Le désespoir de ces deux veuves est touchant… tout autant que leur espérance et leur confiance en Dieu ! Dans la 1re lecture, on nous dit que la veuve n’a plus qu’un seul repas en réserve pour elle et son fils. Ce sont les dernières denrées qu’elle possède pour survivre… Tandis que dans l’évangile, on nous dit que la veuve est pauvre et qu’elle a pris sur son indigence pour donner au temple, c’est-à-dire qu’elle a donné de ce qui lui était nécessaire pour vivre.
Quelle terrible situation… Seulement « une poignée de farine, et un peu d’huile » ou bien « deux petites pièces de monnaie » pour survivre… Des situations matérielles comme celles-là, il en existe malheureusement encore beaucoup, aujourd’hui… Mais nous pouvons aussi lire la parole de Dieu de manière métaphorique. Et là, la situation de la pauvre veuve vient faire écho dans bien plus de vies… Pour notre réflexion personnelle, nous pouvons nous demander quelle est notre propre indigence : Quel est notre nécessaire de survie ? Quelle est cette chose qui file et qui glisse entre nos doigts au fur et à mesure que les jours, les mois et les années passent ?… Peut-être est-ce l’argent ? Le confort ? La reconnaissance sociale ou professionnelle ? L’amour dans notre famille ? La tranquillité ? Le temps libre ? Etc. (liste non exhaustive…)
La situation de chacune de ces deux veuves est loin d’être enviable : nous pouvons le toucher du doigt avec cette méditation spirituelle… Et pourtant, il semble qu’en restant accroché à cela, Dieu nous demande un effort supplémentaire. Que ce soit la veuve de l’évangile avec la loi qui demande à tout juif de donner au temple ; ou bien que ce soit la veuve de la 1re lecture avec cette étonnante parole du prophète Élie qui lui dit de ne pas avoir peur et de lui offrir « une petite galette » avant de se nourrir elle-même.
Encore une exigence de l’évangile qui fait mal ; une exigence qui fait mal à notre ego. Il est vrai que l’histoire finit bien quand même : En faisant confiance au prophète et en le nourrissant avant elle, la veuve de Sarepta voit sa jarre de farine et son vase d’huile ne jamais se vider jusqu’à la fin de la sécheresse. Pour la veuve de l’évangile on ne nous dit pas clairement ce qu’il advient d’elle après son don au temple, mais dans la mesure où Jésus l’a remarqué et en a fait l’éloge, nous pouvons supposer que Dieu le Père ne l’a pas laissé sombrer dans une plus grande misère encore…
Dans tous les cas, ces deux veuves ne sont pas dans une situation de mettre à l’épreuve le Seigneur. Elles n’ont pas volontairement liquidé elles-même toutes leurs richesses pour voir si la providence de Dieu les soutiendrait. Non. C’est la pauvreté qui leur est tombé dessus par la sécheresse dans un cas, mais aussi par le veuvage dans des sociétés où les femmes n’avaient pas de droit (ou très peu), si elles ne dépendaient pas d’un homme… Et c’est dans leurs pauvretés que Dieu les appelle à faire un acte de confiance, un acte de foi. C’est bien ici, dans nos pauvretés, que Dieu nous rend riches !
Finalement, en donnant de notre indigence, Dieu nous aide à cheminer vers l’indifférence ignatienne. Cette attitude que Saint Ignace de Loyola décrit magnifiquement dans le texte d’ouverture de ses exercices spirituelles :
« Il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées […], de telle manière que nous ne voulions pas, […], davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l‘honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste, mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à [ce pourquoi] nous sommes créés. » C’est-à-dire « pour louer, respecter et servir Dieu Notre Seigneur ».
Chers Frères et Sœurs chrétiens, aujourd’hui nous pouvons nous sentir invités par les lectures de la liturgie, à nous présenter devant Dieu comme ces deux pauvres veuves. Nous sommes forcément pauvres de quelque chose, et c’est à travers cette pauvreté que Dieu fait des miracles dans nos vies. « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (1Co 12,10) dit Saint-Paul ; nous pourrions dire dans notre contexte que c’est lorsque je me reconnais pauvre que je peux devenir riche. Saint-Paul dit encore : « Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. » (1Co 8,9).
Notre seule et unique richesse, c’est le Christ ; lui qui est Dieu fait Homme, devenu serviteur du plus petit et mort sur la Croix vidé de toute sa richesse pour nous l’offrir. C’est lui que nous adorons, c’est cette attitude qui est le cœur de notre foi. Parce que de là jaillit la lumière, de là jaillissent les cris de joie et de victoire ! La Résurrection du Christ est notre seule richesse et notre seule joie ! Grâce à lui, « jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra » ; l’espérance jamais ne nous quittera, la foi jamais ne nous trahira !
Dans la joie de la célébration de la Résurrection qu’est cette messe, préparons notre cœur en sondant nos pauvretés, et préparons les « deux petites pièces », la « poignée de farine » et le petit « peu d’huile » que nous allons symboliquement déposer au pied de l’autel pendant que nous présenterons les offrandes eucharistiques. Nous redirons ensuite notre acte de confiance en Dieu, notre acte de foi.