La suite du discours eschatologique de l’évangile selon Matthieu garde pour thème la veille et la parousie. La chute ici (« vous ne connaissez ni le jour ni l’heure ») semble rendre la réalité du retour du Christ plus proche de nous, mais toujours aussi imprévisible. Ici, cette parousie n’est pas un jugement terrifiant, mais des noces, évènement joyeux et en même temps grave, un engagement très fort et définitif.
Une première question se pose rapidement : si les jeunes filles ne sont que des invitées à la noce, qui est l’épouse du Christ ? L’évangile selon Matthieu veut peut-être répondre : l’Eglise. En s’appuyant sur cette réponse, on peut penser que les invités à la noce pourraient ê ceux qui, tout en se tenant hors du strict cercle des disciples baptisés, cherchent l’Epoux dans la nuit d’un cœur déterminé, c’est-à-dire tous les « hommes de bonne volonté » dont le concile Vatican II nous dit qu’ils ont accès au salut s’ils cherchent à agir droitement et à trouver la vérité. De ceux-là, le passage célèbre de la Constitution Gaudium et Spes n° 22 explique : « puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » Le concile ajoute également, dans sa Constitution sur l’Eglise Lumen Gentium : « [Ceux] qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu’ils ignorent, de ceux-là mêmes Dieu n’est pas loin, puisque c’est lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses (cf. Ac 17, 25-28), et puisqu’il veut, comme Sauveur, amener tous les hommes au salut (cf. 1 Tm 2, 4). » Remarquable est ici la volonté de l’Eglise d’aider tous les hommes à cheminer vers le salut, mais à tous l’Eglise proclame également que ce salut à un nom : Jésus Christ, Seigneur et Sauveur.
La vérité existe, et elle se cherche comme avec une petite lampe vacillante dans une nuit profonde, et beaucoup de temps est nécessaire pour la trouver. Ceux qui pensent la trouver très vite, ayant trop confiance en eux, ne sont-ils pas insouciants ? Ceux qui savent que c’est une tâche longue, mystérieuse, attentive, sont prévoyants et veilleront avec de quoi entretenir leur flamme.
La lettre de Pierre parle des prophètes comme d’une « lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour » (2 P 1), celui du Christ. L’Epoux apporte avec lui le soleil nouveau, celui de la résurrection, qui illuminera une terre nouvelle. Toutes les jeunes filles vont pourtant s’endormir, comme les apôtres à Gethsémani. Ce n’est pas le sommeil qui est en lui-même une faute ici, mais l’incapacité à savoir accueillir l’Epoux alors qu’il est annoncé par une voix mystérieuse, comme la trompette d’un ange. Aujourd’hui l’Epoux est annoncé par l’Eglise, et ne souffre-t-on pas de voir qu’il semble si difficile aux gens de s’arracher à leur sommeil… Pour nous aussi, des signes annonceront le retour du Christ. Mais ce jour-là, serons-nous prêts à l’accueillir ?
Cela pose la question de la charité. Le deuxième confinement que nous vivons suscite toujours le même débat irrésolu du rapport entre la foi et la charité. L’Etat nous autorise à multiplier les œuvres de charité (distribution de repas et maraudes, logements d’urgence, aide aux devoirs, accompagnement des familles endeuillées), mais ne permet pas que nous nous réunissions pour prier ensemble. Alors même que les écoles sont ouvertes pour lutter contre le « décrochage scolaire », peu semblent se soucier du « décrochage spirituel », pourtant beaucoup plus grave puisqu’il concerne aussi la vie après la mort – alors même que la tristesse et la déception règnent après la décision du Conseil d’Etat de maintenir l’interdiction des messes publiques. Alors qu’en penser ? Sur ce point, le pape François rappelle que foi et charité vont de pair : « La lampe est le symbole de la foi qui éclaire notre vie, alors que l’huile est le symbole de la charité qui nourrit, rend féconde et crédible la lumière de la foi. La condition pour être prêts à la rencontre avec le Seigneur n’est pas seulement la foi, mais une vie chrétienne riche en amour et en charité pour son prochain. La foi inspire la charité et la charité conserve la foi » (Angélus, novembre 2017).
Demandons la prévoyance en pensée, en actes et en paroles, qui nous aidera à rester toujours éveillés dans cette longue nuit que nous offre le monde.
P. Simon de Violet