Que ton Règne vienne !

Frères et sœurs, vivons-nous dans l’Espérance ? La seconde vertu théologale est souvent mise à mal, et elle l’est particulièrement en ce moment de pandémie. Comme les pèlerins d’Emmaüs qui s’éloignaient tout tristes de Jérusalem, nous sommes peut-être tentés de dire comme eux : « nous qui espérions »… Nous qui espérions célébrer en communauté la fête de Pâques tant attendue depuis le début du Carême… Nous qui espérions recevoir le baptême à cette occasion… Nous qui espérions que notre pays allait retrouver une bonne santé sociale et économique, alors que le chômage commençait enfin à descendre… Nous qui espérions partir en vacances au début du printemps et profiter du beau soleil… Alors que je faisais mes courses ce matin, une personne disait très fort à une autre qu’elle commençait à craquer, et peut-être sommes-nous tentés nous aussi par une certaine forme de découragement, voire de désespoir. Alors, souvenons-nous que c’est quand il n’y a plus d’espoir que  commence l’Espérance. Alors que le premier repose sur l’homme, la seconde ne repose que sur le Seigneur. Comment nous affermit-Il dans l’Espérance ? En 4 étapes, qui apparaissent à travers la rencontre de Jésus avec les pèlerins d’Emmaüs, mais aussi dans chaque eucharistie, et que nous pouvons reprendre dans chacune de nos prières. 1 : il nous écoute. 2 : il nous parle. 3 : il se donne à nous dans le pain partagé. 4 : il nous envoie en mission.

 

Pour commencer, le Seigneur nous écoute. Ecouter quelqu’un qui souffre est souvent la première façon de l’aider, et beaucoup ne peuvent trouver d’oreilles attentives. Beaucoup souffrent de solitude, physique ou affective, car on peut être entouré d’autres personnes, même de sa propre famille, sans se sentir écouté pour autant. Certains vont alors « vider leur sac » auprès d’un psy, ou tout simplement auprès de la caissière du magasin, si elle n’est pas débordée. En tant que prêtres, notre premier travail est l’écoute, et si elle est attentive, elle aide fortement les personnes souffrantes ou désorientées à se sentir mieux. C’est ce que fait Jésus avec les pèlerins d’Emmaüs : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Il accepte de passer pour un ignorant, un « paumé » (« Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci») pour qu’ils puissent s’exprimer. En ce moment, les coups de fil que nous passons aux uns et aux autres, particulièrement aux personnes isolées, leur permettent de s’exprimer, ce qui est précieux. La force de Job est de ne jamais se couper du Seigneur : jusqu’à sa guérison, il ne cesse de crier vers lui, et même si certains de ses propos nous semblent outrageants et excessifs, il sera félicité par Dieu à la fin de son épreuve. Nous aussi, lorsque nous retournerons à la messe (nous le pourrons tôt ou tard), nous irons avec toutes nos questions, nos incompréhensions, nos doutes… En attendant, dès maintenant dans nos prières, n’ayons pas peur de parler au Seigneur, comme le faisait don Camillo, voire de crier vers lui lorsque nous souffrons.

Mais le Seigneur ne se contente pas d’écouter, il parle aussi. Sa parole a d’autant plus de force qu’elle est une réponse à ce qu’il a entendu, elle n’est pas « hors sol ». Le christianisme n’est pas une religion du livre, mais de la Parole. « Dieu dit… et cela fut » (Gn 1). « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. » (Jn 1,1) Une personne qui a vidé son sac est soulagée, mais encore faut-il lui donner un sens à sa vie, une direction à suivre. C’est pourquoi Jésus parle longuement aux 2 disciples : « partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. » Notons qu’avant de le faire, il leur a fait un reproche : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Ce reproche n’est pas destiné à les culpabiliser de façon stérile, mais à les « réveiller », à les rendre plus humbles. Nous aussi, c’est après avoir reconnu notre pauvreté et notre péché que nous devons écouter le Seigneur qui nous parle à travers les Ecritures. C’est ce que nous faisons à la messe, et il est bon de le faire aussi dans notre prière : ce  n’est qu’après avoir récité le confiteor, dans un cœur creusé par l’humilité, que nous écoutons la Parole divine. A sa lumière, nous pouvons relire nos vies, et nos cœurs se réchauffer, comme les 2 pèlerins le reconnaissent a posteriori : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »

Le Seigneur va plus loin encore : il ne se contente pas de nous écouter et de nous parler, il se donne à nous. Comme l’écrit saint Jean : « n’aimons pas en paroles ni par des discours » (sous-entendu seulement) « mais par des actes et en vérité. » (1Jn 3,18) Jésus a agi ainsi avec les 2 pèlerins : « Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent ». Cette 3ème étape correspond, dans la messe, à la liturgie eucharistique, qui culmine dans la communion.  En ce moment, vous êtes privés de ce pain partagé, mais vous pouvez communier spirituellement avec le Christ. Comment ? En vous offrant à lui, comme lui-même s’offre à nous. A ce moment-là de la messe, ou à la fin de nos prières, nous pouvons redire avec Marie : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » (Lc 1,38) Mais aussi, pensez que toute cette période de confinement creuse en vous le désir de l’eucharistie. Quelle fête lorsque nous pourrons tous communier ensemble  à nouveau !

Le Seigneur nous invite à franchir une ultime étape : celle du témoignage. Une fois qu’ils ont communié avec lui, « à l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. » Alors qu’ils étaient tout tristes au départ, ils sont maintenant remplis de joie. C’est ce que nous sommes appelés à faire après avoir participé à une messe, physiquement ou par la télévision ou internet : lorsque le célébrant dit « allez dans la paix du Christ », il signifie « allez partager le pain du Christ avec vos frères, par vos paroles et par vos actions ».  De même, après avoir prié, il est important de se lever avec le désir de partager avec les autres les grâces que nous avons reçues.

 

Ainsi, comme le Christ l’a fait avec les pèlerins d’Emmaüs, il veut affermir notre Espérance, et il nous invite à agir de même avec nos frères, particulièrement avec ceux qui sont dans la tristesse, la déprime, le désespoir… L’épreuve que nous traversons laissera des traces, et provoquera certainement d’autres crises : économique, financière, sociale… Mais avec la grâce de Dieu et nos efforts, elle pourra aussi entraîner un changement dans les mentalités et les manières de vivre. « I have a dream » disait Martin Luther King. Pour ma part, je rêve, ou plutôt j’espère en un monde où les hommes sauront vivre dans une sobriété heureuse, solidaires les uns des autres. Même si je sais que ce monde-là nous sera donné par le Seigneur, « comme la Jérusalem nouvelle » que saint Jean a vue « qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari » (Ap 21,2), je crois que nos efforts ont du prix à ses yeux, et que nous pouvons travailler avec lui à l’avènement de son Règne. Comme Il a su changer le mal en bien (Gn 50,20) au début de notre histoire sainte, Il peut faire de même maintenant. « Notre Père, qui es aux Cieux, que ton Nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » !

P. Arnaud