« Le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. […] Dieu […] le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt. » Quelle phrase étonnante… Non, saint Jean ne bégaye pas, et il ne s’est pas non plus emmêlé les pinceaux, même si on pourrait le croire, je vous l’accorde.

Tout d’abord, qu’est-ce que cette « gloire », dans le vocabulaire de la Bible ? En hébreu, le mot כָּבוֹד (kavōd) a façonné la compréhension de ce qu’on appelle la « gloire de Dieu » (qui sera ensuite également repris par le mot grec δόξα (doxa)). Le sens profond de ce mot hébreu désigne « le poids », autant concret que métaphorique. D’ailleurs, la langue française le rend bien puisqu’on parle d’un poids lorsque l’on pèse quelque chose en kilogramme, par exemple, mais pour quelque chose qui a de l’importance, on dit aussi qu’il a du poids (comme un argument dans une conversation par exemple). Bref, nous avons de la chance que la langue française rende plutôt bien ce double sens.

« Glorifier » quelqu’un veut donc dire, « donner du poids », « donner de l’importance » à une personne. Et, poussé à un certain extrême, c’est lui donner la première place. Le Père et le Fils se glorifient mutuellement, réciproquement, et puisqu’ils sont UN, ils peuvent tout à fait avoir la première place, ensemble.

Revenons au texte de l’évangile. Il semble que les paroles de Jésus que nous venons d’entendre soient conditionnées au fait que Juda soit parti : « Au cours du dernier repas […], quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant […] » ». Autrement dit, « maintenant » qu’il est parti, voilà ce qui se passe et que vous ne voyez pas : « le Fils de l’homme est glorifié », c’est-à-dire qu’il a pris une certaine importance dans ce que nous vivons, il a un poids dans l’histoire ; « et Dieu est glorifié en lui », c’est-à-dire que Dieu le Père prend toute son importance par Jésus, avec Jésus et en Jésus (souvenons-nous de cela lors de la formule « Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles »). Et, « si Dieu » le Père « est glorifié en lui », en Jésus-Christ, « Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt ». Comment le Père glorifiera-t-il le Fils ? Par la Croix. Pour Jésus, la gloire, c’est la Croix : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15,13)

Oui, celui qui aime quelqu’un sait que l’amour mène au sacrifice de soi pour celui qu’on aime. Aimer quelqu’un, c’est lui donner de l’importance, presque plus que pour soi-même, lui donner du poids dans notre vie, le glorifier… On sacrifie l’importance et le poids que l’on se donne à soi-même… Celui qui ne sait aimer qui lui-même ne peut pas comprendre cela…

Ainsi, on peut comprendre un peu mieux le lien avec la 2e partie du texte d’aujourd’hui.

Les verbes « glorifier » et « aimer » sont proches, et on pourrait presque les intervertir pour nous aider à élargir notre compréhension du texte.

« Comme je vous ai aimés », « comme je vous ai [glorifié] », « vous aussi aimez-vous les uns les autres », « vous aussi [glorifiez]-vous les uns les autres »… donnez-vous de l’importance les uns pour les autres, comme nous sommes importants dans le cœur de Dieu. Évidemment, aimer comme Jésus aime, c’est impossible pour nous avec nos propres forces, notre propre capacité d’aimer. Ce commandement nouveau n’arrive pas n’importe quand : il arrive « maintenant [que] le Fils de l’homme est glorifié, et [que] Dieu est glorifié en lui », comme le dit Jésus ; il arrive « maintenant » que nous contemplons le sacrifice ultime de l’Amour sur la Croix ; il arrive « maintenant », parce que « maintenant », par la Croix et par la gloire, nous sommes rendu capables d’aimer comme Lui. Et notre fidélité à ce commandement est vitale parce que c’est à cela que nos communautés seront jugées. L’essentiel n’est pas la qualité de notre discours sur Dieu ; l’essentiel n’est pas non plus le nombre de fois où nous allons à la messe, ou encore la beauté de ces célébrations ; mais l’essentiel est bien la qualité de l’Amour, c’est-à-dire la qualité du service que nous nous rendons et que nous nous offrons les uns aux autres. (La qualité de notre discours sur Dieu, le fait d’aller à la messe et la beauté des célébrations, c’est important aussi, mais ce n’est pas l’essentiel, ce n’est pas sur ça que se joue la crédibilité de notre foi et de notre témoignage.)

Chers Frères et Sœurs, entrons dans cet acte de foi que nous demande ce commandement nouveau : contempler la gloire de Dieu, glorifier Dieu, c’est ce qui nous rend capables d’aimer à la mesure de ce qu’il demande, d’un amour qui a du poids. Face à cet amour qui pèse (qui a du poids), le péché, lui, ne fait pas le poids. Nous pouvons combattre le péché par l’amour.

Restons accrochés à notre Seigneur et sauveur, à notre Bon Pasteur, à Jésus-Christ ressuscité. Glorifions-le pour lui montrer comme il est important pour nous. Contemplons sa gloire dans l’Eucharistie où il vient se rendre visible à nos yeux. Et tout à l’heure, lorsque nous partirons en mission dans le monde après cette messe, rendons visible aux yeux du monde la gloire de Dieu, en montrant à quel point nous sommes capables de nous aimer les uns les autres, de nous « glorifier » les uns les autres.