Je ne sais pas vous, mais j’ai l’impression qu’il y a plein de choses bizarres dans cet évangile… On se refait la scène : Jésus sort d’une ville accompagné de ses disciples et d’une foule nombreuse. Déjà rien que ça c’est une scène un peu étonnante. Si j’étais un passant à ce moment-là de l’histoire, j’avoue que je me serais un peu questionné sur ce qui se passe en voyant quelqu’un sortir d’une ville suivi d’une foule nombreuse… Ensuite, on nous dit que l’aveugle Bartimée faisait la manche à l’extérieur de la ville. Je ne connais pas très bien la manière de vivre des gens de cette civilisation et de cette époque là, mais j’ai plutôt dans l’idée que pour faire la manche, il vaut mieux quand même se placer en ville, plutôt qu’à l’extérieur, pour qu’il y ait plus de passage… Ensuite, que Bartimée doive crier pour se faire entendre, la foule étant nombreuse, je le conçois plutôt bien. Que la foule cherche à faire taire cet homme gênant, je le conçois plutôt bien également. Jésus prend garde à son appel, pas très commun comme réaction, mais connaissant un peu Jésus et son attention aux pauvres, ça ne me choque pas plus que ça. Jésus demande simplement qu’on l’appelle, et on lui dit « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » A priori, la confiance, il l’avait… puisqu’il l’appelait pour lui demander de l’aide… Pourquoi lui dit on de faire confiance, dans ce cas ?… À ces mots, « l’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus ». Dans cette phrase il ny a rien qui va ! Mais pourquoi donc jette-t-il son manteau ? (j’espère qu’il avait d’autres vêtements que son manteau…) Un mendiant qui se lève : j’ai plutôt tendance à l’imaginer se lever et marcher péniblement, fatigué par la longueur des jours et la lourdeur psychologique de son mode de vie subi… Mais là on nous dit qu’il bondit, et qu’il court ! Un aveugle qui court, ça n’est pas très banal… Et enfin, même dans la conversation entre l’aveugle et Jésus, il y a des bizarreries. Jésus lui demande ce qu’il veut, et l’aveugle lui demande de retrouver la vue. Mais Jésus lui donne autre chose : le Salut « Va, ta foi t’a sauvé ». Et à partir de là l’homme on retrouve la vue…

Avec ce survol de quelques incohérences narratives, j‘espère avoir éveillé en vous le désir de scruter les textes de la Parole de Dieu, afin d’en déceler d’autres ailleurs. Mais une fois qu’on a repéré tout ça, qu’est ce qu’on en fait ? On peut se dire que la Parole de Dieu est mal écrite… Dommage de s’en arrêter là… On peut aussi se dire que l’Esprit-Saint, en inspirant cela à l’auteur de l’évangile, cherche à nous faire comprendre quelque chose. Déjà sans tenir compte de ces incohérences, c‘est un beau récit avec lequel on peut prier et tirer des fruits spirituels. Ensuite on peut avoir une lecture un peu différente en allant chercher les symboliques contenues dans ce texte : Par exemple, Bartimé le fils de Timée, qui signifie « l’honneur », peut représenter Israël : Le peuple qui a fait resplendir l’honneur de Dieu par son élection et sa fidélité ; et le peuple qui est aveuglé par le péché se rendant misérable et mendiant. Bref… Toute une lecture symbolique est possible. On pourrait passer beaucoup de temps sur chacun des mots de ce texte

Arrêtons nous simplement sur cette petite phrase : « L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. » Je vous propose cette lecture allégorique pour nourrir notre prière et notre réflexion aujourd’hui :

  • L‘« aveugle », c’est nous, cette personne aveuglée par des tas de choses qui empêchent de reconnaître et d’aller vers le Père au quotidien. Il y a la tentation de la distraction plutôt que de la concentration ; la tentation de l’oisiveté plutôt que de la prière ; la tentation de passer du temps devant les écrans plutôt que devant sa Bible ; etc. « le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer. » nous dit le livre de la Genèse…

Arrêtons-nous quelques instants surtout sur les 3 verbes de cette phrase :

  • il « jeta son manteau » : Une traduction plus littérale du grec dirait « il a rejeté le manteau de lui ». La symbolique du vêtement vient faire écho au baptême. Lorsque l’on est baptisé, on reçoit un vêtement neuf, un vêtement blanc pour symboliser cette nouvelle vie qui commence, cette vie en Christ, ce Christ que l’on revêt. Rejeter le vieux manteau peut être vu comme le rejet de cette ancienne vie qui nous aveugle et dont on a besoin de se séparer, de rejeter loin de nous, pour nous tourner pleinement vers le Christ et vers la sainteté. C’est tout un travail et ce n’est pas simple ; parce que ce vieux manteau en général, on l’aime bien, il est confortable, il fait partie de notre histoire, mais il nous encombre… Nous ne le percevons pas toujours parce que nous sommes à l’intérieur, mais sans lui, nous pourrions sans doute respirer plus pleinement et croquer la vie à pleine dent, croquer la vie du Christ pour la faire nôtre et la répandre dans le monde !
  • il « bondit » : Se lever d’un bond, comme nous le raconte cet évangile, n’est pas une action très courante, que ce soit dans la Bible ou même dans la vie courante. Quelqu’un qui bondit dans la vie ordinaire, sans raison apparente, est quelqu’un de joyeux, qui grâce à la force d’une surprise et une montée d’adrénaline est capable de contracter suffisamment ses muscles pour s’éjecter du sol et bondir. Voyons dans ce bond, la joie de la conversion, la joie de la réconciliation, la joie de la Résurrection ! Pensons à ce ressenti que nous avons lorsque nous re-voyons une personne qui nous est très chère après une longue absence : le cœur bondit de joie et s’exprime de manière étonnante. Quelle joie pourrions-nous exprimer pour le Christ notre Seigneur qui donne sa vie pour nous, pour nous sauver du péché, et qui vient se faire petite hostie sur l’autel pour venir s’unir avec nous. J’espère que lorsque chacun d’entre nous vient communier, c’est le sentiment de la joie qui est dans le cœur ! Et j’espère que cela se voit ! (normalement une joie profonde se voit sur un visage, même masqué !…)
  • il « courut vers Jésus » : Quoi faire d’autre après cette prise de conscience ? Quoi faire d’autre que courir vers Jésus ? Courir pour venir le plus vite possible auprès de son Seigneur. Lorsque l’on vient à la messe, j’espère que l’on y vient en courant. Non pas parce que l’on est en retard (ça c’est pas bien), mais parce que l’on est pressé de retrouver son Seigneur ; parce que l’on est pressé de s’unir à lui, de communier à son amour avec la communauté de frères et de sœurs que nous sommes !

Et si, chacun d’entre nous, rejetait son manteau, bondissait de sa chaise et courait vers l’autel ! Ce serait formidable ! Mais bon, en France, on a du mal à sortir des rangs… et puis ça ne serait pas très compatible avec les mesures sanitaires… Restez à vos places, finalement, c’est bien aussi. Mais, pendant ce temps de silence qui vient juste après cette homélie, faisons nôtre ces 3 verbes : rejeter son manteau, bondir et courir vers Jésus. Méditons-les et faisons cette démarche intérieure de courir vers Jésus, courir vers l’autel et y déposer ce qui fait notre vie, afin de la donner en offrande pour l’Eucharistie.

Amen.