Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu

Frères et sœurs, jusqu’où va notre désir du ciel ? Chaque jour, nous prions ainsi : « Notre Père, qui es aux cieux, que ton Nom soit sanctifié, que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Que signifient ces trois demandes, qui n’en forment qu’une seule en réalité ? D’abord que nous désirons le ciel, où la volonté du Père est accomplie de manière parfaite, où Il règne et où son Nom est sanctifié. Mais aussi que nous désirons que le ciel vienne sur la terre. En s’incarnant, le Fils de Dieu est descendu du ciel. Puis il s’est abaissé de plus en plus, se mettant au niveau des prostituées et des publicains pendant son ministère, des « maudits » sur la croix, et finalement de tous ceux qui peuplaient les enfers. Mais sa résurrection a marqué le début de sa remontée vers le ciel, qui s’achève avec son Ascension 40 jours plus tard. Cet évènement suscite en nous le désir du Ciel, nous divinise et nous rend missionnaires.

 

Pour commencer, le Seigneur nous invite à désirer le Ciel. Si la seconde Personne de la Trinité en est descendue, c’est pour y remonter ensuite et nous montrer ainsi le chemin. Le Christ est le premier de cordée qui a planté le drapeau de notre humanité en terre divine. Il est aussi l’ascenseur qui nous conduit vers le ciel, selon l’expression de la petite Thérèse, qui soulignait ainsi que notre divinisation ne s’opérait pas à la force du poignet, mais par pure grâce.

Nous avons tendance à garder les yeux fixés sur les réalités d’en bas, comme les apôtres qui, 40 jours après Pâques, attendent encore que le Christ établisse son règne de façon terrestre, à la manière de David : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » (1° lect.) Le Seigneur, lui, nous invite à « rechercher les réalités d’en-haut, non celles de la terre » (Col 3,1-2)[i] Comment ne pas désirer de tout notre être le Royaume, dans lequel « Il essuiera toute larme de nos yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur » (Ap 21,4)[ii] ? Nous attendons la Parousie, lorsque « Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel » (1° lect.).

L’Espérance du Royaume affermit notre patience et nous donne de supporter les épreuves d’ici-bas, sans en vouloir à Dieu ou aux hommes, car nous savons qu’elles auront une fin et qu’elles peuvent nous purifier, comme l’or au creuset. C’est ainsi que saint Paul a pu supporter des épreuves qui auraient pu le briser : « En toute circonstance, nous sommes dans la détresse, mais … notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous[iii]. » (2 Co 4,8-9.17) Notre société vit beaucoup dans l’instantanéité et a du mal à se projeter dans le long-terme. Lorsque l’on court un marathon, il y a des moments très difficiles, mais on les supporte parce qu’on sait qu’on approche de la ligne d’arrivée et qu’on éprouvera ensuite une joie et une fierté immenses. Lorsqu’un bateau est pris dans la tempête, le capitaine garde son sang-froid en fixant son cap sur le phare dont la lumière brille dans les ténèbres.

 

Mais il y a plus encore : l’Ascension du Christ a définitivement supprimé la barrière qui séparait le Ciel et la terre. Songeons au mur de Berlin a été démoli le 9 novembre 1989, rendant possible depuis lors le libre passage entre l’est et l’ouest de l’Allemagne. Alors que d’autres murs ont été construits depuis et que la pandémie de covid19 nous oblige à garder nos distances, le Fils de Dieu a aboli la séparation entre Dieu et les hommes. Le jour du baptême de Jésus, les cieux se sont ouverts (Mt 3,16) et l’Esprit en est descendu, accomplissant ainsi la prière d’Isaïe : « Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais !» (Is 63,19) Le jour de l’Ascension, Jésus remonte au ciel, mais il ne nous abandonne pas : « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,20) Le ciel et la terre, la divinité et l’humanité sont maintenant liés de façon intime et définitive, comme l’eau et le vin qui sont versés dans le calice, lorsque le célébrant dit à mi-voix : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité.» Nous n’avons pas à attendre que le ciel s’ouvre au moment de notre mort ou à la Parousie (le retour du Christ), il l’est déjà et nous pouvons y vivre dès maintenant. Nous sommes « citoyens des cieux » (Ph 3,20) et la vie éternelle est déjà commencée. C’est ainsi que la petite Thérèse a pu écrire : « Je ne vois pas bien ce que j’aurai de plus au ciel que maintenant : je verrai le Bon Dieu, c’est vrai ; mais, pour être avec lui, j’y suis déjà tout à fait sur la terre[iv]. » (Carnet jaune) Il y a donc une tension permanente entre le « déjà là » (le Christ est présent) et le « pas encore » (il reviendra).

 

Cette bonne nouvelle d’un Dieu qui nous ouvre le ciel et qui vit au milieu de nous, nous ne pouvons pas la garder pour nous, nous devons en être les témoins actifs. Tout comme le Christ ne nous a pas abandonnés en retournant auprès de son Père, nous ne pouvons pas abandonner nos frères les hommes[v]. Comme les anges qui « réveillent » les Apôtres : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » (1° lect.), le Christ dit à ses disciples, juste avant de remonter au Ciel : « Il est écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. A vous d’en être les témoins ». Ce témoignage (du mot martyrios, en grec) n’est pas facile, car il implique un appel à la conversion, comme nous venons de l’entendre. Nous sommes donc sûrs de rencontrer beaucoup de résistances. Aussi nous faut-il une grande force, celle de l’Esprit Saint, que le Christ a promis à ses disciples : « Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » Le jour de la Pentecôte, les disciples ont reçu ce que Jésus avait promis. Nous-mêmes l’avons reçu le jour de notre confirmation. Alors, comme les apôtres qui sont allés jusqu’aux extrémités de la terre et sont morts martyrs, n’ayons pas peur de témoigner de l’Evangile. « Continuons sans fléchir d’affirmer notre espérance, car il est fidèle, celui qui a promis » (2° lect.) !

 

Ainsi, frères et sœurs, l’Ascension du Christ nous permet de vivre autrement sur la terre, de façon divinisée. Ce que le serpent de la Genèse avait promis à Adam et Eve sous forme de mensonge – « vous serez comme des dieux » – (Gn 3,5) peut s’accomplir… Comment ? En vivant dans l’Esprit Saint. C’est lui qui suscite en nous le désir du ciel, nous donnant ainsi la patience devant les épreuves, et qui nous permet de vivre unis au Christ dès ici-bas, et la force d’en témoigner. Dans 10 jours, nous célébrerons la Pentecôte, qui est comme la fête symétrique de l’Ascension : dans la 1ère, c’est l’homme avec sa chair qui va habiter avec le Fils de Dieu dans le ciel. Dans la 2nde, c’est Dieu qui vient habiter en l’homme sur notre terre. Notre représentation habituelle, l’homme est en-bas et Dieu est au ciel, mais le Christ est venu tout mettre sens dessus dessous. La vie spirituelle ne consiste pas à s’évader de notre vie charnelle, elle ne se limite pas à la messe du dimanche et aux prières de chaque jour, elle s’exerce dans toutes nos activités du quotidien[vi]. L’Ascension et la Pentecôte nous révèlent un nouveau mode de présence de Dieu, dans une apparente absence. Cela nous semble incohérent ? On dit de certains qu’ils sont  souvent « dans la lune ». D’autres sont loin de nous géographiquement, même décédés, et on les sent pourtant très présents…. En réalité, depuis l’Ascension et la Pentecôte, Jésus n’est jamais absent à chacun de nous, c’est nous qui nous rendons absents à sa présence intérieure. Durant les 10 jours qui nous séparent de la Pentecôte, prions avec ferveur le Saint Esprit afin de pouvoir accueillir en nous le Très-Haut et que le Ciel descende dans notre cœur. AMEN.

P. Arnaud

[i] Dans un registre analogue, Raphaëlle Giordano reprend en citation : « Certains regardent la vase au fond de l’étang, d’autres contemplent la fleur de lotus à la surface de l’eau, il s’agit d’un choix. » (Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, 2015).

[ii] Mais le Ciel est-il si désirable ? Ceux qui n’ont pas reçu ou pas cultivé la vertu d’Espérance se disent : qu’allons-nous faire là-haut ? « L’éternité, c’est long, surtout vers la fin », disait Woody Allen. Une telle affirmation, même si elle est humoristique, révèle une incompréhension de ce qu’est la vie éternelle. Auprès de Dieu, l’ennui n’est pas possible. Deux personnes qui s’aiment ne s’ennuient jamais, et le temps ne leur pèse pas. De même, un homme passionné de musique ou un cinéphile peuvent passer des heures à cultiver leur passion sans se rendre compte des heures qui passent. Au ciel, nous serons dans une joie perpétuelle, et le spectacle sera permanent : le chœur des anges jouera le plus beau des concerts, nous contemplerons les plus belles images possibles – puisque nous verrons Dieu lui-même et tous les saints, c’est-à-dire ceux qui rayonnent de la gloire divine… qui sait même si nous ne goûterons pas le meilleur des nectars, à l’instar des dieux de l’olympe, puisque le Christ ressuscité a mangé et bu au milieu de ses disciples ? Car nous ne serons pas au ciel seulement avec nos âmes – comme le croyaient notamment les grecs, pour qui le corps était « le tombeau de l’âme » – mais avec nos corps de ressuscités, et donc avec tous nos sens… Mais surtout, nous serons avec toutes les personnes que nous aurons aimé sur la terre, et nous en rencontrerons beaucoup d’autres, nos frères et sœurs que nous ne connaissons pas encore ou seulement par le récit qu’on nous en a fait. Dans l’éternité, nous pourrons être en communion d’amour avec tous…

[iii] « En toute circonstance, nous sommes dans la détresse, mais sans être angoissés ; nous sommes déconcertés, mais non désemparés ; nous sommes pourchassés, mais non pas abandonnés ; terrassés, mais non pas anéantis… Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. » (2 Co 4,8-9.17)

[iv] Lorsqu’elle essaye de décrire ce qu’elle vit, elle n’y arrive pas : « La vie est bien mystérieuse. Nous ne savons rien, nous ne voyons rien, et pourtant, Jésus a déjà découvert à nos âmes ce que l’œil de l’homme n’a pas vu. Oui, notre cœur pressent ce que le cœur ne saurait comprendre, puisque parfois nous sommes sans pensée pour exprimer un « je ne sais quoi » que nous sentons dans notre âme » (http://www.jevismafoi.com/jesusdonne-2-2/)

[v] Introduction de la constitution Gaudium et Spes : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. […] La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire ».

[vi] St Vincent de Paul disait : c’est « quitter Dieu pour Dieu » que de passer de l’oraison au service des pauvres.