Lc 19, 45-48
Jésus est entré dans Jérusalem dans les acclamations de joie, et sa première action sera d’expulser par la force les marchands de l’enceinte du Temple. Il est facile de voir le problème : les vendeurs occupent une place déjà très étroite (le Temple occupant en réalité à faible espace de l’immense esplanade) et empêchent les hommes de prier correctement. Ils ne sont pas illégitimes en eux-mêmes bien-sûr – Jésus lui-même n’a-t-il pas dû vendre son travail du bois ? – mais ne peuvent prendre la place de la prière gratuite du peuple, ou bien lui nuire d’une façon ou d’une autre. La colère et la violence de Jésus choquent davantage, si l’on ne comprend pas que la colère elle-même peut être saine et même “sainte” si la cause est juste et les moyens proportionnés.
En Jésus s’exprime la colère de Dieu, et l’on aime parfois rappeler cette colère et cette violence par une pseudo-solidarité introspective qui viendrait comme justifier ou minorer celle des autres religions. Mais la colère de Jésus n’est pas la colère de Mahomet, ni celle de Moïse, ni celle des prophètes de l’Ancien Testament… ou de n’importe quel homme. La colère de Jésus est la colère de Dieu sans aucun péché pour la pervertir, l’assombrir, la défigurer. On ne peut la comprendre que si on a d’abord expérimenté son amour pour nous, et que si on comprend le sérieux du péché. Il y a une incompatibilité radicale entre le péché et la sainteté de Dieu, les deux se fuient comme l’eau et l’huile. La colère de Dieu, c’est sa passion pour nous, elle attend la reconnaissance de notre péché et notre conversion. Dieu est « lent à la colère » et offre toujours sa miséricorde, il ne châtie jamais sans que cela soit un acte de justice, et il offre toujours une porte de sortie, les moyens pour se convertir. La colère de Dieu est toujours éducative, et même elle sauve, libère du péché qui endurcit le cœur de l’homme parfois au point de le paralyser. La colère de Dieu révèle son amour, et chacun de ses châtiments annonce la justice qui viendra au dernier Jour. En Jésus, Dieu donne une issue à la colère, car il enlève le péché du monde. Dans l’Eglise, il nous protège de la colère et du mal, de l’action de Satan, qui ne fait que parodier la colère de Dieu.
Jésus, Prince de la Paix, ne se laisse pas envahir est déborder par une haine incontrôlée : il fait une réelle démonstration de force sans verser le sang, et dont l’Évangile retient le message essentiel. Celui-ci nous concerne chaque jour, car la tentation qu’il combat vigoureusement nous guette aussi chaque jour : marchander avec Dieu. Dieu n’est jamais notre débiteur. Tout ce qu’il fait pour nous, il le fait gratuitement. Comment pourrions-nous lui rendre ne serait-ce que la vie qui nous a donné ? Même si celle-ci est blessé, fragile, soumise au caractère aléatoire du mal ? Dieu ne nous doit rien et nous lui devons tout, aucun de nos efforts ne pourra jamais exiger ou même mériter de retour de sa part.
Demandons à bien comprendre que Dieu est juste quand il agit autant que quand il n’agit pas, et choisir activement de m’ordonner à cette justice divine avec humilité et patience.
P. SFV
Illustration: Le Guerchin,1591-1666