Chaque année, nous entendons cette très brève homélie de Jésus dans la synagogue de Nazareth : « Aujourd’hui, cette parole s’accomplit ! » Et nous nous plaisons à décrire les merveilles qui sont accomplies, en Palestine au temps de la venue du Christ, et en tout temps, partout où est proclamée la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Mais c’est dans les versets qui suivent immédiatement ce texte que Jésus est conspué, déjà promis à la mort, emmené malgré lui au bord du précipice qui domine son village.
L’annonce de l’évangile, l’accueil de l’évangile et le rejet de l’évangile vont toujours ensemble, parce que c’est dans la foi que la parole du Verbe se reçoit : « l’Évangile n’est pas fait pour des esprits en quête d’idées. Il est fait pour des disciples qui veulent obéir » [1]. Recevoir la Parole de Dieu et la prendre comme seul guide supposent que, si beaucoup la reçoivent comme un sacrement qui les transforme – et tous ici nous espérons qu’il en soit ainsi dans notre propre vie – il nous faut bien comprendre aussi que beaucoup ne la reçoivent pas et même la combattent vigoureusement, ce que l’on voit tout au long de l’histoire depuis vingt siècles et tout autour de la terre aujourd’hui encore ! C’est un combat qui se joue dans le monde ; c’est aussi et d’abord un combat qui se livre à l’intérieur de nous-mêmes.

Réjouissons-nous donc de la joie des catéchumènes venus en si grand nombre cette année ! C’est comme une éclosion subite et si riche, constatée non seulement à Paris mais dans toute la France ; ne cherchons pas à compter, cela ne compense pas, loin s’en faut, la décrue du nombre des baptêmes qui n’ont pas été célébrés depuis cinquante ans ! Et puis, nous pourrions être tentés de croire que c’est à nos efforts et à nos organisations efficaces que nous le devons.
Ce que je vois surtout, c’est la profondeur du mouvement intérieur qui transforme depuis des mois ces adultes qui demandent les sacrements de l’Initiation chrétienne : baptême, confirmation et eucharistie.

Pour beaucoup, ce choix vient après une période de détresse et de vide spirituel : c’est que nos sociétés contemporaines qui ambitionnent de tout maîtriser, engendrent plutôt la vaine agitation et l’atonie. Certains ont été un jour saisis par une expérience sensible, celle d’une présence proche, amicale et bienfaisante : dans une église parfois, dans un moment fort ou dans un événement difficile, la sensation éprouvée que la peur est dépassée ou que la force d’agir est revenue, que Quelqu’un est là qui t’aime et t’accompagnera toujours. Expérience intime mais certaine. Parfois aussi, la recherche personnelle sur les réseaux sociaux ou les sites Internet ont été des bornes utiles pour orienter vers une bonne adresse.
Mais c’est aussi la rencontre de chrétiens parmi vous qui suscite un engouement nouveau. Beaucoup de grands-parents sont des modèles pour leurs petits-enfants et leur ont indiqué, bien souvent sans le savoir, des chemins remplis de lumière – la foi si quotidienne d’une grand-mère, l’espérance si forte d’un grand-père dans l’épreuve de sa maladie. Beaucoup de prêtres, de diacres, de laïcs en mission, de bénévoles sont devenus, ces dernières années, des accompagnateurs joyeux et émerveillés. Beaucoup de jeunes gens trouvent visiblement dans la prière et la pratique sacramentelle la force des engagements fraternels qui occupent leur vie au service des pauvres, des délaissés de la rue, des malades et des mourants, de l’avenir de notre planète, de la paix et de l’éducation.
J’ai pu saisir aussi, à travers les centaines de lettres que j’ai lues cet hiver, la force de la Parole de Dieu, dans le sens même où j’en parlais à l’instant, citant Madeleine Delbrêl, l’éblouie par Dieu comme elle se définissait elle-même. C’est une parole de l’évangile qui a décidé de leur conversion, c’est le verset d’un psaume qui a ouvert chez eux le chemin de la prière, c’est un appel à la vie fraternelle entendu dans la communauté chrétienne qui les a agrégés à un corps de serviteurs volontaires et solidaires. Car pour beaucoup, en effet, ils ont trouvé dans un groupe chrétien, dans une paroisse, un port d’attache, des frères et des sœurs. Dans les années passées, on a souvent entendu dire, chez nous, que les catéchumènes qui semblaient si heureux au jour de Pâques avaient disparu de l’Église avant même la Pentecôte ! Et dans le meilleur des cas, nous nous accusions de ne pas avoir su les accueillir vraiment.
Mais figurez-vous que de plus en plus, ceux qui viennent demander le baptême, ont fréquenté votre église, votre paroisse, depuis des mois ou des années : ils ne découvrent pas la messe, ils l’ont vécue comme un moment de paix et de joie, de fidélité aussi. Plusieurs écrivent qu’ils sont allés à la messe pendant des mois, parfois même des années avant d’avoir le courage du premier pas, de la demande de baptême ! Ils disent comment cela a transformé leur relation aux autres, et souvent fait évoluer leur façon d’accueillir les événements, de la tristesse, de la peine et du vide à la joie et à l’action de grâce.

Qu’est-ce que je vous disais ? Que c’est grâce à nous que cela s’est fait ? Non, c’est l’œuvre de la fidélité et de la liberté de Dieu à l’égard des hommes et des femmes de tous temps et du nôtre en particulier. C’est sa grâce inépuisable qui ne se décourage jamais de nos erreurs, de nos hésitations, de nos refus même. C’est sa grâce qui sans cesse appelle, qui renoue, qui rénove, qui ouvre des portes et dessine des chemins.

Cela ne veut pas dire que les agents pastoraux, les prêtres, les diacres, les baptisés en mission, les accompagnateurs bénévoles soient inutiles : ils sont, nous sommes de simples serviteurs. Cela veut dire que c’est Dieu qui, secrètement et librement, fait naître au cœur d’hommes et de femmes le désir d’aller vers Lui. Et nous, nous sommes là pour accueillir, pour guider et conduire, pour être témoins de la grâce de Dieu et ainsi la révéler.

C’est pour que nous reprenions conscience de cela ensemble que j’ai voulu cet itinéraire catéchétique autour des sacrements et de la vie sacramentelle des chrétiens que nous sommes. Cette démarche vient de connaître un beau prélude avec les six conférences de carême de Notre-Dame, à Saint-Germain-l’Auxerrois, sur la mystérieuse musique des sacrements, révélée et retrouvée dans l’œuvre littéraire de six grands auteurs chrétiens français du 19e et du 20e siècles. Maintenant, nous aurons pour l’année pastorale prochaine, un programme de ré-initiation pourrait-on dire, à cette vie sacramentelle. Ce sont les paroisses et les divers groupes chrétiens qui pourront proposer, avec l’aide d’un livret diocésain, un chemin en huit étapes – huit semaines ou huit mois selon les rythmes ! – pour goûter nous-mêmes ce que peut-être nous pratiquons fidèlement sans plus nous en rendre compte, quand d’autres l’ont abandonné n’y trouvant plus de raison suffisante pour le pratiquer. Que l’on n’hésite pas, en suivant les propositions de ce livret, à diversifier les méthodes, à les adapter à chaque lieu, pour qu’elles fassent alterner l’enseignement et la pratique, la convivialité et l’expérience spirituelle.
Je souhaite vivement que tous nous y retrouvions la ferveur et la joie de croire, la trace de la grâce surprenante de Dieu qui s’occupe sans défaillir de notre monde et lui annonce son salut.

Dans un an, au temps de la Pentecôte 2025, nous pourrons vivre un moment ecclésial fort. Avec la cathédrale comme signe de la sacramentalité de toute l’Église, comme un don pour réveiller l’expérience chrétienne : l’appel de Dieu, le don du Christ, la force de l’Esprit pour vivre la charité, le don, le goût de partager cette richesse.

Mais ce que nous vivons ainsi, ce n’est pas pour notre satisfaction individuelle que nous le vivons. L’enjeu du témoignage de la foi, c’est toujours l’annonce du salut du monde tout entier, dont nous ne sommes pas les auteurs, mais des relais. Ainsi quand nous marquons notre déception devant l’inscription de la liberté d’avortement dans la constitution de notre République, nous interrogeons – nous l’avons fait, je l’ai fait – sur la liberté (je veux parler du climat de liberté, des pressions de l’opinion commune) qui restera aux femmes qui veulent garder l’enfant qui est en elle, sur la liberté de conscience des médecins et des soignants qui ne voudront pas pratiquer de tels gestes.
Quand nous comprenons que tous les préalables démocratiques ont été disposés sur le chemin d’une loi qui ouvre, en fait, la porte de la légalité à l’euthanasie, nous voulons continuer à proclamer « sans nous lasser que toute vie humaine mérite d’être respectée et accompagnée inconditionnellement avec une authentique fraternité. (Et) nous réaffirmons notre attachement à la voie française du refus de la mort provoquée et de priorité donnée aux soins palliatifs. » [2] Je viens de citer le texte de la déclaration que nous, évêques de France, avons faite depuis Lourdes il y a juste une semaine. De la même manière que je l’ai fait au sujet de l’avortement, j’interroge aussi sur la liberté, le climat de liberté qui restera aux personnes qui vivent et vivront leur maladie ou leur grand-âge comme un lot de souffrances pour eux, ou un poids d’accompagnement pour les autres ! Non, nous ne nous lasserons pas de réclamer que les soins palliatifs bénéficient d’un véritable soutien politique et d’un développement rapide, et non pas reporté à dix ans devant nous, c’est-à-dire à jamais. Nous lutterons, avec tous ceux qui les pratiquent et les développent, pour qu’ils expriment le meilleur de la fraternité en acte qui aide à vivre jusqu’au bout en relation avec un entourage qui tient la main au moment du grand passage.

Nous ne cesserons pas non plus d’invoquer l’esprit de la paix, en Ukraine, en Israël-Palestine, en Arménie et au Haut-Karabagh, l’esprit de la paix civile au Liban, en Iraq, en Syrie, en Érythrée, en Éthiopie et dans tant d’autres lieux sur notre terre. Nous continuerons de croire que l’Union Européenne, y compris avec des défauts que nous lui connaissons, demeure un signe de la volonté, depuis soixante-dix ans, de construire des relations entre les peuples qui n’a pas tant d’autres exemples à travers le monde et qu’il lui faut courageusement redire sa vocation et refixer ses objectifs. C’est pourquoi les évêques représentant les conférences épiscopales de cette Union ont lancé un appel, dans la perspective des prochaines élections : les sujets sont nombreux qui exigent pour l’avenir une réflexion sérieuse, des décisions courageuses et des personnels politiques à la hauteur de ces situations, que sont « les guerres en Europe et dans son voisinage, les migrations et l’asile, le changement climatique, la digitalisation croissante et l’utilisation de l’intelligence artificielle, le nouveau rôle de l’Europe dans le monde. » [3]
Nous nous souviendrons aussi que l’esprit olympique, esprit de compétition pacifique entre les nations, sera soutenu par l’initiative pastorale de Holy Games dont nous avons heureusement bien entendu parler ces derniers mois.
Sans oublier le rassemblement international et interreligieux qui se tiendra ici à Paris du 22 au 24 septembre prochain, à l’invitation de la communauté Sant’Egidio, dont j’ai déjà parlé plus d’une fois.

J’avais évoqué, l’année dernière, le soutien que nous devons à la pastorale en faveur des jeunes de notre société. Les patronages, les aumôneries, les mouvements de jeunes et l’Enseignement catholique sont de vrais soutiens pour cette attention aux jeunes en croissance. Nous croyons qu’ils sont faits pour tous, ce qui n’est pas toujours aisé, ce qui nous demande des efforts permanents, ce qui impose des moyens alloués, équitablement répartis en regard de l’effort consenti ! J’encourage aussi les familles parisiennes, les aumôneries scolaires, les établissements catholiques et les mouvements de jeunes à envisager chaque année leur participation sincère et empressée au Frat : le Fraternel d’Ile-de-France qui invite les collégiens à Jambville pour le week-end de Pentecôte, et les lycéens à Lourdes. Ce sera avant Pâques l’an prochain : qu’on se le dise …

J’avais aussi annoncé la mise en place d’une nouvelle équipe pour la pastorale des vocations, dans notre diocèse. Elle existe en effet, elle s’est fait connaître, et elle a demandé que l’on récite au moins chaque dimanche, sinon plus souvent, la prière pour les vocations. Je suis heureux de l’occasion qui m’est donnée pour y inviter avec force ; cette prière était annoncée pour ces prochains mois qui nous séparent de la réouverture de Notre-Dame, mais il est clair qu’elle gagnera à se prolonger !

Ainsi, les efforts que nous nous faisons pour annoncer l’évangile et le vivre nous-mêmes, ces efforts que le Seigneur soutient inlassablement, quand bien même ils se heurtent à beaucoup d’obstacles, de contrariétés, de contradictions, d’indifférences, de refus, signeront notre confiance dans la grâce divine, la grâce sacramentelle que cette célébration – de la bénédiction des huiles, de la consécration du Saint-Chrême qui servira aux baptêmes, aux confirmations, aux ordinations et à la consécration de l’autel de la cathédrale, du renouvellement des promesses sacerdotales et diaconales – illustre avec éclat, pour que nous en vivions dans notre quotidien le plus ordinaire.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

[1DELBRÊL Madeleine, Nous autres, gens des rues (Seuil, Paris, 1965, p.81).

[2Déclaration des évêques de France, mardi 19 mars 2024, site de la Conférence des Évêques.

[3On trouve cette déclaration sur le site de la COMECE, Commission des épiscopats de l’Union européenne.