Comment ne pas être sensibles à cette interpellation de Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même »… On connaît le côté quelque peu radical de Jésus, et bien là, on est en plein dedans ! Mais comment bien comprendre ce passage ? Il peut porter à confusion, il faut le reconnaître : Jésus semble dire une chose et son contraire.

Commençons dans un premier temps par cerner ce qui est clair. Nous verrons ensuite comment interpréter ce qui est plus ambigu… Jésus s’oppose clairement à l’idée répandue de son époque selon laquelle quand il arrive malheur à quelques-uns, c’est parce qu’ils sont pécheurs, et inversement, le bonheur arrive sur les justes… C’est ce que l’on appelle la Rétribution. On voit bien qu’une telle théologie, une telle manière de parler de Dieu, ça pose problème. Si tous les justes étaient favorisés et si tous les méchants étaient maudits où tués par Dieu, ça se saurait, et le monde dans lequel nous vivons aurait sans-doute une toute autre allure… Cependant, c’est une théologie facile à comprendre, parce qu’elle est basée sur une justice immanente pure et simple, principe qui reste présent en chacun d’entre nous, enfoui quelque part… Qu’on se le dise, quelque part en nous, il y a un petit quelque chose qui aimerait que tous les méchants soient punis et que tous les justes soient récompensés… Dans la pensée religieuse de l’Ancien Testament, Dieu se révèle progressivement à son peuple, et ce peuple mûrit tout aussi progressivement des intuitions qu’il met par écrit. Alors évidemment, on retrouve cette idée de Rétribution dans un certain nombre de ces écrits dans l’Ancien Testament (notamment dans les psaumes : on entend souvent le psalmiste qui demande à Dieu de punir les méchants…). Mais il y a quelque chose qui résiste… Les écrivains bibliques se rendent bien compte que Dieu ne fonctionne pas comme ça… Et, tout comme nous, ils ont du mal à comprendre la complexité du mystère de Dieu, finalement. Par exemple, c’est ce dont parle tout le livre de Job. Pendant que les savants et la théologie se cherchent au sujet de la Rétribution, la croyance populaire, elle, s’en accommode fort bien et vit avec sans se poser trop de questions.

Si bien que, lorsque Pilate fait massacrer des Galiléens, on se dit que c’est parce qu’ils « étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens ». Et lorsque « dix-huit personnes [sont] tuées par la chute de la tour de Siloé », on pense que c’est parce « qu’elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ».

En gros, dès qu’il y a un problème, on cherche un coupable pour que justice soit rendue, sauver l’honneur de Dieu, et enfin lever les mains en l’air en disant, « c’est pas moi, j’y suis pour rien ». Et on accuse le malheureux d’avoir péché…

Aujourd’hui, la situation s’est un peu décalée. Il ne nous viendrait plus à l’idée de penser que, si quelqu’un meurt injustement, c’est parce qu’il a péché… On va plutôt dire des phrases du genre « c’est injuste, il n’avait pas mérité cela ! » ou bien « mais qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu pour qu’il nous envoie tant d’épreuves ?… », comme si Dieu faisait justice dans ce bas monde…

En gros, maintenant, dès qu’il y a un problème, on cherche toujours un coupable pour que justice soit rendue, sauver l’honneur du malheureux, et enfin lever les mains en l’air en disant, « c’est pas moi, j’y suis pour rien ». Alors, on accuse Dieu d’être responsable de nos malheurs et de nos souffrances…

« Eh bien, je vous dis : pas du tout ! » Ce n’est pas moi qui le dis, c’était une citation de l’évangile d’aujourd’hui. Par deux fois, dans ce passage d’évangile, Jésus répète « pas du tout ! », ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. La Rétribution n’est pas une bonne théologie pour parler de Dieu ! Il faut bien se mettre ça dans la tête : Dieu ne nous envoie pas d’épreuves ! Dieu ne fait pas souffrir !

(D’ailleurs, trop souvent, j’entends dire de certaines personnes qui souffrent du décès d’un proche que Dieu leur a enlevé ce proche, comme si c’était Dieu qui avait provoqué une mort pour nous faire souffrir… Non ! C’est une mauvaise compréhension de Dieu ! On ne peut pas trouver Dieu en pensant comme ça puisqu’il n’est pas là où on le cherche sur le banc des accusés… Non, il est auprès des victimes, parmi les victimes. Quand on dit que Dieu l’a rappelé auprès de lui, ça ne veut pas dire que Dieu est venu le chercher parmi les vivants pour l’emmener parmi les morts, mais c’est parce qu’il est mort que Dieu est venu le chercher pour le faire passer de la mort à la vie auprès de Lui. « Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Lc 20,38a) ! Il ne fait pas mourir ; il fait vivre ! Il ne fait pas souffrir, il console !)

Dieu est venu à nos côtés pour vivre les épreuves avec nous : par la Croix de Jésus-Christ, il est venu souffrir pour nous éviter de trop souffrir… Depuis la chute originelle, l’harmonie de la Création est brisée et les souffrances que nous vivons ne sont que les conséquences de cette harmonie perdue, ce manque de communion de toute la Création. Depuis ce temps, la souffrance fait malheureusement partie intégrante de notre nature tout autant que la joie et le bonheur, d’ailleurs. Et c’est pour cela, je crois, que Dieu s’est fait chair pour partager tout ça avec nous et nous accompagner autant dans les moments de joie que dans les moments de tristesse…

C’est ce que nous dit Jésus, au fond, avec la petite parabole qu’il raconte dans la 2e partie de cet évangile : Pour nous qui faisons ce que nous pouvons pour donner du fruit, Dieu prend le temps d’être à nos côs pour bêcher, travailler le terrain, mettre de l’engrais, etc. Et il espère que nous donnerons plus de fruits à l’avenir pour contribuer à reconstruire l‘harmonie originelle perdue, rebâtir la communion…

Alors, finalement, l’injonction « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » nous renvoie à cette communion et à cette harmonie qu’il faut retrouver. Jésus sait bien que les justes comme les méchants mourront : ce n’est pas de la mort physique dont il parle… mais plutôt de quelque chose de spirituel…

En gros, maintenant, dès qu’il y a un problème, il ne faut pas nécessairement chercher un coupable pour que justice soit rendue, mais continuons de sauver tant que possible l’honneur du malheureux, laissons Dieu lever les mains en l’air en disant, « c’est pas moi, j’y suis pour rien ; mais je suis là pour t’aider ». Et prenons sur nous cette conversion du cœur personnelle afin de favoriser la communion et de reconstruire l’harmonie brisée de la Création. Voici notre chemin de sainteté au cours de notre passage sur la terre, voici la conversion qui doit habiter chacun de nos cœurs. (en tout cas, c’est ce à quoi je nous invite, ce dimanche)

Frères et Sœurs demandons une grâce toute particulière, lors de cette Eucharistie : la grâce de l’amour mutuel pour favoriser la communion entre tous et l’harmonie de la Création !