Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure

Frères et sœurs, avons-nous de l’huile ? Je ne vous parle pas de l’huile d’olive ou de colza de votre cuisine, mais de l’huile de notre cœur, celle qui nous est nécessaire pour entrer dans le Royaume de Dieu. L’huile possède beaucoup de vertus : elle donne de la saveur aux aliments et fortifie, c’est pourquoi nous en mangeons ; elle adoucit et embellit, c’est pourquoi nous en mettons sur notre peau ; elle parfume, c’est pourquoi on peut la faire brûler comme de l’encens. De plus, l’huile permet de voir clair en brûlant dans l’obscurité. Voilà pourquoi lors de notre baptême, de notre confirmation, et de notre ordination pour les prêtres, nous avons été oints de Saint Chrême, symbole de l’Esprit Saint, cet Esprit qui nous fortifie, nous adoucit, nous embellit, nous donne la bonne odeur du Christ et nous donne d’être la lumière du monde.

Dans l’évangile de ce jour, les jeunes filles représentent nos âmes, qui s’endormiront un jour dans la mort. C’est alors que l’Epoux, c’est-à-dire le Christ, surgira et nous invitera à partir à sa rencontre. Si nous possédons de l’huile, nous pourrons allumer nos lampes et entrer dans la salle de noces pour nous réjouir éternellement avec lui, l’épouse (i.e. l’Eglise) et les autres invités, mais si nous n’en possédons pas, nous devrons rester dehors dans les ténèbres. Jésus appelle les premières les vierges sages, ou prévoyantes, et les secondes les vierges folles, ou insouciantes. Cela signifie que l’huile est un symbole non seulement de l’Esprit Saint mais aussi de la sagesse. C’est pourquoi les jeunes filles de la parabole ne peuvent pas la partager : on ne peut être sage pour l’autre (ce qui fait le tourment de nombre de parents, qui voient leurs enfants se comporter en insensés). Elle est le plus précieux des sept dons de l’Esprit Saint parce qu’elle nous rend semblables à Dieu[i]. Dans le livre dit de la Sagesse (1° lect.), elle est dépeinte d’une manière très belle : « La Sagesse est resplendissante, elle est inaltérable […] Méditer sur elle est en effet la perfection de l’intelligence, et qui veille à cause d’elle sera vite exempt de soucis. » En latin, le mot sapientia vient du verbe sapere qui signifie à la fois savoir et goûter (d’où le mot « saveur »). La sagesse est donc une manière de vivre qui plaît à Dieu, et nous éclaire sur la vie et le chemin du bonheur. Elle est le bien le plus précieux que nous puissions désirer sur la terre. Nous en aurons besoin au moment de notre rencontre avec Dieu. Quand ce moment surviendra-t-il ? Nul ne le sait : « Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure ». L’actualité, marquée par les attentats et les décès du Covid, nous le rappelle fortement. Aussi nous faut-il produire notre huile dès maintenant, afin d’être prêts le jour où nous devrons allumer nos lampes. Comment la produire ? D’abord par la foi, en désirant la sagesse qui vient de Dieu. Ensuite par la charité, qui transforme notre désir en réalité, en nous unissant à l’Epoux et en nous rendant semblables à Dieu, le seul Sage.

 

Pour commencer, nous devons désirer la sagesse: « Elle prévient ceux qui la désirent en se faisant connaître la première. Qui se lève tôt pour la chercher n’aura pas à peiner : il la trouvera assise à sa porte. » (1° lect.) Le trésor de la sagesse ne se trouve donc pas au bout d’une longue et pénible quête, mais dans l’accueil d’un don que Dieu veut nous faire.

Il est donc important de reconnaître que la sagesse ne vient pas d’un travail seulement humain (même si toutes les grandes civilisations ont eu des écoles de sagesse) mais de Dieu Lui-même : « la sagesse commence avec la crainte du Seigneur » est une parole très fréquente dans l’Ancien Testament. C’est pourquoi Jésus lui-même a dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. »[ii] (Mt 11,25)

En ce sens, on peut dire que la sagesse est le corollaire de la foi. Pour craindre (au sens de respecter et d’adorer) Dieu, il faut d’abord croire en Lui.

Quel est notre désir le plus profond ? Est-ce la richesse, la gloire, le plaisir ? Nous ne pouvons pas nous disperser. L’homme doit choisir une direction, qu’il le veuille ou non. Choisissons la sagesse, comme Salomon lors de son songe à Gabaon (1R 3,4-13). Les marins du Vendée Globe (« l’Everest des mers ») qui partent aujourd’hui des Sables d’Olonne pour un tour du monde en solitaire vont descendre l’Atlantique en direction du Cap de Bonne Espérance, et ils devront maintenir sans cesse leur cap s’ils veulent ne pas se perdre.

 

La Sagesse se donne à ceux qui la désirent, mais aussi à ceux qui sont « dignes d’elle » (1° lect.) Cela signifie en particulier que nous devons accomplir la volonté du Seigneur. Réécoutons la sentence finale de l’Epoux : « Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas ». Elle renvoie à une autre de ses paroles dans le sermon sur la montagne : « Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !” » (Mt 7,23) Il s’agit ici d’une absence de connaissance réciproque intime, qui s’acquière par l’amour[iii], un amour qui s’exprime «par des actes et en vérité » (1Jn 3,18). Autrement dit, la foi doit s’accompagner de la charité. « Dans le Christ Jésus, ce qui a de la valeur, c’est la foi, qui agit par la charité » (Ga 5,6). « La foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte… comme le corps privé de souffle est mort, de même la foi sans les œuvres est morte » (Jc 2,17.26). Ecoutons le pape François: « La lampe est le symbole de la foi qui éclaire notre vie, alors que l’huile est le symbole de la charité qui nourrit, rend féconde et crédible la lumière de la foi. La condition pour être prêts à la rencontre avec le Seigneur n’est pas seulement la foi, mais une vie chrétienne riche en amour et en charité pour son prochain. La foi inspire la charité et la charité conserve la foi » (Angélus, novembre 2017).

Accomplir la volonté du Seigneur n’est pas toujours facile. Souvenons-nous de Jésus à Gethsémani, dans le jardin des oliviers, lorsqu’il prie : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » (Lc 22,42) Pour obtenir de l’huile, il faut presser des olives, et c’est précisément le sens du mot Gethsémani, le jardin où Jésus a connu son agonie.

Les marins du Vendée Globe ne se contenteront pas de viser un cap, ils devront accomplir beaucoup de taches, parfois dans le froid et la tempête,  pour que leur bateau avance et profite du vent…

 

 

Alors, frères et sœurs, produisons-nous l’huile de la sagesse ? Le jour où nous rencontrerons le Seigneur après notre mort, nous en aurons besoin pour allumer nos lampes. Ce jour, nous ne savons pas quand il adviendra, c’est pourquoi notre cœur doit toujours être en veille, comme celui de l’épouse du Cantique des Cantiques[iv]. Alors, notre mort n’est plus à craindre, mais à espérer : « il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n’ont pas d’espérance.» (2° lect.) Le Seigneur, lui, espère en nous, et il est toujours éveillé, à l’image de la lampe à côté du tabernacle qui éclaire jour et nuit. Demandons au Seigneur la grâce d’une bonne mort. Et pour bien la préparer, ranimons en nous la foi et la charité, et ne manquons pas les rencontres qu’Il nous propose chaque jour. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.

P. Arnaud

[i] Dans l’Ancien Testament, dans laquelle un tiers des livres lui sont consacrés (après la loi et les prophètes), elle a été peu à peu personnifiée comme une envoyée de Dieu lui-même. C’est pour cette raison que les Pères de l’Église ont vu en elle une préfiguration du Christ.

 

[ii] Certains des Pharisiens accomplissaient les préceptes de la loi de Moïse, mais avec orgueil, en se considérant comme supérieurs aux autres. Or, le Christ a mis en garde ceux qui se croient être des sages, et qui sont en fait des insensés à qui les secrets de Dieu ne sont pas accessibles : Souvenons-nous des Mages (Mt 2,1-12) : eux étaient de vrais sages, car leurs connaissances les ont aidés à trouver l’enfant de la crèche, devant lequel ils se sont prosternés ; les scribes à qui ils avaient demandé l’endroit où il devait naître, au contraire, étaient des fous, car leur sagesse apparente les a empêchés de parvenir à la vraie connaissance, à la rencontre avec Dieu.

 

[iii] Dans l’Ancien Testament, connaître signifie souvent « faire l’amour ». Et dans le sermon sur la Montagne (Mt 5-7), Jésus a dit : « aimez vos ennemis », « pardonnez à ceux qui vous ont fait du mal », « donnez à ceux qui vous demandent »… Voilà ce qu’est le véritable amour, ce qui nous unit parfaitement à Dieu.

 

[iv] « Je dors, mais mon cœur veille » (Ct 5,2)