D’un côté, nous avons « beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple » « par les mains des Apôtres » dans la 1re lecture, et de l’autre, nous avons « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » dans l’évangile… D’un côté, des signes visibles (qu’on appelle souvent « miracles ») de l’autre côté, la promotion d’une « foi aveugle », d’une foi qui n’a pas besoin de signes visibles et extraordinaires. Essayons de comprendre comment cela s’articule, et comment cela devrait, peut-être, venir purifier notre foi.
Les signes d’abord. Les récits des évangiles nous racontent un certain nombre de miracles et de signes extraordinaires que Jésus a accompli lors de sa vie terrestre, il y a 2000 ans. Le livre des Actes des Apôtres, que nous avons entendu en 1re lecture, témoigne que les apôtres ont poursuivi le ministère de guérison et les miracles après la Résurrection du Christ. Ainsi, ils continuaient d’offrir des signes au peuple qui les regardait. Et on nous dit que, grâce à cela, des foules nombreuses se convertissaient pour devenir chrétiennes. Même en théologie, on dit que Jésus n’est pas venu uniquement pour parler à notre âme pour la libérer de ce corps charnel, non, surtout pas ! Il est venu aussi pour prendre soin de nos corps puisqu’il est venu les toucher et les guérir. Nos corps, notre chair, la matérialité de notre existence a autant d’importance que notre âme et notre esprit, à qui Jésus vient aussi parler. En produisant des signes, Jésus ne vient pas jouer les prestidigitateurs pour épater la galerie, ni jouer les magiciens ou les sorciers, mais il vient montrer que le Royaume des Cieux est déjà là au milieu de nous, et en même temps pas encore tout à fait… Ça se saurait. Les signes visibles extraordinaires et miraculeux de Jésus sont au service de l’annonce du Royaume.
La « foi aveugle », à présent. Quand je parle de « foi aveugle », je ne veux pas dire une foi idiote dans laquelle on ne réfléchirait pas, non ! C’est important de réfléchir pour toujours mieux comprendre notre foi, venir l’interroger, douter, discuter, faire confiance, apprendre, etc. Donc quand je parle de « foi aveugle », je veux parler d’une foi qui ne s’appuie pas sur des signes miraculeux et extraordinaires pour exister. C’est peut-être le drame que les apôtres ont connu au moment de la Passion de Jésus : lui, cet homme qui guérissait les malades et faisait revivre les morts, il n’a pas su se sauver lui-même de la mort et depuis qu’il est mort, on ne peut plus voir toutes ces choses miraculeuses qu’il faisait tous les jours. Alors évidemment, si on avait basé notre foi sur la contemplation de ces miracles quotidiens, quand on ne les voit plus, c’est compliqué de garder la foi. Depuis la Résurrection, les signes ont changé. La foi en Christ ressuscité est justement fondée sur l’absence de signes : un tombeau vide. S’il y a une absence de signes flagrants, il y a par ailleurs des expériences vécues de rencontres personnelles avec le Ressuscité. Mais à chaque fois, on ne reconnaît pas Jésus au premier abord :
– Marie-Madeleine qui le prend pour le jardinier (Jn 20, 11-18),
– les disciples d’Emmaüs qui ne se rendent même pas compte qu’ils ont « [le cœur brûlant] tandis qu’il [leur] parlait sur la route et [leur] ouvrait les Écritures » (Lc 24, 13-35),
– Pierre qui a besoin qu’un autre disciple dise que « c’est le Seigneur » (Jn 21, 1-14),
– etc.
Malgré tout, il y a toujours des signes miraculeux dans le monde (notamment dans des sanctuaires, ou auprès de certains saints), et c’est tant mieux. Cela dit, il nous faut sans doute retenir cet enseignement de Jésus aujourd’hui, et cette erreur de saint Thomas. Les disciples qui ont reconnu Jésus, alors que Thomas n’était pas là, sont allés lui raconter ce qu’ils ont vécu, ils lui ont témoigné de leur expérience avec le Ressuscité. Sauf que Thomas, au lieu de leur dire « je vous fais confiance et je vous crois », est resté fermé en ne faisant pas confiance à l’Église naissante et en préférant attendre qu’un miracle se produise…
Quand Thomas veut absolument voir une preuve que Jésus est ressuscité pour y croire, il est incrédule ! S’il avait cru par le simple témoignage de ses amis, il aurait été croyant. (Et il aurait sans doute tout autant l’occasion de voir l’apparition de Jésus ressuscité…)
Quand nous avons le sentiment d’avoir besoin d’un signe miraculeux et extraordinaire, une sorte de preuve que Dieu existe pour pouvoir y croire, alors nous sommes incrédules ! Ce n’est pas grave, mais ça nous bloque, et ça nous empêche de progresser dans notre vie de foi. Si dans une relation d’amour, on se met à exiger tous les jours les preuves d’un amour qu’on ne peut pas voir, qu’est-ce que cela veut dire pour la relation de couple ? Ça nous bloque et ça nous empêche de progresser dans une vie de couple épanouie. Pour la vie de foi, c’est un peu pareil : Dire tous les jours « Dieu si tu es là, prouve-le… », ce n’est pas très constructif pour la relation… On pourrait retourner la phrase en disant que Dieu pense peut-être la même chose : imaginez que Dieu nous dise « si tu m’aimes vraiment prouve-le ! » … Ne soyons pas dans le doute permanent et la méfiance, mais entrons dans la foi et la confiance…
La voilà la démarche de foi dans laquelle Jésus veut nous faire entrer, par l’intermédiaire de saint Thomas dans l’Évangile. Christ est là, Il est vivant, Il nous aime et Il nous veut vivant, avec Lui (c.f. Christus Vivit). Il n’est pas un magicien qui vient retirer tous les obstacles de la vie, ça se saurait, mais il est ce compagnon de route qui nous réconforte dans la peine, nous fortifie lorsque nous sommes faibles, nous rend capables de témoigner de son amour, nous rend capable de pardonner ; pour peu que nous lui fassions confiance, pour peu que nous ayons la foi alors que nous ne voyons rien, alors que le tombeau est vide…
Avec cette foi qui ne s’appuie plus sur des signes miraculeux extraordinaires, nous pourrons voir des signes nouveaux. Lorsque nous proclamons les textes de la Parole de Dieu, dans nos cœurs, c’est vraiment Jésus qui parle. Lorsque nous entendons un prêtre nous dire qu’il nous pardonne tous nos péchés au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, nous pouvons être sûrs dans la foi que Jésus nous pardonne. Lorsque nous célébrons l’Eucharistie et que nous contemplons une hostie consacrée, c’est vraiment Jésus qui apparaît devant nous. Lorsque nous consommons cette même hostie consacrée, c’est vraiment Jésus que nous accueillons en nous-même, et en même temps qui nous accueille lui-même dans son corps que nous formons tous. Lorsque nous prions, seuls ou à plusieurs, lorsque nous rendons service, lorsque nous faisons le bien autour de nous, c’est vraiment Jésus qui est là avec nous et qui agit par nous et en nous… Par Lui, avec Lui et en Lui, nous vivons dans le monde comme des signes du Royaume.
Que de signes encore dans notre vie chrétienne malgré le tombeau vide.
Que de signe grâce au tombeau vide…