dieu à tous les peuples. » (par.52)

 

Chers frères et sœurs en Christ,

 

Annoncer la parole de Dieu au 21e siècle est une mission sérieuse et complexe. Il nous revient d’incarner cette parole de Dieu, à la faire vivre en nous. Elle rayonne dans nos actes, dans nos gestes, dans nos attitudes envers la société qui nous environne, dans notre recherche de justice. Le Christ nous a laissés pour commandement : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. » (Jn 13, 34-35) Il y a une place à l’annonce de l’Évangile et le génie créateur du christianisme doit désormais l’investir pour trouver les formes et les moyens adaptés qui rendent témoignage au Christ par la recherche de la justice.

 

Car l’œcuménisme est à la fois une mission sacrée, un éthos de solidarité, un moment de fraternité.