Mes yeux ont vu le salut

Frères et sœurs, comment pouvons-nous être porteurs de lumière ? Je ne parle pas des cierges que nous avons reçus dans nos mains au début de cette célébration, mais de la lumière du Christ qui veut briller dans notre cœur. Jésus a dit à la fois : « Je suis la lumière du monde » (Jn 8,12) et « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,14) en s’adressant à ses disciples. Pour que nous soyons fidèles à cette vocation, deux étapes sont nécessaires. Nous devons tout d’abord être des veilleurs pour accueillir en nous la lumière du Christ, à l’image des justes Syméon et Anne. Nous devons ensuite suivre les conseils évangéliques, à l’image de Marie et de Joseph.

 

Pour commencer, nous devons être des veilleurs, à l’image des vieillards Syméon et Anne. Tous les deux vivaient dans l’attente du Messie. Mais cette attente n’était pas passive, elle était habitée par l’Espérance. Ils vivaient près du Temple car ils savaient que le Messie y viendrait tôt ou tard. Syméon était « un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui ». Quant à Anne, elle « servait Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière ». Tous les deux étaient donc des veilleurs au sens où ils ne laissaient pas leur esprit s’assoupir dans les soucis ou les futilités de la vie, mais ils le tournaient sans cesse vers Celui qui viendrait apporter « la Consolation d’Israël » et « la délivrance de Jérusalem ».

Cette attitude de veille leur a permis de le reconnaître lorsqu’il est arrivé, alors que sa présence n’était pas si évidente. N’oublions pas comment sa venue avait été annoncée par le prophète Malachie : « Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu’il se montrera ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs » (1° lect.) Quel contraste avec l’apparition de Jésus, un nouveau-né de 40 jours dans les bras de sa maman ! Ils auraient pu ne même pas le remarquer, comme les membres de la foule autour d’eux, mais tous deux étaient habités par l’Esprit. Saint Luc le dit explicitement de Syméon, de manière même très forte : « L’Esprit Saint était sur lui. Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur. Sous l’action de l’Esprit, il vint au Temple ». Mais on peut le dire aussi à propos d’Anne, même si ce n’est qu’implicite. Sans lui, comment aurait-elle pu reconnaître le Messie et « proclamer les louanges de Dieu
et parler de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem »
 ? La prière et le jeûne permettent aux croyants de discerner l’essentiel. Ils leur permettent, dans la lumière du Saint-Esprit, de reconnaître la présence de Dieu dans l’ordinaire de leur vie. C’est pourquoi les personnes consacrées, dont c’est la fête aujourd’hui, sont avant tout des contemplatifs. Chaque soir dans l’office des complies, ils redisent les mots de Syméon (et chacun d’entre nous peut le faire aussi !) : « mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples ». Ils nous invitent à reconnaître comment Dieu a agi dans notre propre vie pendant la journée passée, et à nous en émerveiller.

 

Après avoir accueilli en nous la lumière du Christ, nous devons la porter aux autres et l’empêcher de s’éteindre. Cela implique de suivre les conseils évangéliques, à l’image de Marie et de Joseph. Ils vivent dans la pauvreté (c’est pourquoi ils offrent non un agneau mais un couple de tourterelles ou deux petites colombes), la chasteté et l’obéissance. Celle-ci comporte elle-même deux aspects : un fondement (l’humilité) et un sommet (la charité). Si Marie et Joseph vinrent au Temple, ce fut « pour présenter leur enfant au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi ». Au bout de 40 jours après la naissance, toute femme devait ainsi se purifier devant Dieu. Marie n’en avait pas besoin puisqu’elle était sans péché. Mais l’humilité l’a poussé à obéir malgré tout à la Loi, ce qui était en soi un témoignage.

L’obéissance à la Loi va plus loin cependant, et culmine dans la charité, qui est l’amour divin qui ne recule pas devant l’adversité. La lumière du Christ peut être éteinte par les bourrasques de l’Adversaire. C’est pourquoi Syméon dit à Marie : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. » Au moment le plus ténébreux de l’histoire humaine, lorsque Jésus est sur la Croix, son cœur est transpercé par la lance d’un soldat, en même temps que celui de Marie. Mais n’oublions pas que Jésus est « la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée » (Jn 1,4-5). Au moment de la Croix déjà pointe la lumière, notamment avec l’illumination du centurion romain : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » (Mc 15,39) Celui qui veut porter la lumière du Christ et en témoigner devient à son tour un signe de contradiction, à la suite de Jésus, de Marie et de tous les saints[i]. C’est le sort annoncé par Jésus à tous ses disciples : « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups… » (Mt 10,16) Ces brebis sont pourtant armées d’un glaive : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive » (v.34) Au glaive qui a transpercé son cœur et celui de sa mère, le Christ oppose celui de l’amour et de la vérité. Au glaive du prince des ténèbres, il oppose celui de sa lumière.

 

Ainsi, frères et sœurs, notre vocation de porteurs de lumière est à la fois très belle et très difficile… Si difficile que nous pouvons la dévoyer, comme le fit Lucifer dont le nom est composé de « lux » (lumière) » et de « ferre » (porter). Mieux vaut prendre exemple sur les personnages de l’évangile et sur les saints. La Vierge Marie, Joseph, Syméon et Anne, et tous les amis du Christ ont accepté d’être « signes de contradiction » afin que la lumière du Christ rayonne sur le monde entier. Mais n’ayons pas peur car Jésus a partagé notre condition et « par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable... Et parce qu’il a souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de porter secours à ceux qui subissent une épreuve. » (2° lect.) Alors, portons courageusement la lumière du Christ dans les ténèbres de ce monde, en attendant son retour qui inaugurera le Royaume dans lequel « la nuit aura disparu, et le Seigneur Dieu nous illuminera pour les siècles des siècles ! » (Ap 22,5)

P. Arnaud

[i] L’espion de Dieu, un film paru il y a deux semaines, retrace la vie de Dietrich Bonhoeffer. Ce pasteur allemand, parce qu’il s’est opposé au nazisme, a été d’abord persécuté, puis mis en prison pendant 2 ans avant d’être exécuté juste avant la fin de la guerre.