Vous êtes ressuscités avec le Christ

Frères et sœurs, comment sortir du confinement ? Je ne parle pas du confinement physique dans lequel nous sommes plongés depuis bientôt 4 semaines, et qui va durer encore plusieurs autres, mais du confinement spirituel, dans lequel nous sommes enfermés depuis beaucoup plus longtemps peut-être. Comme le grand rabbin de France, Haïm Korsia, l’a déclaré avant de fêter Pessah, jeudi dernier, «l’esclavage en Égypte, c’est le symbole de tous nos enfermements, et chacun dans cette liturgie de cette soirée de Pâque doit se vivre non pas comme quelqu’un qui se rappelle un événement passé, mais se considérer lui-même comme sortant d’Égypte, donc manifestant sa confiance en Dieu. C’est chaque année, que l’on doit se considérer comme confiné, enfermé, par tout ce qui nous bloque nous empêche. » Il y a deux semaines, nous avons vu Jésus faire sortir Lazare de son tombeau, mais nous savons qu’ensuite celui-ci est mort à nouveau. Aujourd’hui, nous contemplons Jésus qui sort lui-même de son tombeau, et cela pour toujours[i]. Dans quelque temps, nous sortirons de nos confinements, mais sera-ce pour reprendre nos vies comme avant ? Le Seigneur nous appelle à une vie nouvelle, dès aujourd’hui. Pour cela, Il nous sollicite à tous les niveaux de notre être : notre âme, notre esprit, notre corps, et notre bouche. Il nous invite à croire, à comprendre, à vivre, et à témoigner.

 

Pour commencer, nous devons croire à la résurrection. Les évangiles témoignent de la difficulté pour l’homme d’accueillir cette Bonne Nouvelle[ii]. Même les plus proches disciples, à commencer par Pierre, ont éprouvé beaucoup de difficultés à le faire. Certains attendent des preuves, veulent comprendre pour croire, mais le Seigneur nous demande au contraire de croire pour comprendre, c’est-à-dire avant tout de lui faire confiance[iii]. Si nous n’avions pas fait confiance à nos parents, à nos instituteurs, à nos professeurs, nous n’aurions rien appris.  C’est le manque de foi qui a empêché les habitants de Nazareth de comprendre qui était Jésus, et de voir qu’il était plus que « le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon » (Mc 6,3).

Si Dieu ne veut nous donner aucune preuve scientifique de la résurrection, ce qui réduirait à néant notre liberté, Il nous offre des signes. Parmi les disciples, alors que beaucoup refusèrent de croire, le disciple que Jésus aimait « vit et crut » (év.). Qu’a-t-il vu ? Pas grand-chose : un tombeau vide, mais aussi « les linges, gisant à terre, ainsi que le suaire qui avait recouvert sa tête ; non pas avec les linges, mais roulé à part dans un endroit. » Ce simple signe suffit pour lui : si Jésus avait été enlevé, les linges seraient tous ensemble, les ravisseurs n’auraient pas pris la peine de rouler le suaire à part. Lazare était sorti de son tombeau encore enveloppé de bandelettes, mais Jésus en est ressorti libre. Qu’est-ce qui a permis à ce disciple de croire,  ce que les autres ne parvenaient pas à faire ? C’est l’amour. Si Jean l’a désigné comme « le disciple que Jésus aimait », c’est parce qu’il existait entre lui et son Maître une grande intimité[iv]. Seul l’amour permet de franchir les barrières que la raison est impuissante à dépasser.

 

L’amour permet la foi, et la foi permet la compréhension. Nous ne pouvons nous contenter de la foi du charbonnier, notre esprit est en quête de la Vérité. Saint Jean écrit : « les disciples n’avaient pas compris que, d’après l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Pourquoi le fallait-il ? Parce que l’homme était asservi aux forces de la mort, et que seul Dieu pouvait l’en délivrer. Même en cherchant bien, on ne trouvera aucune annonce explicite de la résurrection du Messie. Mais c’est toute l’Ecriture, relue à la lumière de cette résurrection, comme Jésus l’a fait avec les disciples d’Emmaüs, qui nous permet de découvrir que Dieu est plus fort que la mort[v].

 

Non seulement nous devons croire à la résurrection et chercher à en comprendre le sens, mais il nous faut aussi en vivre: « comme le corps privé de souffle est mort, de même la foi sans les œuvres est morte » (Jc 2,26). Notre foi doit transformer notre façon de vivre, ici et maintenant.  Saint Paul écrit aux Colossiens : « Vous êtes ressuscités avec le Christ. Recherchez les réalités d’en haut » (2° lect.) Qu’est-ce que cela signifie ? Non pas que nous devrions mépriser les réalités de la terre, mais que nous devons les transformer, conscients que le Seigneur nous prépare « des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (Ap 21,1). Cela signifie aussi que nous devons mourir au péché, et vivre à la manière du Christ. Comme Paul le précise dans les versets suivants, il s’agit de « faire mourir en nous ce qui n’appartient qu’à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie » (Col 3,5) et de « revêtir l’homme nouveau » (le vêtement blanc des nouveaux baptisés en est le signe) et ainsi de se revêtir «de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. » (Col 3,10.12)[vi]

 

En plus de vivre comme des ressuscités, le Seigneur nous invite à une ultime étape : le témoignage. La résurrection est la Bonne Nouvelle, l’évangile par excellence, que nous ne pouvons pas garder pour nous seuls. Tant d’hommes et de femmes autour de nous sont comme des brebis égarées ! Il nous faut imiter les Apôtres et Pierre, qui dit au centurion Corneille : « Il nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que Dieu l’a choisi comme Juge des vivants et des morts. » (1° lect.) Certes, le fait de vivre comme des ressuscités est déjà un beau témoignage. Nietzsche dit un jour, en voyant des chrétiens sortir d’une église : « je croirai quand je les verrai avec des gueules de ressuscités ». Mais dans certaines situations, il nous faut y ajouter la parole car, comme l’écrit saint Paul aux Romains : « la foi naît de ce qu’on entend ; et ce qu’on entend, c’est l’annonce de la parole du Christ. » (Rm 10,17) Alors, même si nous ne sommes pas de grands théologiens, n’ayons pas peur d’aller vers nos contemporains pour témoigner de notre foi. A travers l’épreuve terrible que nous traversons, beaucoup comprennent que nous devons changer nos manières de vivre. Puissent-ils, en nous voyant et en nous écoutant, éprouver le désir de vivre selon les évangiles !

La boucle est bouclée. Tout part de l’Amour (de Dieu) qui permet de croire, et tout s’achève dans l’Amour (du prochain) qui pousse à aller à la rencontre de l’autre pour lui offrir ce qu’il y a de plus précieux : la Bonne Nouvelle que Dieu a vaincu la mort, l’Amour a vaincu la haine.

 

Frères et sœurs, Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Certes, cet évènement nous permet d’abord d’espérer ressusciter nous-mêmes après notre mort, et nous délivre ainsi de la peur de mourir. S’il n’y avait que cette espérance, ce serait déjà beaucoup, mais on pourrait donner raison à Karl Marx qui disait que la religion est l’opium du peuple. Mais il y a plus : la résurrection du Christ nous permet de ressusciter dès ici-bas ! Nous pouvons être enfermés entre 4 murs, et vivre libres. Mais notre résurrection, même si elle est avant tout un don du Seigneur,  demande notre conversion, et donc des efforts et du temps. Du temps pour faire mourir en nous le vieil homme et faire advenir l’homme nouveau, c’est pourquoi pendant 40 jours, nous avons lutté avec le Christ pour nous convertir à travers la prière, le partage et les privations. Du temps aussi pour nous réjouir avec le Christ de sa victoire, que nous allons célébrer pendant les 8 jours de l’octave et les 50 jours du temps pascal. Paradoxalement, il nous est peut-être plus facile de lutter que de célébrer, du fait que notre vie sur la terre est parsemée d’épreuves multiples[vii]. Le temps pascal qui commence aujourd’hui nous demande d’anticiper la vie divine que nous connaîtrons après notre résurrection. Alors, sortons dès aujourd’hui de tous nos confinements, courons vers le Ressuscité aussi vite que Jean, et unissons-nous à lui par tout notre être, dans une joie profonde.

[i] Sa résurrection répond à la prophétie d’Ezéchiel : « Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple.  Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez » (Ez 37,12-13).

[ii] Saint Marc révèle que les femmes qui étaient venues au tombeau pour embaumer le corps, lorsqu’elles eurent reçu l’annonce de la résurrection et la mission de la transmettre aux disciples et à Pierre, « s’enfuirent et ne dirent rien à personne, car elles avaient peur » (Mc 16,8). Et les apôtres, lorsque Marie-Madeleine revint du tombeau avec ses compagnes, « l’entendant dire qu’il vivait et qu’elle l’avait vu, ne la crurent pas » (Mc 16,11) estimant que c’était du « radotage » (Lc 24,11). Pierre lui-même, le chef des apôtres, après avoir couru au tombeau et vu les linges, « s’en alla chez lui, tout surpris de ce qui était arrivé » (Lc 24,12), sans pouvoir croire encore. Alors, comment être étonné lorsqu’on lit dans les Actes des Apôtres à propos des Athéniens, qui avaient écouté Paul à l’aréopage avec attention jusque-là : en entendant les mots de « résurrection des morts, les uns se moquaient, les autres disaient : “ Nous t’entendrons là-dessus une autre fois” » (Ac 17,32) ? Comment être étonné que parmi les catholiques eux-mêmes, seule une minorité croit à la résurrection ?

P. Arnaud

[iii] « Credo ut intellegam » disait saint Anselme.

[iv] Comme l’atteste la scène du dernier repas où il était assis à son côté, et où il s’était penché sur sa poitrine pour lui demander qui allait le trahir (cf Jn 13,25)

[v] La traversée de la mer rouge, que nous avons entendue cette nuit, en est une illustration parmi beaucoup d’autres : alors que le peuple était promis à la mort, avec la mer devant lui et l’armée de Pharaon derrière lui, le Seigneur lui a tracé un chemin de vie, qui ressemble à une résurrection.

[vi] Cette transformation n’est pas visible de tous, car notre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. Comme le disaient St François de Sales et St Vincent de Paul: « Le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit. »

[vii] Comme le dit saint Augustin dans un de ses sermons les plus célèbres : « Chantons dès ici-bas l’alléluia au milieu de nos soucis, afin de pouvoir un jour le chanter là-haut dans la paix… Chantons et marchons ».