La vie en rose

Frères et sœurs, êtes-vous joyeux ? Aujourd’hui, dimanche de Gaudete (réjouissez-vous, en latin) l’Eglise nous invite à la joie. Non pas à une joie superficielle et passagère, mais à une joie profonde et durable. Pourquoi être joyeux, alors que tant de choses ne vont pas, dans nos vies et dans le monde ? Parce que le Fils de Dieu s’est incarné pour nous sauver de toutes nos misères et nous donner d’entrer dans son Royaume. Aujourd’hui, la liturgie met à nouveau en lumière le personnage de Jean Baptiste. Contrairement à l’image que certains ont de lui, Jean était un homme rempli de joie. Il le dit lui-même après avoir baptisé Jésus : « l’ami de l’époux se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. C’est ma joie, et j’en suis comblé. » (Jn 3,29) La joie de Jean vient de l’accomplissement de son désir, qui était de voir apparaître le Messie… Plusieurs mois plus tard, cependant, certains ont des doutes : Jésus est-il bien celui qu’on attendait ? Alors que Jean l’avait présenté comme un juge, qui allait nettoyer son aire à battre le blé, amasser le grain dans son grenier et brûler la paille dans un feu qui ne s’éteindrait pas, Jésus mange avec les publicains et les pécheurs, et ne cesse d’offrir son pardon… Pour faire disparaître les doutes qui assaillent ses disciples, et peut-être lui-même, Jean fait demander à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » La réponse de Jésus est de nature à chasser les doutes des disciples de Jean, et à renouveler la joie dans leurs cœurs. Le rose de la joie est composé du blanc de la pureté (qui nous permet de reconnaître l’action de Dieu autour de nous) et du rouge du martyre (fruit du don de soi). Aussi Jésus les appelle – et nous avec – à une double attitude : la reconnaissance, afin de rendre grâce au Seigneur pour tout ce qu’il fait pour nous et de nous ; la patience, forme de « martyre » quotidien, afin d’attendre la venue du royaume et de tenir bon dans les difficultés du présent. Il s’agit donc de le remercier pour le verre à moitié plein, et de supporter qu’il soit à moitié vide.

 

Premièrement, le Christ nous invite à la reconnaissance. Au double sens du mot : reconnaître ses bienfaits, qui sont comme des rayons de lumière dans nos vies parfois environnées de ténèbres ; et lui en rendre grâce. Nous pouvons d’abord être reconnaissants pour ce que le Seigneur fait pour nous. Jésus dit, en citant le prophète Isaïe: « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » Notons qu’il y a une gradation dans ces miracles accomplis par le Christ : après la guérison des maux du corps, vient la victoire sur la mort elle-même. Mais plus grand encore est le salut qui concerne notre âme, menacée par la « seconde mort », qui est la mort spirituelle : la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres, c’est-à-dire à tous ceux qui reconnaissent qu’ils ont besoin d’être sauvés.

Tous ces signes, le prophète Isaïe les avait annoncés comme révélateurs de la présence du Messie, comme la vengeance et la revanche de Dieu sur le mal (1° lect.) Certes, le Royaume ne sera établi définitivement que lors du retour du Christ, mais dès sa première venue, il a manifesté qu’il était plus fort que toutes les formes de mal. Ces mots de « vengeance » et de « revanche » sont forts, et résonnent dans notre monde où beaucoup croient qu’ils seront guéris du mal qu’ils ont subi en infligeant un autre mal à leur agresseur. Mais le Seigneur se venge du mal par le bien, et nous sommes invités à faire de même[i]. Tout autour de nous, la Bonne Nouvelle continue d’être annoncée, et elle produit du fruit. Des pécheurs se convertissent, des ennemis se réconcilient, des malades guérissent, des hommes et des femmes donnent leur vie pour Dieu et pour leurs semblables…

Par ailleurs, le Christ nous invite à reconnaître non seulement ce que Dieu fait pour nous, mais aussi ce qu’Il fait de nous, à savoir, par le baptême, ses fils et ses filles ! Il le fait par une nouvelle gradation, en mettant d’abord en lumière la gloire de Jean Baptiste. Cette gloire n’est pas visible à ceux qui ne voient que la superficie des choses, car il n’est pas un homme aux vêtements luxueux qui vivrait dans un palais royal. Il est un prophète et même bien plus qu’un prophète, car il est l’ultime messager qui a préparé les chemins du Sauveur. Aussi Jésus déclare solennellement : « Amen, je vous le dis : Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste ». Si Jean attirait tant les foules, ce n’était pas seulement par ses paroles, mais par son mode de vie et par tout son être.

Et cependant, ajoute Jésus, « le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. » Il y a entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance un saut qualitatif immense. Jean annonçait la venue du Messie, mais pas du Verbe fait chair, Dieu-avec-nous ! « Chrétien, reconnais ta dignité », s’écria saint Léon dans son sermon de la nuit de Noël. Par notre baptême, nous sommes devenus fils et filles de Dieu ! « Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce » (Jn 1,16) !

 

Deuxièmement, le Christ nous invite à la patience. Elle a un double sens : le sens courant est celui d’attendre un bien qui tarde à venir (en rigueur de terme, c’est la longanimité). L’autre sens est de supporter courageusement un mal que nous rencontrons. Nous chrétiens, nous devons d’abord attendre un bien qui tarde à venir, le Royaume que le prophète Isaïe nous a décrit dimanche dernier, et dont Jean et Jésus ont dit qu’il était « tout proche ». Mais en attendant que ce Royaume vienne, comme nous le demandons à chaque fois que nous prions le Notre Père, nous devons traverser toutes sortes d’épreuves.

Saint Jacques vient ainsi de nous exhorter : « Frères, en attendant la venue du Seigneur, ayez de la patience. Voyez le cultivateur : il attend les produits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la première et la dernière récoltes» (2° lect.). Jean est patient, il n’est pas « un roseau agité par le vent », qui changerait d’opinion au gré des évènements, comme le roi Hérode à qui il reproche d’avoir épousé la femme de son frère. Il vit dans l’attente du Royaume, et il supporte courageusement ses chaînes, et peut-être l’épreuve du doute, « la nuit de la foi » que tous les saints ont traversé d’une manière ou d’une autre. Mère Teresa, en particulier, a écrit plus de 40 lettres sur « l’obscurité », la « solitude » et la « torture » qu’elle a traversées pendant près de 70 ans de vie religieuse[ii]. Notre société ne nous aide pas, car elle nous pousse plutôt à l’impatience, tant elle a érigé un culte à la fois à la rapidité et au bien-être.

 

Ainsi, frères et sœurs, le Seigneur nous invite à une joie profonde. Certes, le mal perdure, et il nous fait souffrir parfois. Peut-être aussi sommes-nous parfois déçus du Seigneur, qui ne répond pas toujours à nos attentes et à nos prières. Mais le Christ nous dit, comme à Jean Baptiste et à ses disciples : « Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! » Pour ne pas tomber, il nous appelle à une double attitude : la reconnaissance pour discerner les signes par milliers de sa présence autour de nous et pour lui rendre grâce d’avoir fait de nous ses fils et ses filles; et la patience, pour supporter les épreuves jusqu’à ce qu’il revienne. Avec le blanc de la reconnaissance et le rouge de la patience, voyons la vie en rose, et soyons des témoins de la joie du Seigneur, qui a pris sa revanche sur le mal. Pendant les fêtes de Noël, à quelle personne triste vais-je offrir le cadeau de la joie ?

P. Arnaud

[i] « Ne rendez à personne le mal pour le mal, appliquez-vous à bien agir aux yeux de tous les hommes. Autant que possible, pour ce qui dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes. Bien-aimés, ne vous faites pas justice vous-mêmes, mais laissez agir la colère de Dieu. Car l’Écriture dit : C’est à moi de faire justice, c’est moi qui rendrai à chacun ce qui lui revient, dit le Seigneur. Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire : en agissant ainsi, tu entasseras sur sa tête des charbons ardents. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. » (Rm 12,17-21)

[ii] « Où est ma foi – tout au fond de moi, où il n’y a rien d’autre que le vide et l’obscurité – mon Dieu, que cette souffrance inconnue est douloureuse, je n’ai pas la foi », écrit-elle dans une lettre non datée adressée à Jésus.