Béni soit celui qui vient

Imagine. Comme John Lennon, frères et sœurs, imaginons que nous ayons pu agiter des rameaux au début de cette célébration, comme nous le faisons chaque année et comme nous le ferons sans doute dans quelque temps, si le Seigneur le permet. Pourquoi ce geste si populaire qu’il attire à la messe plus de monde qu’à toutes les autres fêtes chrétiennes ? D’abord parce que les rameaux sont des symboles de la vie éternelle, comme le buis qui reste toujours vert lorsqu’il est dans la nature. Ensuite parce qu’ils évoquent la fragilité de nos existences, particulièrement évidente en ce temps de pandémie, comme les branches que nous accrochons habituellement à nos crucifix au-dessus des portes de nos appartements et qui finissent par jaunir et se flétrir au bout de quelques mois. Enfin, les rameaux signifient qui est notre véritable roi, rappelant  l’intronisation de celui qui veut régner dans nos maisons et surtout dans nos cœurs : le Christ, que les disciples ont accueilli dans Jérusalem en criant : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » En les entendant, Jésus ne leur a pas demandé de se taire alors que jusqu’ici, il l’avait toujours fait. Pourquoi ? Parce qu’il savait que dans l’esprit des Juifs, le Roi d’Israël, le messie, était perçu comme un personnage puissant, le fils de David, qui chasserait les Romains pour redonner la liberté à son peuple. Aujourd’hui, non seulement il ne leur demande pas de se taire, mais il répond aux Pharisiens qui lui demandent de réprimander ses disciples, parce qu’ils ont peur que l’occupant romain ne réagisse par la force à la vue de ce qui ressemble à un trouble de l’ordre public : « Je vous le dis : si eux se taisent, les pierres crieront. » Pourquoi ce changement chez Jésus ? Parce que désormais, il ne sera plus possible se tromper sur sa véritable identité. Certes, il est bien le messie tant attendu, le roi d’Israël et même de tout l’univers, comme nous le célébrons le dernier dimanche de chaque année liturgique. Mais sa royauté n’est pas celle des puissants de ce monde, elle ne ressemble pas à celle de Pilate, le gouverneur romain, ou à celle d’Hérode, le roi fantoche de la Galilée. Il ne rentre pas dans Jérusalem sur un grand cheval, mais sur un petit âne. On ne lui déroule pas le tapis rouge, mais on dépose devant lui des manteaux. Bientôt, les acclamations de la foule vont changer et devenir des cris de haine : « crucifie-le ! crucifie-le ! » Au lieu de juger ses sujets, comme le faisait Salomon ou comme le fera saint Louis au pied de son chêne dans la forêt de Vincennes, tout près d’ici, il sera jugé lui-même et condamné. Au lieu d’une magnifique couronne d’or et de diamants, il portera une couronne d’épines. Au lieu de porter les plus beaux vêtements, on le revêtira d’un manteau de couleur éclatante en signe de dérision, avant de le dénuder complètement. Au lieu de l’oindre avec les crèmes les plus douces, on le flagellera et on lui crachera dessus. Au lieu de l’installer sur une chaise à porteurs, c’est lui qui devra porter une lourde croix. Au lieu de l’asseoir sur un trône en métal précieux, il sera cloué sur une croix. Ainsi, Jésus est bien « le roi des Juifs », comme Pilate le fera écrire ensuite au-dessus de sa tête sur la croix. Quel est le sens de cette royauté de Jésus ? Lui-même le dit à ses disciples au moment de la dernière Cène : « Les rois des nations les commandent en maîtres, et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert… Je suis au milieu de vous comme celui qui sert ». Comment le Christ nous sert-il ? En nous dévoilant la vérité et nous aimant. Comme le dit un psaume (84), « amour et vérité se rencontrent ». Méditons sur ces 2 facettes de la royauté du Christ.

 

Pour commencer, le Christ veut régner par la vérité. Lorsque Pilate lui demande au moment de son procès : « “Alors, tu es roi ?” Jésus répondit : “C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix.” » (Jn 18,37) Rendre témoignage, en grec, se dit martyrios. Comme dit l’Ecriture, dans la bouche de Jésus, « on n’a pu trouver de mensonge » (1P 2,22). A Pilate qui lui demande : « Es-tu le roi des Juifs ? », il n’esquive pas, bien qu’il sache que sa réponse peut lui valoir la mort, il répond : « C’est toi-même qui le dis. » Il sait pourtant que pour les Romains, il ne doit pas y avoir d’autre roi que César, comme les chefs du peuple le diront opportunément pour leur part ensuite : « Pilate leur dit : “Vais-je crucifier votre roi ?” Les grands prêtres répondirent : “Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur.” » (Jn 19,15) Si Jésus ne répond pas à Hérode qui lui pose « bon nombre de questions », c’est parce qu’il sait que cela ne servira à rien, Hérode étant trop superficiel pour comprendre ses réponses éventuelles… Dans notre époque infestée par tant de fake news, de fausses informations, notre désir de la Vérité doit être toujours en éveil.

 

Le Christ veut régner par la Vérité, mais aussi par l’Amour. Cet Amour s’exprime tout au long de la Passion. Songeons au serviteur du grand prêtre, à qui un disciple (un autre évangéliste précise que c’est Pierre) a tranché l’oreille, et que Jésus guérit. Songeons à Pierre, encore lui, qui a renié 3 fois Jésus, et sur lequel celui-ci pose un regard tellement plein de tendresse que Pierre ne peut s’empêcher de pleurer amèrement ensuite. Songeons à tous les ennemis de Jésus, pour lesquels il prie sur la croix en disant : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. »  Songeons au malfaiteur crucifié à côté de lui, et à qui il fait cette étonnante promesse : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » Cet Amour de Jésus pour les hommes s’enracine dans son Amour pour son Père. C’est à Lui, dans un total abandon et une totale confiance, qu’il adresse ses dernières paroles : « Père, entre tes mains je remets mon esprit »… Les nombreux et magnifiques gestes de solidarité qui sont posés en ce moment, dans cette crise terrible que nous traversons, manifestent que beaucoup dans notre société, quelle que soit leur foi, ont une immense soif d’Amour, un Amour concret qui s’exprime dans la fraternité.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Christ veut régner en nos maisons et en nos cœurs par la Vérité et par l’Amour. A chaque fois que nous osons exprimer la Vérité, même et surtout devant ceux qui voudraient nous faire taire, nous acclamons le Christ comme notre roi. A chaque fois que nous aimons nos frères, même et surtout ceux qui nous ont fait du mal et à qui nous osons pardonner, nous acclamons le Christ comme notre roi. Mais à chaque fois que nous usons de mensonge ou que nous taisons la vérité, nous re crucifions Jésus. Et à chaque fois que nous refusons d’aimer et de pardonner, nous re crucifions Jésus. « Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde », a écrit Pascal. Pendant les jours et les mois à venir, à chaque fois que nous regarderons les rameaux accrochés à nos murs, si nous avons gardé ceux de l’an dernier, ou en imagination s’il nous faut attendre avant d’en recevoir de nouveaux, demandons-nous si le Christ règne véritablement dans nos cœurs, demandons-nous si nous sommes prêts à donner nos vies pour témoigner de la Vérité (surtout lorsque nous sommes en face de personnes qui lui sont hostiles) et pour aimer notre prochain (surtout lorsqu’il nous est hostile). Et si nous sommes tentés de crucifier le Christ à nouveau, regardons la Vierge Marie, sa Mère qui l’a suivi jusqu’au pied de la croix et qu’il nous a donné pour mère, et demandons-lui d’intercéder pour nous : « Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ». AMEN.