Arrière, Satan !
Frères et sœurs, qui est notre véritable Maître ? Sommes-nous toujours à l’écoute du Seigneur, dociles à sa volonté ? Ou préférons-nous parfois écouter l’Adversaire, celui qui est le Menteur par excellence ? Sans cesse, il nous faut choisir entre 2 voies : celle des fils et filles de Dieu, qui font confiance à leur Père… ou celle des disciples de Satan qui veulent devenir des dieux par leurs propres forces[i]. Là où Adam, le premier homme, avait succombé aux tentations du serpent, Jésus va vaincre[ii]. Pourquoi ? Parce qu’il s’est laissé « conduire » par l’Esprit, dont il était « rempli », et éclairer par la Parole de Dieu (qu’il cite sans cesse). Le serpent, appelé ici « diable, diabolos », celui qui divise, qui veut séparer Jésus de son Père du Ciel et de ses frères de la terre, le tente de 3 manières, qui touchent son rapport d’abord à la création (désir d’avoir et de plaisir), ensuite aux autres (désir de pouvoir), enfin à son Père lui-même (désir de gloire). Cherchons à mieux comprendre chacune de ces 3 tentations qui révèlent « toutes les formes de tentations » auxquelles nous sommes confrontés nous aussi, et voyons comment nous pouvons y faire face.
En premier lieu, Satan tente Jésus, et donc l’homme, par rapport à la création. C’est la tentation de l’avoir. Alors qu’il a faim, le tentateur s’approche et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Au lieu de se soumettre au diable et à sa faim, Jésus se défend grâce à l’Ecriture. Se souvenant de ses ancêtres dans le désert, il cite le Deutéronome : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (cf Dt 8,3). Plus tard, il déclarera à ses disciples : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin. » (Jn 4,34) Un jour, oui, il multipliera les pains… Mais ce sera pour combler non sa propre faim, mais celle des autres.
Au moment de la Passion, Jésus sera à nouveau tenté dans son corps. Au moment de la flagellation d’abord. Puis sur la croix, il lui sera proposé 3 fois d’accomplir un miracle : « sauve-toi toi-même, si tu es le messie » lui diront à la fois le malfaiteur à côté de lui, les soldats et les chefs des Juifs. Mais Jésus, là encore, refusera d’accomplir un miracle qui lui aurait permis d’échapper à la souffrance corporelle. Plus largement, cette tentation est caractéristique de notre société de consommation, qui détruit la planète à son profit pour trouver de la jouissance. Pour y faire face, nous pouvons cultiver la tempérance, une des 4 vertus cardinales. Certains aussi prononcent le vœu de pauvreté…
Deuxièmement, Satan tente Jésus par rapport aux autres hommes. Il l’incite à les dominer plutôt qu’à les servir. C’est la tentation du pouvoir. L’emmenant sur une très haute montagne et lui faisant voir tous les royaumes du monde avec leur gloire, le diable tente Jésus par un marchandage: « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer. » Or le Seigneur ne marchande pas, Il donne gratuitement, et c’est librement que l’homme peut ou non lui répondre. Un jour, oui, le Christ règnera sur l’univers, comme nous le célébrons lors de la solennité du Christ-Roi. Mais en attendant, « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir » (Mt 20,28). Face à cette deuxième tentation, Jésus cite à nouveau le Deutéronome, et plus précisément la parole qui suit le Shema Israël, la profession de foi juive : « C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras,
à lui seul tu rendras un culte. »
Sur la croix, Jésus aura sur la tête une couronne royale, mais elle sera faite d’épines. Et au lieu de dominer sur les autres, il continuera de les servir, notamment en donnant Marie sa mère au disciple qu’il aimait, et en adressant une parole de salut au bon larron à côté de lui. Face à cette tentation du pouvoir, la meilleure réponse est celle de la chasteté, un vœu qui ne concerne pas seulement le corps, mais la relation avec les autres (castus est l’inverse de l’inceste). « Aimer purement, c’est consentir à la distance », autrement dit à l’absence de pouvoir et de contrôle, écrit Simone Weil dans La pesanteur et la grâce.
Enfin, Satan tente l’homme par rapport à Dieu lui-même. C’est la tentation la plus spirituelle, celle du savoir, qui concerne particulièrement les croyants, et qui mène au fondamentalisme. Au lieu de dire « que ta volonté soit faite », elle consiste à estimer qu’on sait soi-même ce qui est juste. C’est ainsi que le serpent de la Genèse avait tenté Adam et Eve : « vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » (Gn 3,5) Ici le diable, qui a compris la leçon de ses 2 échecs précédents, utilise lui-même l’Ecriture, après avoir emmené Jésus au sommet du Temple de Jérusalem, le lieu le plus sacré en Israël: « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre » Jésus lui répond : «Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » C’est Dieu qui parfois nous éprouve, non pour nous faire du mal mais pour nous purifier, comme l’or au creuset. Jésus ne se place pas au-dessus de son Père, il ne le met pas à son service. Tous les miracles que Jésus accomplira seront destinés à glorifier le Père, et non à se glorifier lui-même.
A Gethsémani, il dira : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » (Lc 22,42) Puis il « se jettera » dans la mort… Mais ce ne sera pas pour manifester sa puissance dans un accès de vaine gloire, mais pour manifester la toute-puissance de l’Amour de son Père. Pour faire face à cette tentation, le meilleur remède est donc l’obéissance.
Ainsi, frères et sœurs, Satan nous tente en nous invitant à nous soumettre la création, les autres, et Dieu lui-même. L’invasion de l’Ukraine, pays riche en céréales, riche en habitants, et riche en « capital religieux », en est une triste manifestation. Mais dans notre société aussi, ces trois tentations sont omniprésentes. Les déesses de la sexualité et de la consommation nous incitent à ne pas refréner nos désirs. Ensuite, le désir idolâtrique du pouvoir peut nous pousser à voir en l’autre non un frère, mais un adversaire à éliminer. Enfin, l’athéisme nous invite à nous considérer nous-mêmes comme des dieux, en allant au-delà du bien et du mal. Pendant ce Carême, conscients que nous sommes tous tentés de façons différentes, en fonction de ce que nous sommes apprenons à rejeter toutes les tentations en nous mettant à l’école du Christ. Il y est parvenu en se mettant à l’écoute de la Parole de Dieu et en se laissant conduire par l’Esprit Saint. Nous-mêmes, pourquoi ne pas nous mettre davantage à l’écoute de la Parole de Dieu, après avoir invoqué l’Esprit Saint, par exemple en recevant chaque jour l’évangile du jour sur notre portable ? Illuminés et nourris par cette Parole, dont l’efficacité sera démultipliée par les trois moyens que le Christ nous a rappelés le mercredi des Cendres (les Privations par rapport à l’avoir et au plaisir), le Partage vis-à-vis du pouvoir, et la Prière contre la vaine gloire), nous serons plus unis au Christ, et c’est avec lui que nous pourrons goûter la joie de vaincre les forces du mal et d’être de véritables fils et filles de Dieu.
P. Arnaud
[i] 2 fois dans les 3 tentations, le diable commence en disant : « si tu es Fils de Dieu ». N’oublions pas que juste avant, Jésus a été baptisé, et que le Père a fait entendre sa voix : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » (Lc 3,22)
[ii] Entre le baptême et les tentations au désert, cependant, Luc a inséré la généalogie de Jésus, qu’il fait remonter jusqu’à Adam. Pourquoi ne l’a-t-il pas placée au début de son évangile, comme l’a fait Matthieu ? Pour signifier que Jésus vient pour sauver toute l’humanité, les vivants et les morts.