Frères et sœurs,
Si je vous parle de « Celui dont on ne doit pas prononcer le nom », à qui pensez-vous ? Certains parmi nous penseront spontanément au méchant dans Harry Potter… Mais il y en a un autre dont on ne prononce normalement pas le nom dans le judaïsme. Dieu, tel qu’il se révèle. Ici, ce qui est traduit par Le Seigneur. 4 consonnes correspondant au verbe être, qui constituent le tétragramme, ce YHWH que l’on ne prononce pas. On ne prononce pas le nom de Dieu, non par peur – comme pour Voldemort dans Harry Potter – mais par crainte, par respect sacré. Ce même respect sacré qui conduit Moïse à retirer ses sandales dans l’épisode du buisson ardent. Un autre nom de Dieu nous est donné aujourd’hui, dans le psaume : Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. Ce nom est aussi un nom révélé, dans un autre passage de l’Exode. Moïse est sur la montagne, Dieu passe devant lui, et Il proclame son nom qui est : LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. Et puisqu’un nom dit qui l’on est, et que nous sommes appelés à être à l’image de Dieu, je voudrai réfléchir avec vous à ce nom de Dieu et à ce qu’il implique pour nous.
Dieu tendresse et pitié. Dieu se laisse toucher, au plus profond de lui, par la condition de l’homme, par sa misère, sa souffrance. Par conséquent, ce n’est pas un Dieu qui fait peser sur nous le poids de nos péchés individuels. Dans l’Evangile du jour, Jésus nous met en garde contre la tentation d’assimiler un malheur terrestre à une punition divine, à le voir comme une conséquence du péché personnel de ceux qui vivent ce malheur. Ailleurs, Jésus a le même avertissement quant à l’aveugle-né : ce n’est pas par faute de sa part ou de ses parents qu’il est né comme cela. On ne peut pas rechercher l’origine d’un malheur terrestre dans une faute individuelle. Cette origine nous échappe. C’est tout le mystère du mal. Mais nous avons une assurance : Dieu tendresse et pitié se laisse interpeller par notre misère, se laisse saisir dans ses tripes. C’est ce qu’il annonce à Moïse : il a vu la misère de son peuple, il connaît ses souffrances, il vient pour le libérer. Pour nous aujourd’hui, c’est un appel à ne pas être indifférent à la souffrance qui nous entoure, à nous laisser saisir par celle-ci… L’indifférence tue, comme dit le pape François. Laissons-nous toucher par la condition de l’autre.
Dieu tendresse et pitié, lent à la colère… Dieu est patient, de cette patience qui s’exprime dans cette parabole du vigneron. Celui-ci défend le figuier et lui donne encore un an – alors que cela fait déjà trois ans que l’arbre ne produit rien. Dieu a un rapport au temps différent du nôtre. Cela peut être une des manières de comprendre ce nom, ce je suis qui je suis : je suis celui qui a toujours été, qui est pleinement maintenant, et qui sera toujours. Dieu est en quelque sorte hors du temps, ce qui lui permet de nous donner du temps pour nous convertir, nous tourner vers lui… Nous sommes invités alors à faire de même : à faire preuve de patience avec ceux qui nous entourent, à prendre en compte la croissance dans le temps de chacun, sans exiger d’eux qu’ils vivent la perfection de la vie chrétienne de manière instantanée. Cela ne veut pas dire que cette perfection n’est pas la même pour tous – et le figuier est bien appelé à porter du fruit – mais accepter que cela puisse se faire par étapes. C’est ce que Jean Paul II, puis le pape François, appelle la loi de gradualité.
Dieu tendresse et pitié, lent à la colère, plein d’amour. Plein d’amour, on pense bien comprendre. Mais le risque est de concevoir cet amour de façon mièvre, passive. Non, l’amour de Dieu est totalement actif. C’est l’amour du vigneron envers son figuier, pour l’heure stérile, qui vient bêcher autour et répandre du fumier. C’est l’amour de Dieu qui accompagne Israël lors de sa sortie d’Egypte, qui le nourrit et l’abreuve… Physiquement mais aussi spirituellement… Cette activité de l’amour se révèle au plus haut point dans la mort et la résurrection du Fils sur la croix. Pour nous c’est une invitation à ce que notre amour pour Dieu et pour l’homme ne soit pas seulement affectif mais pleinement effectif…
Dieu tendresse et pitié, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. Il manque de dernier moreau dans le psaume, mais il est dans l’Exode et il me semble important. Parce que cette vérité est très liée à la justice. C’est celle qui prend en compte le fruit que nous portons. Quelle vérité y aurait-il si Dieu ne prenait pas en considération notre volonté libre de nous tourner vers lui ? Quelle vérité y aurait-il – et quelle justice – si Dieu nous imposait son salut ? Dans l’épisode du buisson ardent, le Seigneur attend que Moïse fasse un détour pour venir à lui. Dieu attend son acte libre. Cette vérité, c’est celle de la justice de Dieu, une justice eschatologique, qui s’exprime dans la conclusion de la parabole : peut-être le figuier donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas. Si Dieu est plein de vérité, à nous aussi de vivre cette vérité, dans notre agir concret, à nous de repérer ce qui dans nos actes n’est pas en adéquation avec notre foi.
Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère, plein d’amour et de vérité : un Dieu qui se laisse toucher par notre mal – un appel à lutter contre l’indifférence, un Dieu qui patiente – la loi de gradualité – un Dieu qui aime activement – passer d’un amour affectif à un amour effectif – un Dieu de vérité – qui tient compte de notre libre réponse.
L’Evangile nous laisse sur une incertitude. Que va donner le figuier? A nous d’écrire la suite de l’histoire.