Soyez saints

Frères et sœurs, voulons-nous devenir des saints ? Spontanément, nous pourrions être tentés de penser que cette question ne nous concerne pas, qu’il s’agit d’un idéal trop élevé réservé à une élite… Pourtant, le Seigneur lui-même nous le demande : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. » (Lv 19,2) La sainteté n’est pas réservée à un petit nombre: l’Apocalypse en dénombre 144.000 (12X12X1000), un chiffre symbolique d’une multitude innombrable (1° lect.). Ils ont beau être nombreux, nous pourrions croire qu’ils ont tous accompli des choses extraordinaires et au-delà de nos forces. En fait, ils n’ont pas forcément réalisé des actions extraordinaires, mais ils se sont efforcés de tout réaliser, même les actions les plus ordinaires, avec un amour extraordinaire. Et cet amour ne venait pas d’eux, mais du Seigneur Lui-même. Autrement dit, la sainteté est d’abord une grâce, un don de Dieu. Le saint est celui qui laisse Dieu, le seul Saint, agir en lui. Certes, cette union signifie d’accepter de souffrir comme le Christ a souffert pour nous : les saints «viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. » (1° lect.) Mais leurs souffrances ne les ont pas empêchés d’être heureux, au contraire, c’est pourquoi nous venons d’entendre les béatitudes. Chacun d’entre nous recherche le bonheur. Mais nous savons par expérience que ce but n’est pas facile à atteindre. Notre société nous « dit » : le bonheur consiste à posséder beaucoup d’argent pour pouvoir consommer et du pouvoir pour ne dépendre de personne, et à prendre autant de plaisir que possible afin de ne pas éprouver la souffrance et la solitude. Ces « voix » sont attrayantes, comme celles des sirènes qu’entendit Ulysse pendant son voyage vers Ithaque, mais elles sont illusoires, elles ne conduisent pas au véritable bonheur. La preuve, c’est qu’il y a plus de personnes déprimées dans nos sociétés occidentales que dans les pays les plus pauvres, où les gens se contentent de peu. Écoutons donc une autre voix, celle du Christ qui nous dit aujourd’hui : heureux plutôt les pauvres de cœur, les doux, les affligés, les affamés et assoiffés de justice, les miséricordieux, les cœurs purs, les artisans de paix, et même les persécutés pour la justice ou pour lui. Cet appel du Christ peut nous surprendre voire nous rebuter, tant les comportements qu’il dépeint nous semblent loin du bonheur tel que nous le concevons spontanément. Pourtant, il s’agit là du plus beau portrait que le Christ nous a laissé de lui-même, lui qui est le Bienheureux par excellence. Comme le terme « heureux » le suggère (makarioi en grec, qui a une connotation dynamique – Chouraqui l’a traduit par « en marche »), le bonheur demande un apprentissage. Méditons sur chacune des béatitudes, à la lumière des exemples de saints.

 

Les pauvres de cœur, ce sont ceux qui attendent tout de Dieu et reconnaissent que toutes leurs richesses, matérielles et spirituelles, viennent de Lui. Dans son acte de consécration à l’amour miséricordieux, la petite Thérèse écrivait : «Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre Justice ».

Les doux, ce sont ceux qui sont assez forts pour ne pas répondre à la violence par la violence. Sainte Jeanne d’Arc, lors de son procès, n’a jamais été agressive envers ses juges qui cherchaient à la piéger.  Lorsque l’un d’entre eux lui demanda : « vous sentez-vous en grâce de Dieu ? », elle répondit tout simplement : « Si je n’y suis, Dieu m’y mette… Si j’y suis, Dieu m’y garde. »

Ceux qui pleurent, ce sont ceux qui se laissent toucher par le mal et la souffrance qui accablent leurs frères. Saint Dominique passait une partie de ses nuits en priant : « Seigneur que vont devenir les pêcheurs ? Seigneur aie pitié des pêcheurs ! »

Ceux qui ont faim et soif de la justice, ce sont ceux qui veulent de tout cœur que chacun reçoive ce à quoi il a droit. Mère Teresa disait notamment: « Le plus grand destructeur de la paix aujourd’hui est le crime commis contre les enfants à naître. »

Les miséricordieux, ce sont ceux qui savent non seulement se laisser émouvoir, mais aussi tendre une main secourable à ceux qui sont dans la misère, qu’elle soit matérielle, en leur offrant du pain, ou spirituelle, en leur offrant le pardon. Au moment de mourir, saint Etienne s’est écrié d’une voix forte : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » (Ac 7,60), reprenant les paroles de Jésus sur la croix.

Les cœurs purs, ce sont ceux qui cherchent toujours à faire la volonté de Dieu et qui voient dans le prochain un frère ou une sœur, sans que le péché obscurcisse leur conscience. Saint Jean nous dit : « dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est » (2° lect.). C’est ce qu’on appelle la vision béatifique. Lorsque le roi saint Louis servait les pauvres, il voyait en eux le Christ lui-même[i].

Les artisans de paix sont ceux qui, parce qu’ils sont en paix avec eux-mêmes, peuvent aider les personnes en conflit à se réconcilier. En plein milieu d’une croisade, François d’Assise alla rencontrer le sultan. Même si la guerre continua, sa démarche a tellement marqué les musulmans de son époque que certains s’en souviennent encore aujourd’hui.

Ceux qui sont persécutés pour la justice vont encore plus loin que ceux qui en ont faim et soif, puisqu’ils acceptent de souffrir pour elle. Gandhi n’était pas chrétien, mais il a lutté pour ceux dont les droits les plus élémentaires n’étaient pas respectés, d’abord en Afrique du sud, puis en Inde.

A ceux qui sont persécutés pour lui, le Christ promet la plus grande récompense : n’oublions pas qu’ « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13) ! C’est pourquoi l’Eglise a toujours placé les martyrs au sommet de la « hiérarchie » des saints. Tarcisius a été tué parce qu’il refusait d’abandonner l’hostie consacrée qu’il tenait dans sa main à ceux qui voulaient s’en emparer.

 

Alors, frères et sœurs, n’ayons pas peur de devenir des saints. « La sainteté est une aventure, elle est même la seule Aventure. » (Georges Bernanos) Unissons-nous intimement à Dieu pour réaliser tout ce que nous avons à faire, même les choses les plus ordinaires, avec un amour extraordinaire. Acceptons de souffrir pour celui qui nous a aimés jusqu’à mourir. Pour y parvenir, laissons ceux qui sont déjà parvenus au bout de leur chemin nous aider à la fois par leurs intercessions, et par leurs exemples. Ne les prenons pour des  modèles statiques qu’il nous faudrait imiter bêtement, car chacun a mené une vie originale, et chacun d’entre nous doit également trouver son chemin vers le ciel, qui ne peut être qu’unique. Mais imitons leur désir d’aimer. Et lorsque nous n’y parvenons pas, ne nous décourageons pas ! Sainte Thérèse d’Avila disait : « la sainteté, ce n’est pas de ne jamais chuter, c’est de toujours savoir se relever ». Durant les mois qui viennent, ne nous contentons pas de lire la Bible, même si cela est bon et nécessaire, mais méditons aussi sur des vies de saints, nos frères et sœurs qui veulent nous accueillir un jour auprès du Seigneur. AMEN.

P. Arnaud

[i] La reine Blanche, mère de saint Louis, avait coutume de lui dire : « Mon fils, je vous aime tendrement, et plus qu’aucune créature au monde ; et cependant j’aimerais mieux mille fois vous voir mort que de vous voir commettre un seul péché mortel ». Et c’est ce qu’il chercha à éviter toute sa vie.