Que ton Règne vienne !

Frères et sœurs, comment faire advenir le Règne de Dieu sur l’univers ? De nombreuses paroles bibliques, en particulier dans les psaumes, affirment la royauté de Dieu. Aujourd’hui, c’est son Fils que nous célébrons comme Roi de l’univers. Qu’est-ce que cela signifie, alors que le monde continue d’être ravagé par le mal, comme il l’était avant sa venue ? Nous devons distinguer deux étapes dans la royauté du Christ. La première a commencé il y a 2000 ans, lorsque le Fils de Dieu s’est incarné et a donné sa vie pour nous. La seconde commencera au jour de son retour, lorsqu’il reviendra dans la gloire. Sa divinité était voilée, elle sera manifeste. Il était venu pour nous sauver, il reviendra pour nous juger. Son règne a donc déjà commencé, il est au milieu de nous (Lc 17,21), mais nous pouvons ne pas le voir. Lors de son retour, en revanche, qui ressemblera à la tombée de l’éclair qui illumine l’horizon d’un bout à l’autre (Lc 17,24), son règne sera établi définitivement. D’ici là, il compte sur nous pour l’étendre, en faisant fructifier le germe qu’il a semé. Pour commencer, nous devons demander chaque jour au Père : « Que ton règne vienne » ! Mais la prière ne suffit pas. Nous devons être conscients que par notre baptême, nous sommes devenus rois avec le Christ. Nous pouvons exercer cette royauté dès ici-bas par la grâce qui nous unit à lui : « Si à cause d’un seul homme, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes ! » (Rm 5,17) Et nous pourrons l’exercer aussi dans la gloire : « Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. » (2Tm 2,12) En quoi consiste notre royauté ? Elle embrasse toutes les dimensions de notre vie : notre rapport à nous-mêmes, aux autres, et à la création.

 

En premier lieu, nous devons régner sur nous-mêmes. La maîtrise de soi est l’ultime fruit du Saint-Esprit (Ga 5,23). Comme le dit un proverbe espagnol, « ton plus grand ennemi, c’est toi-même ». Saint Jacques écrit : « D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas justement de tous ces désirs qui mènent leur combat en vous-mêmes ? » (Jc 4,1) L’homme est caractérisé par son intelligence et sa volonté, mais il est animé aussi par des passions qui gravitent autour du « concupiscible » (ce que nous désirons) et de « l’irascible » (ce que nous rejetons). Les passions sont bonnes, à condition qu’elles soient apprivoisées par les vertus, c’est-à-dire les forces que nous offrent notre intelligence et notre volonté. Parmi elles, 4 jouent un rôle charnière : la prudence, la tempérance, la force et la justice. C’est grâce à elles que nous pouvons véritablement régner sur nous-mêmes. En s’adressant à Caïn, Dieu compare le péché à une bête sauvage : « Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas ton visage ? Mais si tu n’agis pas bien, le péché est accroupi à ta porte. Il est à l’affût, mais tu dois le dominer. » (Gn 4,7) Malheureusement, Caïn n’a pas su se dominer et il a laissé sa colère et sa jalousie l’asservir. Le Christ, pour sa part, se dominait parfaitement. Après 40 jours au désert, il a refusé de transformer les pierres en pain pour assouvir sa faim. Et face à toutes les hostilités qu’il a dû affronter, il ne s’est jamais départi de son esprit d’amour. Même lorsqu’il a chassé les marchands du Temple, il l’a fait en se maîtrisant lui-même et pour les inviter à la conversion. Prenons aussi l’exemple de la petite Thérèse. Alors qu’elle était parfois agacée par les agissements de ses sœurs en religion, elle ne se laissait pas aller à la colère, elle redoublait de douceur et d’attentions pour elles. Prenons aussi l’exemple de saint Jean Bosco, qui s’occupa des jeunes de Turin qui vivaient dans la misère. Il disait : « Puisqu’ils sont nos enfants, éloignons toute colère, quand nous devons corriger leurs manquements, ou du moins modérons-la pour qu’elle semble tout à fait étouffée. Pas d’agitation dans notre cœur, pas de mépris dans nos regards, pas d’injures sur nos lèvres[i]. »

 

En second lieu, nous devons régner sur les autres. Mais ce règne ne ressemble pas à celui que tant de grands de ce monde exercent, ceux « qui commandent en maîtres et font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur.» (Mc 10,42) Régner avec le Christ, c’est servir. C’est nourrir l’affamé, désaltérer l’assoiffé, accueillir l’étranger, habiller celui qui est nu, visiter le malade et le prisonnier… A ces quelques exemples donnés par le Christ dans son ultime parabole, prononcée juste avant sa Passion comme son testament spirituel, l’Eglise en a ajouté d’autres, en les qualifiant d’œuvres de miséricorde. 2 sont corporelles (loger les pèlerins et ensevelir le morts) et 7 sont spirituelles : conseiller ceux qui doutent, enseigner ceux qui sont ignorants, réprimander les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes importunes et prier Dieu pour les vivants et pour les morts. Toutes ces œuvres de miséricorde répondent à la diversité des misères qui peuvent affecter un homme[ii]. Quant au Christ, tout ce qu’il a fait était destiné à nous servir :« le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mc 10,45) C’est pourquoi le lavement des pieds, que nous reproduisons chaque Jeudi Saint, donne le sens de sa mission et de la nôtre : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres[iii]. » (Jn 13,14) Le roi saint Louis l’illustre magnifiquement, lui qui mit son pouvoir au service de son peuple et alla jusqu’à nourrir les pauvres de ses mains et soigner les lépreux.

 

En troisième lieu, nous devons régner sur la création. C’est le premier commandement que Dieu nous a donné : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. » (Gn 1,28) Mais cette domination aurait dû être de l’ordre du service là encore, comme le fait bien comprendre le second récit de la création, complémentaire du premier : « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde. » (Gn 2,15) Il s’agissait de faire fructifier la terre et de garder les créatures, non de les asservir à nos désirs égoïstes. Malgré tout, aujourd’hui encore « la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. » (Rm 8,19-20). Le Christ a servi la création. Au désert, « il vivait parmi les bêtes sauvages » (Mc 1,13), une façon d’exprimer l’harmonie annoncée par les prophètes enfin réalisée en lui : « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. » (Is 11,6) Mais surtout, il a régné sur la création en accomplissant une multitude de signes sur elle : il a transformé l’eau en vin, commandé au vent et aux vagues, marché sur l’eau… Après Jésus, les saints ont également su se mettre au service de la création. Saint François a non seulement prêché aux oiseaux mais aussi « converti » un loup féroce en un « frère loup » doux et ami de tous les villageois.

 

Ainsi, frères et sœurs, nous avons un combat à mener avec le Christ face au prince de ce monde, afin que Dieu règne en nous, et non le péché dans notre corps mortel (Rm 6,12). Mais n’ayons pas peur, car le même Jésus l’a vaincu. Il a remporté une première victoire dans le désert, où il a été tenté pendant 40 jours. Il a ensuite remporté la victoire définitive sur la croix. C’est paradoxalement là que sa royauté devient la plus éclatante, comme les artistes du Moyen-âge l’avaient compris en représentant souvent le Crucifié avec une couronne. Soyons toujours unis à lui afin vaincre et de régner avec lui : « Le vainqueur, je lui donnerai de siéger avec moi sur mon Trône » (Ap 3,21) Seigneur, que son règne vienne !

P. Arnaud

[i] Et il ajoutait : « Dans les cas très graves, il vaut mieux vous recommander à Dieu, lui adresser un acte d’humilité, que de vous laisser aller à un ouragan de paroles qui ne font que du mal à ceux qui les entendent, et d’autre part ne procurent aucun profit à ceux qui les méritent. »

 

[ii] Même si les secondes sont plus « nobles » que les premières, parce que l’âme a plus de valeur que le corps, saint Thomas souligne que « mieux vaut nourrir qu’instruire celui qui meurt de faim ». C’est donc dans chaque situation concrète que nous devons juger c’est-à-dire discerner (action propre du roi) ce dont l’autre a le plus besoin. Le jeune roi Salomon l’avait bien compris, lui qui a demandé à Dieu, dans son songe à Gabaon : « Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal » (1R 3,9)

 

[iii] Une autre façon d’exprimer notre royauté par rapport aux autres, c’est de considérer que nous sommes des pasteurs : « La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. Celle qui est grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître selon le droit. » (1° lect.) Ainsi, à la question de Caïn (encore lui) à Dieu : « suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9), nous devons considérer que oui, nous sommes gardiens les uns des autres.