Mon âme exalte le Seigneur

« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ». Frères et sœurs, vivons-nous dans l’action de grâce ? Nous demandons beaucoup de choses au Seigneur, et nous avons raison, car nous sommes pauvres et fragiles, et Lui-même nous invite à agir ainsi. Le Notre Père, la prière chrétienne par excellence que le Christ nous a enseignée, est ainsi constituée de 7 demandes. Mais s’il est important de présenter nos demandes à Dieu, nous ne devons pas oublier de Lui rendre grâce. Les premières choses qu’on enseigne à un enfant, c’est de dire « s’il te plaît », mais aussi « merci ». Alors, disons-nous souvent merci au Seigneur ? Depuis quelques dizaines d’années, des mouvements qu’on appelle charismatiques se sont développés dans l’Eglise, remettant la louange et l’action de grâce au premier plan. Mais que nous fassions partie ou non de l’un de ces mouvements, le Seigneur nous appelle à cultiver en nous cette dimension de notre vie chrétienne. Ce temps de vacances, et en particulier cette fête de l’Assomption, est particulièrement adapté pour le faire. La Vierge Marie nous montre en effet l’exemple. Le Magnificat, que nous venons d’entendre, est le plus bel hymne d’action de grâce exprimé par une créature. Certes, Marie l’a dit ou chanté au moment où elle était devant sa cousine Elizabeth, peu de temps après avoir appris qu’elle deviendrait la Mère du Sauveur. Mais on peut dire que c’est tout au long de sa vie qu’elle a dû le chanter dans son cœur. « Tout est grâce », a dit la petite Thérèse : Marie a vécu chaque instant de son existence avec cette conviction profonde. Au moment où elle a été emportée au Ciel pour rejoindre son Fils et son Créateur, comment ne pas imaginer qu’elle a chanté le Magnificat avec tout son cœur, avec les mêmes mots ou avec d’autres semblables ? Alors, comme elle, puisons à une triple source, d’où jaillira continuellement notre action de grâce : l’Espérance, la Foi et la Charité.

 

En premier lieu, puisons à la source de l’Espérance. Un jour, nous pourrons rejoindre la Vierge auprès de son Fils dans le Ciel. Comme l’écrit saint Paul, « le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité » (2° lect.). Cela signifie non seulement que notre âme est éternelle, comme les Egyptiens le croyaient bien avant nous, mais aussi notre corps. Certes, contrairement à Jésus et Marie qui n’ont pas connu le péché, notre corps terrestre connaîtra la corruption, et nous devrons assumer la souffrance de nous en séparer. C’est d’ailleurs parce que ce moment, qui correspondra à notre rencontre avec Dieu et à notre jugement particulier, sera décisif, que nous prions la Vierge, dans le Je vous salue Marie, de prier pour nous maintenant et à l’heure de notre mort. Alors, si le Seigneur nous en juge dignes, lorsque le Christ aura remis son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal, nous ressusciterons dans un corps glorifié, et nous pourrons jouir avec tous les sauvés du bonheur du Ciel.

Notre société souffre d’un terrible manque d’Espérance. Pour beaucoup, la mort est la fin de tout et c’est pourquoi d’une part on la cache, et d’autre part on cherche à profiter au mieux de la vie présente en évitant à tout prix la souffrance. Dans l’épreuve terrible du coronavirus que nous traversons, on ne sait s’il faut se réjouir de la valeur que nous donnons aujourd’hui à chaque vie humaine (qu’on veut préserver à tout prix) ou s’attrister de l’absence de transcendance qui fait que la mort est perçue comme une tragédie. Alors que nous venons de célébrer les 75 ans de la fin de la seconde guerre mondiale, souvenons-nous des millions d’hommes qui ont sacrifié leur vie durant cette guerre et durant les autres, et de ceux qui continuent de le faire aujourd’hui en tant que soldats, humanitaires… Sans Espérance , il est plus difficile de donner sa vie. En tant que Chrétiens, nous avons reçu la grâce immense d’un but pour nos existences. Comme l’avait tweeté le Pape François il y a quelques années, « notre vie n’est pas un vagabondage qui n’a pas de sens » mais plutôt un pèlerinage vers la maison du Père. Sénèque disait qu’ « il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait pas où il va ». J’ose ajouter que pour nous, il n’y a pas de mauvais vent, car un bon marin sait se diriger dans la bonne direction quelle que soit la direction où il souffle. C’est ainsi que Paul a pu affirmer que « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rm 8,28).

 

En second lieu, Marie nous soutient chaque jour dans le combat de la Foi. La perspective de la résurrection a beau susciter en nous l’Espérance, elle ne supprime pas les difficultés du présent. Mais la Vierge ne se contente pas de nous attendre tranquillement dans le Ciel, elle nous accompagne sur le chemin qui y mène. Au pied de la Croix, elle a accepté comme fils le disciple que Jésus aimait. Ce disciple, c’est chacun d’entre nous, si nous le voulons bien. Marie est notre Mère qui nous enfante à la vie divine. Elle est la femme de l’Apocalypse que Jean décrit comme « torturée par les douleurs de l’enfantement » (1° lect.). En plus de ces douleurs dues à nos péchés, qui nous font résister à notre enfantement à la vie divine, Marie doit aussi affronter le Dragon, que l’Écriture appelle aussi « l’antique serpent »[i]. De grands peintres l’ont représentée en train de le fouler au pied[ii].

Si la Vierge Marie peut ainsi dominer l’esprit du mal, c’est parce qu’elle est pleine de grâce, remplie de l’Esprit de Dieu[iii]. Pour notre Foi, la domination de Marie sur le diable est un soutien précieux. En hébreu, le mot « amen », je crois, a la même racine que le mot « rocher ». Lorsque nous subissons l’épreuve, nous pouvons nous tourner vers Marie, dont la maison est solidement établie sur le rocher divin, et que les tempêtes ne peuvent abattre[iv]. Son visage paisible et son intercession peuvent nous aider à vaincre le mal. Alors, nous-mêmes, lorsque nous traversons les ténèbres de l’épreuve ou de l’incompréhension, tournons-nous vers Marie[v]. Et comme elle, méditons sur l’action de Dieu dans notre passé, à travers des paroles ou les événements où nous l’avons reconnu, afin d’être fortifiés[vi] .

 

En troisième lieu, ainsi confortés dans l’Espérance et affermis dans le combat de la Foi, nous ne pouvons que grandir dans l’Amour. La Vierge Marie, dans le Magnificat, exprime d’abord à Dieu sa reconnaissance pour ce qu’Il a fait pour elle (« mon Sauveur … s’est penché sur son humble servante… le Puissant fit pour moi des merveilles ») mais elle n’oublie pas ce qu’Il a fait pour les autres (« sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » et toute la suite). Et sa présence même auprès de sa cousine, vers laquelle elle est venue pour partager sa joie et pour aider dans sa grossesse, témoigne aussi de sa charité.

Toute sa vie, Marie a été attentive au bien de ceux qu’elle a côtoyés. A Cana, c’est elle qui prévient Jésus : « ils n’ont plus de vin ». C’est aussi parce qu’elle est pleine d’amour que Marie a accepté de prendre pour fils Jean au pied de la croix, et chacun d’entre nous au moment de notre baptême.

 

Frères et sœurs, avec la Vierge Marie, exaltons le Seigneur et exultons en Dieu notre Sauveur. Rendons-Lui grâce de nous avoir donné sa Mère. En la prenant pour modèle et en nous confiant à son intercession, nous serons fortifiés dans les épreuves de la vie et nous grandirons dans l’amour de Dieu et de notre prochain, dans l’Espérance de la rejoindre un jour dans le Ciel. AMEN.

[i] Ex : Ap 12,9. Grignion de Montfort écrit: « L’antique serpent appréhende plus Marie, non seulement que tous les anges et les hommes, mais, en un sens, que Dieu même. Ce n’est pas que la puissance de Dieu ne soit infiniment plus grande que celle de la Sainte Vierge, puisque les perfections de Marie sont limitées, mais c’est surtout parce que Satan, étant orgueilleux, souffre infiniment plus d’être vaincu et puni par une petite et humble servante de Dieu, et son humilité l’humilie plus que le pouvoir divin ».

 

[ii] Caravage, par exemple, dans La Madone des palefreniers peint entre 1605 et 1606 et conservé à la galerie Borghèse de Rome.

 

[iii] Dans les peintures qui la montrent foulant le serpent à ses pieds, elle ne semble pas lutter. En terrassant le dragon, Saint Michel est actif, brandit la lance ou l’épée. Notre-Dame, au contraire, se tient sur le serpent comme s’il n’était pas là. Elle lui ôte jusqu’au prestige du combat.

 

[iv] N’oublions pas son exemple : elle-même a souffert durant sa vie terrestre. En particulier, lorsque Joseph et elle retrouvent le Jésus de 12 ans qui était resté au Temple, elle lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ! ». La foi de Marie était sans faute, mais non sans ténèbres.  Pas plus que Joseph, elle ne comprit la réponse de son fils. Mais, souligne saint Luc, elle « gardait dans son cœur tous ces événements ».

 

[v] Mettons en pratique le conseil de saint Bernard: « Toi donc, qui que tu sois en ce monde, ballotté par les flots à travers bourrasques et ouragans plutôt que marchant sur la terre ferme, si tu ne veux être englouti par la tempête : ne quitte pas des yeux cet astre étincelant. Que se lèvent les vents des tentations, que surgissent les écueils de l’adversité : regarde l’étoile, invoque Marie… »

 

[vi] « Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. » (Lc 2,19)