Le Règne de Dieu est tout proche

Frères et sœurs, comment transformer ce monde qui va si mal ? Faudrait-il un nouveau déluge, comme au temps de Noé ? Il existe une solution meilleure, qui est de nous convertir, c’est-à-dire de nous tourner davantage vers Dieu, vers notre prochain et vers notre être profond. Si, au temps de Noé, Dieu a provoqué le déluge qui a fait mourir une multitude d’êtres humains, ce n’est pas par méchanceté, c’est parce que les hommes s’étaient tellement endurcis qu’ils ne l’écoutaient plus : ils « avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche» (2° lect.) Le Seigneur voulait repartir sur de nouvelles bases et établir une nouvelle alliance avec eux, symbolisée par l’arc-en-ciel[i] (1° lect.). Le déluge était une image du baptême, que devait d’abord recevoir celui qui nous sauverait. Alors que Noé n’a pu sauver qu’ « un petit nombre, en tout huit personnes[ii] », Jésus est venu pour sauver tous les hommes. Alors que Noé a été préservé de la mort, Jésus s’est livré à elle, pour nous en préserver tous. Il nous a sauvés de la mort non pas physique, mais spirituelle, la seule qui soit grave car elle est éternelle. Mais Dieu ne nous sauve pas sans nous ou contre nous, Il nous demande de nous convertir. Pour nous y aider, Il nous a proposés 3 pistes, que nous avons entendues mercredi dernier : la prière, le jeûne et le partage. A travers les évangiles, notamment celui que nous venons d’entendre,  voyons comment le Christ lui-même a emprunté ces 3 chemins, et comment nous pouvons le suivre.

 

Première étape, qui correspond à la prière: Jésus part au désert. Le Seigneur nous appelle à certains moments à nous retirer du monde et de son agitation. Ce n’est pas avec une audace téméraire que Jésus va au désert, mais « poussé » par l’Esprit. Littéralement, l’Esprit l’y « chasse »[iii]. Jésus ne part pas de gaîté de cœur, mais parce qu’il s’agit d’une étape essentielle pour l’accomplissement de sa mission. Mais il y part avec cette parole que son Père a dite au moment de son baptême : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » (Mc 1,11) L’Amour de son Père est sa force.

Dans la tradition biblique, le désert est d’abord le lieu de la rencontre avec Dieu[iv], loin des futilités de ce monde. Moïse y a passé 40 ans avant de recevoir sa mission et de retourner en Egypte, son peuple y passera 40 ans à son tour, Elie y a passé 40 jours avant de rencontrer le Seigneur dans la brise légère. 40 est un chiffre symbolique, qui signifie un enfantement (comme le nombre de semaines passées dans le ventre de notre maman), une recréation. Après y avoir passé 40 jours lui aussi, Jésus y retournera régulièrement, tout au long de son ministère : non pas au sens géographique, mais en prenant des temps de solitude et de cœur à cœur avec son Père[v]. A partir du IVème siècle, après la fin des persécutions de l’empire romain, le désert sera le lieu de prédilection de ceux qui chercheront le Seigneur, à l’instar de saint Antoine, qui y resta environ 80 ans…

Nous-mêmes, quels sont nos lieux et temps de désert ? Certains n’arrivent pas à sortir de l’agitation quotidienne. Certains ne parviennent pas à se détacher de leur télé, leur ordinateur, leur portable, leurs écouteurs, leur travail… Ils ne supportent pas le silence et la solitude. C’est pourquoi cette première étape, celle de la prière, nous conduit à la seconde, celle du jeûne…

 

La deuxième étape, qui correspond au jeûne, implique un combat. Notre ennemi principal, le diable, veut nous pousser à assouvir tous nos désirs terrestres et à les placer au-dessus de notre désir de Dieu. Jésus lui-même a mené ce combat contre lui, comme le souligne l’évangile : « dans le désert il resta quarante jours, tenté par Satan. » Contrairement à Matthieu et Luc, Marc ne précise pas la nature des tentations de Jésus, mais il indique qu’elles ne sont pas survenues seulement à l’issue des 40 jours, mais tout au long de son séjour. Il suggère ainsi que Jésus a été tenté tout au long de sa vie et de son ministère. A Césarée de Philippes, Jésus dit à Pierre : Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route. » (Mt 16,23). Puis à Gethsémani, Jésus a sué du sang tant le combat était rude (Lc 22,44). Sur la croix, enfin, les moqueries des chefs du peuple, des soldats et des passants l’ont renvoyé de façon frappante aux tentations du désert… Mais grâce à ses multiples jeûnes, Jésus était suffisamment fort pour résister à toutes ces attaques.

« Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient. » Voici le signe de la victoire. Alors que le péché d’Adam et Eve avait rompu l’harmonie de la création[vi], Jésus la rétablit. Il manifeste qu’il est le messie annoncé par le prophète Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira.» (Is 11,6) Les anges, qui devaient interdire à l’homme l’accès du jardin d’Eden[vii], le servent…

Nous-mêmes, de quoi allons-nous jeûner pendant ce Carême ? Quel que soit notre choix, nous aurons à combattre. Alors, souvenons-nous de l’oraison du début de la messe des cendres : « Accorde-nous, Seigneur, de savoir commencer saintement par le jeûne l’entraînement au combat spirituel : que nos privations nous rendent plus forts pour lutter contre l’esprit du mal. » Soyons courageux dans nos privations elles nous rendront plus forts, et nous établiront dans la paix et l’harmonie intérieures.

 

Troisième étape, qui correspond au partage : Jésus proclame la Bonne Nouvelle. « Après l’arrestation de Jean Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne nouvelle (littéralement l’évangile) de Dieu». Tout est dit dans cette expression : c’est Dieu qui est la Bonne Nouvelle pour les hommes qui doutent de son amour, de sa puissance ou même de son existence. Alors que le serpent l’avait remis en cause[viii] , Jésus vient pour en témoigner. « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. » Cette harmonie avec toute la création que Jésus a vécue dans le désert, elle est promise à tout homme qui accepte de lui obéir.

Que faut-il donc pour que ce règne vienne, puisqu’il est tout proche ? Jésus poursuit : « Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. » C’est notre péché qui empêche le règne de Dieu d’advenir. La joie que nous éprouvons lorsque nous partons au désert vivre en cœur à cœur avec le Seigneur et lorsque nous repoussons Satan, nous désirons la communiquer à tous. La boucle est bouclée ! Bien sûr, ce partage de l’évangile ne passe pas que par les mots, tout dans notre vie doit leur correspondre : nos paroles, nos actes, afin que tout notre témoignage soit une bonne nouvelle.

 

Ainsi, frères et sœurs, nous pouvons vaincre le mal avec le Christ et transformer le monde. Pour nous convertir, suivons-le au désert pour y prier le Père, jeûnons en résistant à Satan, et partageons avec nos frères le trésor de l’Evangile. Ces trois étapes ne doivent pas être séparées :« Le jeûne est l’âme de la prière, la miséricorde est la vie du jeûne. » (S. Pierre Chrysologue) Pendant ce Carême, quel sera mon désert pour prier, de quoi vais-je me priver, et à qui vais-je partager la Bonne Nouvelle ? Rendons grâce, le Royaume de Dieu est tout proche !

P. Arnaud

[i] Magnifique symbole du retour du soleil après la pluie et de l’union du ciel et de la terre.

[ii] Chiffre symbolique d’une recréation.

[iii] Un terme qui rappelle le moment où Dieu « expulsa »  Adam et Eve du paradis et qui sera encore employé lorsque Jésus « chassera » les démons.

[iv] Cf « C’est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. » (Os 2, 16)

[v] Cf « Le lendemain, bien avant l’aube, Jésus se leva. Il sortit et alla dans un endroit désert, et là il priait. » (Mc 1,35)

[vi] Cf « Avec de la terre, le Seigneur Dieu façonna toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’étaient des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. » (Gn 2, 19)

[vii] Cf Gn 3,24

[viii] « Le serpent dit à la femme : “Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.” » (Gn 3, 4‑5)