Viens, Esprit Saint, en nos cœurs
Frères et sœurs, quelle place l’Esprit Saint joue-t-il dans nos vies ? Beaucoup de chrétiens ne le prient jamais et vivent comme s’il n’existait pas. Au contraire, certains non-chrétiens se laissent guider par lui, au point de vivre de façon plus évangélique que certains baptisés. Comme le rappelaient les pères du Concile Vatican II : «L’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, d’être associés au mystère pascal[i]» (GS 22). Il agit dans le cœur de tous les hommes et toutes les cultures, et c’est grâce à lui que certains s’approchent de la Vérité, allant parfois jusqu’au Christ pour recevoir le baptême, comme les 3000 personnes qui furent touchés par le discours de Pierre le jour de la Pentecôte (Ac 2,41). Pour répondre à la question, souvenons-nous qu’on reconnaît un arbre à ses fruits (Mt 7,16-20). Or, quels sont les fruits de l’Esprit ? St Paul les énumère : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. » (Ga 5,22-23) Si nous produisons ces fruits, c’est que la sève de l’Esprit irrigue nos cœurs. Mais si nous ne les produisons pas, si nous sommes habités par la haine, la tristesse, la peur… et d’autres sentiments destructeurs, c’est que nous ne laissons pas l’Esprit entrer en nous[ii]. Même si nous produisons les fruits de l’Esprit, nous pouvons en produire davantage (souvenons-nous de la parabole de la vigne qui doit être taillée). Comment ? En le priant, bien sûr, mais aussi en étant plus attentifs à lui, qui cherche à être notre compagnon. N’oublions pas qu’il est une Personne, la 3ème de la Trinité. Pour mieux le connaître, partons du récit des Actes des apôtres qui l’évoque avec des images « fortes »: le feu et le vent.
« Il vint du ciel un bruit pareil à celui d’un violent coup de vent . » (1° lect.) Pour commencer, l’Esprit Saint peut être comparé au vent. Quelles sont ses caractéristiques ? Premièrement, le vent est libre : comme le dit Jésus à Nicodème, « le vent souffle où il veut : tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né du souffle de l’Esprit . » (Jn 3,8) La Pentecôte est célébrée 50 jours après Pâques ; le nombre 50 rappelle les années jubilaires, où les esclaves étaient libérés… Les hommes d’aujourd’hui sont assoiffés de liberté, mais beaucoup se trompent sur sa véritable nature. Ils la confondent avec le libre arbitre, qui permet à chacun d’agir selon ses propres désirs. Parfois, nos propres désirs nous rendent esclaves et malheureux, comme saint Paul l’a écrit au chapitre 7 de son épître aux Romains : « Je ne réalise pas le bien que je voudrais, mais je fais le mal que je ne voudrais pas. » (Rm 7,19) C’est l’Esprit qui nous libère, comme il l’écrit dans le chapitre suivant : « L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; c’est un Esprit qui fait de vous des fils. » (2° lect.) La Pentecôte, d’abord fête des moissons, est la fête par excellence de la plénitude.
Deuxièmement, le vent rafraîchit, comme nous l’expérimentons parfois durant les jours les plus chauds de l’été. Comme Elie au Sinaï, nous goûtons alors la douceur et la paix de Celui qui vient à nous dans une brise légère. (1 R 19,12) Lorsque nous sommes enfiévrés par nos passions, nous pouvons prier ainsi : « viens, consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur. Dans le labeur le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort » (séq.).
Troisièmement, le vent communique sa force. Il fait avancer les bateaux et tourner les moulins et les éoliennes. C’est grâce à cette force que les apôtres ont pu sortir du Cénacle où ils étaient reclus depuis 50 jours, et partir annoncer la Bonne Nouvelle jusqu’au bout du monde, et jusqu’au martyre.
« Ils virent apparaître comme une sorte de feu qui se partageait en langues et qui se posa sur chacun d’eux. » (1° lect.) L’Esprit peut aussi être comparé à un feu. Quels sont les trois effets du feu ? Premièrement, le feu purifie en détruisant, comme dans la vallée de la Géhenne, à Jérusalem, où l’on jetait toutes les ordures. De même, l’Esprit Saint nous purifie en détruisant en nous nos vices, si nous le voulons : « Car si vous vivez sous l’emprise de la chair, vous devez mourir : mais si, par l’Esprit, vous tuez les désordres de l’homme pécheur, vous vivrez. » (2° lect.) N’oublions pas ce que nous avons dit et demandé dans la séquence : « sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti ; lave ce qui est souillé »… Comme le feu défend l’homme des bêtes sauvages, l’Esprit est « le Défenseur », parce qu’il nous défend contre l’esprit du mal, l’adversaire qui veut nous empêcher d’aimer et d’accomplir la volonté de Dieu.
Deuxièmement, le feu éclaire. De même, Jésus a promis à ses disciples : « il vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » Cet enseignement n’est pas celui des savants, mais celui du « père des pauvres » (séq.), qui se fait comprendre par tous. Comme l’écrit saint Ignace de Loyola, « ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais de sentir et de goûter les choses intérieurement » (ES 2). Le miracle des langues, le jour de la Pentecôte, signifie que le disciple qui annonce la Bonne Nouvelle dans l’Esprit parvient à toucher le cœur et l’intelligence de ceux à qui il s’adresse, sans qu’aucune barrière de langue ou de culture puisse l’en empêcher. Saint François connaissait-il l’arabe ? Non, et pourtant il a su communiquer avec le sultan d’Egypte et sinon le convertir, du moins s’en faire un ami…
Enfin, le feu réchauffe. L’enfer est souvent représenté par le feu, mais il pourrait l’être plutôt par la glace, comme l’a fait Dante. En effet, l’Esprit Saint réchauffe nos cœurs parfois glacés par la haine ou la peur (cf les expressions de « guerre froide » ou « briser la glace »…), pour les faire jouir de la chaleur de l’amour. Jésus a fait à ses disciples cette promesse extraordinaire: « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. » Dans le cœur de celui qui accomplit sa volonté, Dieu vient habiter !
Pour conclure, frères et sœurs, demandons-nous à nouveau quelle place nous donnons à l’Esprit Saint dans nos vies. La Pentecôte revêt une triple signification : naturelle, historique et eschatologique. Elle était d’abord une fête païenne où on célébrait les moissons. Pour Israël, elle est devenue la fête du don de la Loi au Sinaï (que le feu et le vent rappellent). Pour nous chrétiens, elle anticipe le Royaume dans lequel nous serons parfaitement divinisés. Dès maintenant, apprenons à vivre de plus en plus à l’écoute de celui qui veut être notre compagnon pour nous y conduire[iii]. C’est ainsi que nous pourrons témoigner avec force du Christ ressuscité et toucher les cœurs de nos frères non-croyants. Pour finir, écoutons les paroles d’Ignace de Lattaquié : « Sans l’Esprit Saint, Dieu est loin, le Christ reste dans le passé, l’Evangile est une lettre morte, l’Eglise une simple organisation, l’autorité une domination, la mission une propagande, le culte une évocation et l’agir chrétien une morale d’esclave. Mais en lui, le cosmos est soulevé et gémit dans l’enfantement du Royaume, le Christ ressuscité est là, l’Evangile est puissance de vie, l’Eglise signifie la communion trinitaire, l’autorité est un service libérateur, la mission est une Pentecôte, la liturgie est mémorial et anticipation, l’agir humain est déifié ». Viens Esprit Saint, en nos cœurs. À tous ceux qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés. Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.
P. Arnaud
[i] « Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » (Gaudium et Spes 22, 5)
[ii] Cette « exclusion » peut s’expliquer par 3 raisons : soit nous accomplissons certaines choses qui sont mauvaises (par exemple tromper notre conjoint), soit nous ne sommes pas à la bonne place dans la société (notre métier n’est pas celui qui nous correspond), soit nous sommes à la bonne place mais nous n’accomplissons pas notre tâche de la bonne façon (sans amour, sans enthousiasme…)
[iii] « Celui qui nous a formés pour cela même, c’est Dieu, lui qui nous a donné l’Esprit comme première avance sur ses dons. » (2 Co 5, 5)