Recherchez l’unitéFrères et sœurs, qui est le Seigneur pour nous ? Un maître dont nous cherchons à nous émanciper, ou un Père à qui nous aimons faire plaisir ? L’évangile de ce dimanche nous présente ces deux attitudes à travers deux fils. Le premier refuse d’abord d’aller travailler à la vigne, mais s’étant repenti, il y va quand même. Le second, au contraire, accepte d’emblée d’aller à la vigne, mais il n’y va pas. Cet évangile va donc plus loin que celui de dimanche dernier. Jésus dit aux chefs des prêtres et aux anciens : non seulement vous jalousez les ouvriers de la onzième heure, qui viennent sur le tard travailler à ma vigne, mais êtes-vous sûrs de vraiment y travailler vous-mêmes ?  Etes-vous sûrs de mériter la pièce d’argent accordée à tous les ouvriers ? Parce que nous agissons parfois comme l’un des deux fils, et parfois comme l’autre, cherchons à mieux comprendre leurs attitudes. Puis nous nous permettrons d’ajouter un troisième fils à la parabole. Le premier fils, sans qu’on sache pourquoi, se convertit. Peut-être a-t-il été touché par l’attitude de son père, qui l’a laissé libre et ne lui a fait aucun reproche ? Toujours est-il qu’il s’est « repenti » (le terme revient 2 fois) et a décidé de lui obéir. Lorsque l’on va se confesser, le Seigneur est toujours prêt à nous pardonner, mais il y a une « condition » : le repentir, qui se manifeste dans la contrition. Quels que soient les péchés que nous avons commis, il nous est toujours possible de nous repentir. Le prophète Ezéchiel a dit : « si le méchant se détourne de sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu’il a ouvert les yeux, parce qu’il s’est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra. » (1° lect.)  Et sainte Thérèse d’Avila disait : « La sainteté, ce n’est pas de ne jamais chuter, c’est de toujours se relever ». Et la petite Thérèse a ajouté : « Si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance; je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent. » Nous ne devons donc jamais désespérer ni des autres, ni de nous-mêmes.Parmi les protagonistes des évangiles, souvenons-nous de Zachée, le publicain : après s’être repenti, il a fait don aux pauvres de la moitié de ses biens, et s’il avait fait du tort à quelqu’un, il lui a rendu quatre fois plus (cf Lc 19,8). Souvenons-nous aussi de Marie-Madeleine, la prostituée : après sa conversion, elle a suivi Jésus jusqu’au pied de la croix, et elle lui a consacrée toute sa vie. Souvenons-nous du bon larron, qui dit à Jésus dit sur la croix : «  souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne.» (Lc 23,42) Dans l’histoire de l’Eglise, souvenons-nous de Saul de Tarse, Augustin d’Hippone, François d’Assise, Charles de Foucauld, Jacques Fesch et tant d’autres… Il n’est jamais trop tard pour se convertir, et c’est au moment de notre mort que nous serons jugés. Voilà pourquoi nous demandons à Marie, dans l’Ave Maria : « priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ». Ce sont les deux moments les plus importants de nos vies.

 

Le deuxième fils, pour sa part, se détourne de son père. Son « oui » est soit hypocrite, soit inconsistant, mais il n’accomplit pas sa volonté. Il ne l’appelle pas « père », mais « Seigneur », ce qui manifeste son manque de confiance et d’intimité avec lui. Or, Jésus a dit : « Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur !’, pour entrer dans le Royaume des cieux ; mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux.» (Mt 7,21) Jésus n’a cessé d’appeler non seulement les chefs de son peuple à se convertir, déclarant à leur sujet : « Pratiquez donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. » (Mt 23,2‑3) Ils sont aveuglés et paralysés par leur orgueil, qui leur fait se croire supérieurs aux autres. Ils disent par exemple dans l’évangile de saint Jean : « Quant à cette foule qui ne sait rien de la Loi, ce sont des maudits ! » (Jn 7,49) Ils sont loin de ce que saint Paul demande aux Philippiens : « Ne soyez jamais intrigants ni vantards, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes » (2° lect.)[i].

D’où vient cet enfermement des autorités du peuple ? De leur manque de foi : « Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice, et vous n’avez pas cru à sa parole mais les publicains et les prostituées y ont cru. Tandis que vous, après avoir vu cela, vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole. » Sachant qu’on reconnaît un arbre à ses fruits, s’ils doutaient de Jean, la conversion de nombreux pécheurs aurait dû les faire évoluer. Or, l’homme ne peut devenir juste sans la foi. Souvenons-nous d’Abraham, le père des croyants : « Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. » (Gn 15,6) En refusant de croire, les chefs du peuple ne peuvent accomplir la volonté de Dieu et devenir des justes.

 

Imaginons maintenant un troisième fils, qui dirait toujours « oui » à son père, et qui accomplirait sa volonté de tout son cœur. Ce fils, c’est celui qui raconte la parabole, le Christ lui-même. De toute éternité, il accomplit la volonté de son Père, et c’est sa joie. « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » (Jn 4,34) A Gethsémani, il lui dit : « Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux. » (Mt 26,39) Il demande à ne pas souffrir, mais il place la volonté de son Père au-dessus de sa volonté propre, dans une confiance absolue. Saint Paul écrit dans l’hymne aux Philippiens : « Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix. » (2° lect.)

Grâce à cette attitude de confiance absolue en son Père (en ce sens, on peut parler de sa « foi »), Jésus est le véritable « frère universel » (titre que saint François, que nous fêterons dans 3 jours, a repris à son compte). Alors que les deux premiers frères semblent n’avoir aucune relation, ou peut-être vivent-ils dans l’hostilité comme Caïn et Abel et tant d’autres frères ennemis, l’amitié avec le Christ nous permet de vivre de la façon décrite par saint Paul : « encouragez-vous avec amour, soyez en communion dans l’Esprit, ayez de la tendresse et de la compassion, les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments, bref recherchez l’unité. » (2° lect.)

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur ne nous a pas appelés une fois pour toutes à travailler à sa vigne, Il renouvelle chaque jour son appel, afin de respecter et faire grandir notre liberté. Parfois, nous ressemblons au deuxième fils, nous n’accomplissons pas la volonté du Père. Parfois, nous ressemblons au premier fils, qui l’accomplit mais après avoir d’abord rechigné à la tâche. Cherchons à ressembler au moins à ce fils-là, et même au 3ème Fils, le Christ. Prenons exemple sur la petite Thérèse, dont c’est la fête aujourd’hui. Elle a dit « oui » au Père dès sa plus tendre enfance (« depuis l’âge de 3 ans, je ne lui ai rien refusé ») et elle a ensuite accompli sa volonté jour après jour, sans jamais se croire supérieure aux autres (« si Dieu ne m’avait soutenue, j’aurais été pire que Marie-Madeleine avant sa conversion »). Petite Thérèse, toi qui nous enseignes la voie de l’enfance spirituelle, prie pour nous afin de nous aider à collaborer de façon humble et fraternelle, dans l’unité, à la vigne du Père !

P. Arnaud

 

[i] Péguy écrivait : « On a vu les jeux incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n’a pas vu mouiller ce qui était verni, on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tremper ce qui était habitué… Les ‘honnêtes gens’ ne mouillent pas à la grâce. »