Cette histoire de paille et de poutre dans l’œil m’a toujours fait quelque peu sourire !… Ce vocabulaire loufoque laisse penser à un style proverbial, c’est-à-dire que Jésus serait en train de commenter un proverbe de la sagesse populaire pour relancer son discours.

Oui, parce que ce passage de l’évangile selon saint Luc, est un extrait d’un discours. Par chance (ou plutôt par sagesse des liturges qui ont conçu le calendrier liturgique), nous lisons cet évangile de manière continue, dimanche après dimanche. Il y a 2 semaines, nous méditions sur les béatitudes qui nous faisaient regarder l’horizon de notre vie chrétienne : la sainteté. La semaine dernière, nous méditions sur la suite avec toute une panoplie de verbes à l’impératif (« aimez vos ennemis », …). Cela nous a amené à penser que l’exigence de ces impératifs ne se situe pas dans une simple exécution de nouveaux commandements, mais dans un changement d’état d’esprit, une conversion du cœur. Cette semaine, nous méditons sur un passage qui est la suite directe de tout cela. Jésus relance donc son discours, sa catéchèse, par un petit proverbe de sagesse populaire quelque peu burlesque.

On comprend assez vite où est-ce qu’il veut en venir avec son histoire de paille et de poutre : Avant d’aider quelqu’un, assure-toi d’avoir déjà réglé tes propres problèmes… Dans l’optique de son discours sur la sainteté, on peut comprendre qu’avant de guider quelqu’un sur le chemin de la sainteté, il convient de s’éloigner soi-même le plus possible du péché afin d’y voir clair et de ne pas « tomber tous les deux dans un trou », comme le dit la parabole de Jésus.

Mais, me direz-vous, comment connaître la taille de la paille ou de la poutre que j’ai dans mon œil et qu’il y a dans l’œil de mon prochain ? Comment mesurer l’encombrement présent sur mon chemin vers Dieu et sur celui de mon prochain ? Évidemment, on ne peut pas mesurer le niveau de foi d’une personne, ni son niveau de sainteté… Cependant, on peut grappiller quelques indices dans l’évangile d’aujourd’hui : « Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. » « L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais ». Et, il conclut ainsi : « ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. » La parole, semble-t-il, est le reflet de ce que l’on a dans le cœur. Même Ben Sira le Sage, que nous avons entendu en 1re lecture, le dit : « on juge l’homme en le faisant parler ». Il faut mesurer l’importance de la parole dans les sociétés et les cultures orales de l’époque… Je me risque à une comparaison plus contemporaine, pour une société plus numérique : On peut (peut-être ?) juger l’homme (pour reprendre la formulation de Ben Sira le Sage) en le faisant … tweeter … ou commenter un sujet d’actualité brûlant avec une garantie d’anonymat et d’impunité. Et voyons voir ce qui peut sortir du cœur de l’homme quand plus aucune restriction morale et sociale le gène pour s’exprimer… Je me promène régulièrement sur Internet, et j’ai pu lire un certain nombre de choses consternantes qui ne respiraient malheureusement absolument pas la sainteté… Mais j’ai, heureusement, également pu lire de belles choses…

Bref, lorsque nous sommes dans la joie, nous sommes tous capables de dire de belles choses en réfrénant les diverses tentations qui nous encombrent, et c’est bien ! Il nous faut cultiver cela : des paroles de bénédictions les uns pour les autres. Mais qu’en est-il lorsque nous sommes fatigués ? Lorsque nous sommes tristes ? Lorsque nous sommes choqués ? Lorsque nous sommes en colère ? Etc. La sainteté est-elle alors en congé ?

Si nous ne parvenons à nous rapprocher de la sainteté seulement en étant joyeux et en bonne santé qu’est-ce que cela veut dire de la santé de notre sainteté ?

Transformer l’effort en état d’esprit nécessite un travail de la vertu. Une par une, et chacun à son rythme, mais il faut entrer dans un cercle vertueux.

Frères et Sœurs, ne laissons pas les émotions et les évènements de la vie contrôler notre sainteté. Il nous faut développer une sainteté résistante aux épreuves, une sainteté tout-terrain, en quelques sortes… Demandons cette grâce au Seigneur, particulièrement lors de cette Eucharistie, et engageons nous dans un travail intérieur pour cultiver le Beau, le Bien et le Bon dans nos cœurs. Avec le Christ, rejetons le Laid, le Mal et le Mauvais, au quotidien, dans les plus petites de nos actions et de nos paroles. Connectons-nous à la seule et unique source de Beau, de Bien et de Bon : Notre Dieu d’Amour, Père, Fils et Esprit-Saint.

Demandons, chacun dans notre prière personnelle, que Jésus Eucharistie nous aide à nous purifier intérieurement, et qu’en nous agrégeant au Corps du Christ, nous soyons chacun des membres qui soutiennent les autres membres. Il y a forcément dans cette église quelqu’un qui a, dans son œil, une poutre moins encombrante que la mienne et qui pourra m’aider. Et il y a forcément dans cette église quelqu’un qui a, dans son œil, une poutre plus encombrante que la mienne, et que je pourrai aider. Ainsi, le Beau, le Bien et le Bon pourront rayonner bien au-delà de ces murs de pierres et des murs de chair de nos cœurs pour se répandre tel le témoignage vivant de la Résurrection du Christ, Bonne Nouvelle pour le monde !