Frères et sœurs, cet Evangile n’a pas un air de redite pour vous ? Nous l’avons entendu il y a quelques jours… lors des obsèques du pape François ! Il nous est donné de méditer aujourd’hui sur la figure de Simon-Pierre, au moment même où nous sommes invités à prier pour que l’Esprit Saint guide les cardinaux dans l’élection de son successeur.
Tout d’abord, contemplons ce dialogue final entre Jésus et Pierre. Il est construit autour de cette triple question : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? A chaque fois, Jésus commence par décliner l’identité de Simon-Pierre, en le resituant dans sa filiation. Si cela peut donner l’impression d’un interrogatoire, je propose de percevoir cette question différemment : Jésus vient comme intégrer à l’identité profonde de Pierre cet amour pour lui. Et en le faisant par trois fois, il le fait de manière quasi officielle. Dorénavant, Simon-Pierre ne sera plus seulement Simon, fils de Jean, mais Simon, fils de Jean, qui aime vraiment Jésus.
Et c’est une fois cette identité affirmée que Jésus peut confier à Pierre sa mission : Sois le pasteur de mes brebis. Cette mission de « pastoration » – pardonnez-moi le néologisme – est alors fondée sur l’amour de Pierre envers son Seigneur. C’est un amour qui reste imparfait -dans le texte grec les verbes utilisés dans la question de Jésus et la réponse de Pierre diffèrent, manifestant l’incapacité de Pierre d’aimer aussi parfaitement Jésus. Mais c’est un amour réel, conscient, éprouvé, peut-être même fortifié par le reniement par lequel Pierre est passé. Et cette relation entre Pierre et Jésus est à la fois la raison pour laquelle Jésus lui confie cette mission, mais aussi ce qui va l’aider à la vivre. Prions donc pour que notre futur pape soit un amoureux du Christ !
Amoureux du Christ… et obéissant à Dieu plutôt qu’aux hommes. C’est ce que Pierre et les apôtres déclarent dans la première lecture. En réalité, cela fait déjà trois fois dans les Actes où Pierre est accusé à cause du témoignage qu’il porte. Et Pierre ne se dérobe pas. Il continue à porter son témoignage, quoi qu’il en coûte, même s’il s’oppose pour cela à l’esprit du monde, même si on lui demande de se taire. De même, la mission du pape ne peut se satisfaire de mondanités. Il doit porter témoignage, envers et contre tout… Y compris malgré les mondanités qui peuvent ravager l’Eglise de l’intérieur, ce contre quoi le pape François a essayé de lutter… Pour cela, Pierre doit sans cesse revenir au Christ, se refonder sur lui, pour supporter les persécutions, les difficultés. Ainsi, il pourra vivre cette joie d’avoir été jugé digne de subir des humiliations pour le nom de Jésus, pour reprendre les Actes des apôtres.
Je crois que cette obéissance à Dieu nous aide à resituer justement le ministère de Pierre dans l’Eglise. Pierre reçoit la mission d’être le pasteur… Mais de qui ? Si Jésus confie ses propres brebis à Pierre, elles restent ses brebis à lui, Jésus. Il n’y a pas de transfert de propriété. On comprend alors bien que Pierre et ses successeurs ne peuvent accomplir leur mission de « pastoration » qu’en étant pleinement obéissants à Dieu, docile à l’Esprit, parce qu’ils ne conduisent pas leur propre troupeau, mais un troupeau qui n’est pas le leur ! Prions donc pour que notre futur pape soit obéissant à Dieu plutôt qu’aux hommes !
Pour autant, le pape n’a pas le numéro direct du Seigneur ; et celui-ci ne lui donne pas ses ordres de manière claire et absolue, sans faire appel à son interprétation… Je ne nie pas que le pape a une relation privilégiée avec le Seigneur, mais celle-ci ne peut se passer des différentes médiations, notamment humaines. Au contraire, il s’agit pour lui d’être d’autant plus attentif à la variété des manières par lesquelles Dieu se révèle à l’homme. En particulier, le pape ne peut fonctionner comme un solitaire, sans se mettre à l’écoute de ceux qui l’entourent. Dans l’Evangile du jour, c’est le disciple que Jésus aimait qui identifie Jésus en premier, puis qui dit à Pierre : c’est le Seigneur. Il s’agit donc pour le pape d’être capable de se mettre à l’écoute des intuitions du peuple qui lui est confié. Prions donc pour que notre futur pape soit un homme de discernement, capable de se mettre à l’écoute de Dieu dans ses différentes médiations.
Enfin, il nous faut comprendre bien la mission de pasteur. La première partie de l’Evangile du jour nous la dévoile symboliquement. Prenons simplement plusieurs éléments : Jésus demande de jeter le filet à droite – et dans la parabole du jugement dernier, les brebis qui vont être sauvées sont bien à droite et les boucs à gauche. Il y a dès lors un rapport avec le salut. De plus, ce filet rempli de poissons, Pierre va le tirer hors de la mer, elle qui est souvent le symbole de la mort dans la Bible. Pierre sort en quelque sorte ces poissons -ou ces brebis – de la mort. Enfin, notons qu’ils sont cent cinquante-trois, nombre qui correspondrait à la totalité des espèces de poissons connues à l’époque (selon saint Jérôme). Autrement dit, tous les peuples de la terre sont ici réunis dans un filet qui ne se déchire pas, sauvés de la mort et conduits à Jésus ressuscité par Pierre. N’est-ce pas ici la mission de Pierre et de ses successeurs : être le garant de la dimension universelle de l’Eglise – sa catholicité, au sens premier du terme – , le protecteur de son unité (un unique filet), pour sauver de la mort les brebis du Christ ? Prions donc pour que notre futur pape soit ferment d’unité dans notre Eglise et notre monde.
Un pape amoureux du Christ, obéissant à Dieu, homme de discernement et œuvrant pour l’unité et le salut de tous. Voici ce que nous demandons à Dieu de nous donner. Mais comprenons bien que ces 4 qualificatifs, que l’on attend de manière éminente du pape, constituent aussi un appel pour chacun de nous. Nous sommes tous invités à les vivre, à être, nous aussi amoureux du Christ, obéissants à Dieu, personnes de discernement, et acteurs de l’unité et du salut ?