« Heureux »… « Malheureux »… Ces mots reviennent à la manière d’un refrain dans les textes que la liturgie nous donne de méditer aujourd’hui : un refrain voire une litanie…

Généralement, nous connaissons bien mieux la version des béatitudes dans l’évangile selon Saint Matthieu (Mt 5, 1-12) que nous proclamons tous les ans le jour de la Toussaint, notamment.

Tout comme son homologue selon Saint Matthieu, le texte que nous venons d’entendre développe une anaphore. Une anaphore, c’est une figure de style rhétorique : C’est quand on fait une répétition d’un mot au début de plusieurs phrases qui se suivent (« Heureux […]. Heureux […]. Heureux […].  »). En général, c’est un peu lourd dans un discours, peu subtil et pas du tout discret… Mais justement, c’est aussi tout l’intérêt ! Ça permet de donner un rythme et de repérer très vite où est l’essentiel dans ce que l’on veut dire.

Outre l’anaphore, la particularité des béatitudes dans l’évangile que nous venons d’entendre, est qu’il n’y en a que quatre ; et elles sont accompagnées de quatre « tristitudes » (ce mot n’existe pas, mais il fallait bien en trouver un pour mettre en face de « béatitudes »…). L’anaphore des quatre « Heureux, vous qui … » est accompagnée par une autre anaphore de quatre « Quel malheur pour vous qui … ». Et là, on a ces fameux paradoxes de Jésus qui retourne la réalité : Que soient heureux ceux qui sont pauvres, ceux qui ont faim, ceux qui pleurent et ceux qui sont insultés… Et inversement : Que soient malheureux ceux qui sont riches, ceux qui sont repus, ceux qui rient et ceux qui sont bien vus…

Il faut reconnaître que ça pose sérieusement question ; et c’est bien ! C’est fait pour ça : pour poser question !

Si on regarde bien les béatitudes, à ceux qui sont pauvres, il n’est pas promis la richesse, mais le royaume de Dieu ; à ceux qui ont faim, il n’est pas promis d’être repu, mais simplement d’être rassasié ; à ceux qui sont insultés, il n’est pas promis d’être bien vus, mais une grande récompense dans le Ciel.

On sent bien que le problème n’est pas de dire si c’est bien ou si c’est mal d’être riche, d’être repus ou d’être bien vu… Le problème est de se détourner de Dieu… Se détourner de Dieu est un problème : alors heureux ceux qui vivent dans une situation où ils se sentent dépendants de Dieu, où ils ne cessent de demander des grâces pour pouvoir vivre, où ils sont en permanence dans les mains du Seigneur, dans la prière… Et inversement, malheureux ceux qui vivent dans une situation où ils ne se sentent pas dépendants (ils sont indépendants) de Dieu, où ils ne demandent jamais de grâce pour pouvoir vivre parce qu’ils sont déjà riches… Malheureux sont-ils, parce qu’ils ne sont pas bien prédisposés…

Et pire, ils peuvent aussi malheureusement devenir des profiteurs ! Profiter de ses richesses avec ingratitude, sans être dans une gratitude vis-à-vis de Dieu – dans une action de grâce – et sans partager avec ceux qui sont pauvres, ceux qui ont faim, et ceux qui ne sont pas assez considérés dans leur dignité. « Malheureux, ces profiteurs de la vie qui s’enrichissent sur le dos des autres » pourrions-nous dire…

Mais… Si aux pauvres demandeurs de grâces, il est promis des récompenses dans le Ciel, aux profiteurs de richesses, il n’est promis ni condamnation, ni malédiction C’est juste DOMMAGE pour eux… Ils peuvent vaguement trouver un peu de chaleur et de réconfort dans une vie relativement confortable, mais qu’est-ce qu’une vie confortable sans l’Espérance du Ciel ? Ça veut dire aussi qu’on peut y voir la porte toujours ouverte à la conversion, à la repentance, et à l’amélioration pour cheminer malgré tout vers la sainteté, même si on part sans avoir de prédispositions…

Et ça, c’est plutôt rassurant, parce que, nous-même, nous ne sommes pas tous pauvres en permanence, nous ne sommes pas tous affamés en permanence, nous ne sommes pas tous en train de pleurer en permanence, nous ne sommes pas tous insultés par tout notre entourage en permanence, comme le bienheureux de l’évangile…

Il nous faut rechercher, dans nos vies de chrétiens et de chrétiennes, à lutter contre le vrai malheur qui est de se détourner de Dieu ! Bien souvent, parce que notre vie n’est pas trop difficile, nous pouvons sombrer dans une espèce de torpeur anesthésiante. Une torpeur qui nous fait nous affaler dans le canapé confortable en consommant le divertissement ininterrompu que nous propose notre chère société… Il nous faut lutter contre ces torpeurs, batailler contre cette tentation de reléguer Dieu à une autre place que le centre et le cœur de notre vie. C’est bien là, la place de Dieu : le centre et le cœur de notre vie ! Il nous faut batailler pour résister à la tentation de se dire que « la sainteté ce n’est pas pour moi ». Non ! C’est le projet de Dieu pour chacun d’entre nous : la sainteté. Cheminons dans cette bataille intérieure et spirituelle, pas après pas, sur le Chemin qu’est le Christ. À la manière dont on s’occupe de fleurs : il faut respecter son rythme de marche, son rythme de vie, y ajouter 2 ou 3 engrais de temps en temps, élaguer 2 ou 3 choses de temps en temps, tout en entretenant et arrosant régulièrement… La sainteté, c’est la même chose : par moment, il faut ajouter 2 ou 3 choses pour renouveler sa motivation spirituelle, et à d’autres moments, élaguer 2 ou 3 choses qui nous gênent dans notre progression vers Dieu ; tout en entretenant régulièrement l’ardeur de sa foi par la prière et en l’arrosant de grâces par des sacrements réguliers…

Avec l’aide de Dieu, engageons-nous, Frères et Sœurs, ensemble, en Église, dans ce beau chemin vers la béatitude des bienheureux. Soyons des éternels demandeurs de grâces auprès du Seigneur. Je vois déjà ici un beau bouquet de saints en devenir qui porte une petite odeur de sainteté ne demandant qu’à être amplifiée pour aider le monde extérieur à convertir son cœur à la beauté de la sainteté.

Puisque l’évangéliste a écrit son anaphore avec style, tentons également une conclusion récapitulative avec style (mais dans un autre style) :

Les bienheureux vivent          au-delà des malheurs,
et trouvent leur bonheur        dans les mains du Seigneur.

S’ils trouvent dans leur vie    une sombre chaleur,
les malheureux sont, eux,       de pauvres profiteurs.

Luttons face au malheur,        très chers Frères et Sœurs ;
en face de nos torpeurs,        soyons grands batailleurs :

cultiver dans nos cœurs         la sainteté en fleurs
pour trouver le bonheur         et propager l’odeur.