Convertissez-vous, et croyez à l’évangile

Frères et sœurs, sommes-nous prêts à nous convertir ? Dans quelques instants, au moment où les cendres seront imposées sur notre front, nous entendrons cette parole : « Convertissez-vous, et croyez à l’évangile ». Pourquoi nous convertir ? Les cendres elles-mêmes nous en donnent la raison. Premièrement, elles sont un signe d’humilité qui nous rappelle que nous sommes des créatures. Nous sommes poussière et nous retournerons à la poussière. Deuxièmement, les cendres sont un signe de pénitence. Non seulement nous sommes des créatures, mais aussi nous sommes pécheurs. Troisièmement, cependant, les cendres sont un signe d’espérance, qui nous rappelle que nous sommes fils de Dieu. Le feu peut parfois couver sous la cendre, et reprendre lorsqu’on souffle sur elle. C’est pourquoi il est toujours possible de « renaitre de ses cendres ». Oui, nous sommes poussière, mais nous avons reçu en nous le feu de l’amour divin, et pendant ce Carême, le Seigneur veut envoyer sur nous le souffle de son Esprit pour attiser son Amour. Notre conversion consiste donc tout simplement à mieux répondre à l’amour infini que Dieu a pour nous, en mettant davantage en pratique le plus grand de tous les commandements : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ; et ton prochain comme toi-même » (Lc 10,27) Ce commandement nous donne un objectif que nous n’aurons jamais atteint complètement. Toujours, nous aurons à nous convertir pour aimer davantage Dieu, nos frères et nous-mêmes. Toujours, nous aurons à nous tourner vers Dieu, car nous sommes sans cesse portés à nous en détourner, poussés par notre nature blessée par le péché, par le monde, et par l’adversaire… L’appel à la conversion résonne aujourd’hui avec force, alors que notre monde déchiré par la haine et l’indifférence et travesti par les mensonges et les erreurs a plus que jamais besoin de témoins lumineux de l’Amour et de la Vérité. Mais comment nous convertir ? Jésus lui-même vient de nous répondre dans l’évangile, en nous indiquant 3 pistes, qu’on pourrait appeler les 3 p : la prière pour grandir dans l’amour de Dieu ; le partage pour grandir dans l’amour des autres[i] ; les privations pour grandir dans l’amour de nous-mêmes. Ces 3 p se rassemblent et conduisent au P de Pâques, qui signifie passage : de la mort à la vie, de la haine et de l’indifférence à l’amour, du mensonge et de l’erreur à la vérité. Voici la récompense dont Jésus vient de nous parler plusieurs fois dans l’évangile : la vie, l’amour et la vérité auxquels nous aspirons. Puisque c’est Dieu qui est la Vie, l’Amour et la Vérité notre récompense, c’est Lui-même ! Voyons comment nous pouvons le recevoir, en apprenant à l’aimer davantage, ainsi que notre prochain et nous-mêmes.

 

Commençons par le Seigneur. « Dieu premier servi » disait Jeanne d’Arc. « La prière ce n’est pas beaucoup penser, c’est beaucoup aimer » (Ste Thérèse d’Avila). Tous ici, nous aimons le Seigneur, sinon pourquoi serions-nous ici ce soir ? Mais l’aimons-nous vraiment de tout notre cœur ? En ce jour où nous célébrons la saint Valentin, pensons à l’amour entre deux personnes. Premièrement, ils sont prêts à passer des heures dans l’intimité ensemble, ils voudraient ne jamais se quitter. Deuxièmement, ils cherchent à se connaître sans cesse mieux l’un l’autre. Troisièmement, ils aiment aussi se faire des cadeaux… Est-ce ainsi que nous agissons vis-à-vis du Seigneur ? D’abord, quel temps consacrons-nous à l’oraison, à ce cœur à cœur amoureux où alternent les paroles et le silence ? Ensuite, cherchons-nous à mieux connaître le Seigneur en formant notre Foi par des lectures (en particulier la lectio divina, la lecture méditative de la Bible) ou par la participation à des cours ou à des conférences ? Enfin, sommes-nous désireux de recevoir les cadeaux de Dieu que sont les sacrements ? Ces différentes formes de prière nous rapprochent toutes de Dieu.

 

En deuxième lieu, celui qui aime Dieu aime aussi son prochain. « Si quelqu’un dit : “J’aime Dieu” et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4,20). A la fin de notre vie, le Seigneur nous jugera sur la manière avec laquelle nous nous serons comportés avec les autres. Pas seulement avec nos proches (notre famille, nos amis…) mais aussi et surtout avec ceux que nous n’aimons pas assez, avec lesquels nous sommes en conflit, que nous ne voulons pas pardonner ou qui ne veulent pas nous pardonner… Le Christ nous a dit : « lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. » (Mt 5,23-24) La question n’est pas de savoir si j’ai commis une faute ou non : même si je n’ai rien à me reprocher, je dois aller par amour vers mon frère ou ma sœur qui m’en veut, afin de le « sauver » de sa haine ou de son ressentiment contre moi. Pendant ce Carême, avec qui le Seigneur me demande-t-il de me réconcilier ?

 

En troisième lieu, celui qui aime Dieu et son prochain ne peut que s’aimer lui-même. A la lumière de l’Esprit qui l’habite, il prend conscience de sa valeur inestimable, en tant que fils ou fille aimée de Dieu et serviteur de ses frères. Cet amour de soi n’est ni orgueil, ni égoïsme. Comme le disait sainte Thérèse d’Avila, « l’humilité, c’est la vérité ». Le plus bel exemple nous est donné par la Vierge Marie elle-même. Après avoir accepté de devenir la mère du Sauveur, elle chante son magnificat avec notamment ces paroles : Dieu « s’est penché sur son humble servante, désormais toutes les générations me diront bienheureuse. Le Seigneur fit pour moi des merveilles, saint est son Nom » (Lc 1,48-49) Le jeûne, et plus largement les privations, peuvent nous aider à grandir dans l’amour de nous-mêmes. En me privant de quelque chose qui me tient à cœur, voire même dont j’ai besoin, je suis amené à faire davantage confiance à Dieu et à grandir ainsi dans la Foi. Je peux alors éprouver ce que saint Paul écrivait : « Je peux tout en Celui qui me fortifie » (Ph 4,13).

 

Ainsi, la prière, le partage et les privations sont des moyens privilégiés pour vivre le Carême. Tout comme l’amour de Dieu, du prochain et de soi-même ne forment qu’un seul commandement, « les trois ne font qu’un et se donnent mutuellement la vie, les trois ne peuvent se séparer. Celui qui en pratique seulement un ou deux, celui-là n’a rien » (St Pierre Chrysologue). Ainsi, ces trois moyens sont comme 3 bûches offertes par Dieu. Lorsqu’elles brûlent, elles ne forment qu’un seul feu, attisé par le souffle de l’Esprit. Vivons ce Carême dans ce souffle, unis au Christ et en communion les uns avec les autres. Jésus priait souvent son Père, parfois pendant des nuits entières. Il a partagé tout ce qu’il possédait, et en particulier ce qu’il avait de plus précieux, sa connaissance du Père : « je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15,15) et c’est pourquoi il dira à ses disciples : « Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement » (Mt 10,8) Il s’est beaucoup privé, non seulement pendant son jeûne au désert, mais aussi ensuite, lorsqu’il n’avait « pas de pierre où reposer la tête » (Mt 8,20). Mais surtout, il a jeûné de sa volonté propre : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » (Jn 4,34) Seigneur, marche avec nous vers la joie de Pâques, illuminés et réchauffés par le grand feu de l’amour. Et lorsque nous chuterons, aide-nous à nous relever et à repartir avec confiance et détermination, sûrs de ta miséricorde infinie !

P. Arnaud

[i] L’expression « faire l’aumône » qui est utilisée dans l’évangile a été dénaturée. Pour beaucoup de nos contemporains, elle signifie seulement donner une petite pièce à un pauvre dans la rue ou envoyer un chèque à une association. Certes, ces actions sont bonnes, à condition toutefois de n’être pas seulement des moyens pour se donner bonne conscience. Ce qui importe vraiment, c’est de donner avec amour, comme saint Paul l’écrivait aux Corinthiens : « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » (1 Co 13,3)