« Si tu le veux, tu peux me purifier »
Frères et sœurs, voulons-nous être purifiés ? Si la lèpre est une maladie terrible, qui touche encore environ 200 000 personnes chaque année dans le monde, elle symbolise la maladie la plus grave, qui nous concerne tous : le péché. Comme la lèpre détruit et défigure les corps, le péché détruit et défigure les âmes. Comme la lèpre rend insensible et ouvre ainsi à tous les dangers, le péché endort la conscience et réduit la capacité de résistance au mal. Comme une petite blessure de lépreux dégénère vite en ulcère, les petits péchés en engendrent de plus grands. La Bonne Nouvelle est que, comme le remède existe aujourd’hui pour la maladie, le Christ est venu nous apporter le remède contre le péché. Mais comme les antibiotiques qui nécessitent d’être pris jusqu’au bout de la prescription, nous devons aller jusqu’au bout dans le cheminement proposé par le Christ. Il nous faut faire preuve d’abord d’une foi audacieuse, et ensuite d’obéissance.
Pour commencer, admirons la foi audacieuse du lépreux. Il est atteint du mal le plus terrible pour l’époque. Le livre du Lévitique lui consacre 2 chapitres entiers : « Le lépreux portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : “Impur ! Impur !” » (1° lect.)[i]. Aussi, le lépreux souffre d’une exclusion totale. Non seulement il souffre physiquement, puisque sa chair se décompose, mais en plus il est exclu de la communauté des hommes et il ne peut pas participer au culte divin à la synagogue. Pire encore, sa maladie est considérée comme une punition du Seigneur[ii]. Aussi, le lépreux peut se sentir abandonné à la fois des hommes mais aussi de Dieu. En venant trouver Jésus, il brave l’interdit de la Loi et il sait que Jésus devrait le repousser. Mais son audace jaillit d’une foi profonde : il tombe aux genoux de Jésus parce qu’il a reconnu en lui son Seigneur qu’il « supplie » : « Si tu le veux, tu peux me purifier. »
Admirons maintenant la miséricorde de Jésus. Pour obéir à la Loi, il aurait dû repousser le lépreux. Mais il est audacieux, lui aussi, car il est « saisi de pitié » : en grec, l’expression signifie qu’il est pris aux entrailles, comme une mère vis à vis de son enfant parti au loin (Is 49,15)[iii]. Jésus souffre de toutes nos souffrances, il refuse toutes nos exclusions. C’est pourquoi il étend la main et le touche : « Je le veux, sois purifié. » Et au lieu que ce soit Jésus qui contracte la maladie, c’est le lépreux qui est guéri. C’est la vie qui a été la plus forte, la plus contagieuse.
On constate donc une évolution entre l’ancien et le nouveau testaments. Là où le premier excluait pour protéger la communauté, le second cherche à inclure pour le salut de la personne. Ce sera l’un des plus grands reproches des pharisiens (étymologiquement les « séparés ») vis-à-vis de Jésus : il mange avec les pécheurs ! Après lui, saint Paul a fait de même : « En toute circonstance, je tâche de m’adapter à tout le monde, sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés. » (2° lect.) Il avait écrit un peu plus tôt aux mêmes Corinthiens : « Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. » ((1Co 9,22) Mais le passage de l’ancien au nouveau testament n’est jamais achevé. Dans les premiers temps de l’Eglise, un certain nombre de professions étaient exclues du baptême (les soldats par exemple) et on a refusé pendant longtemps aux comédiens le droit à des funérailles chrétiennes. Mais attention, la voie est étroite entre l’accueil du pécheur et le rejet du péché, comme le manifestent les débats actuels qui ont suivi la parution de Fiducia Supplicans. L’Eglise doit être accueillante à tous, mais ne peut cautionner ce que Dieu interdit. De même, le chrétien doit être accueillant à tous, mais sans oublier qu’il n’est pas le Christ et que lui-même est pécheur et doit prendre en compte ses propres fragilités.
Après Jésus, plusieurs saints ont fait preuve de la même miséricorde vis-à-vis des lépreux. François d’Assise fut l’un d’entre eux. De même, Damien n’eut pas peur d’aller s’occuper des lépreux d’Honolulu qui étaient parqués dans l’île de Molokai. Alors qu’ils vivaient comme des bêtes sauvages, il les aida à rétablir leur dignité d’hommes, avec une vie à la fois sociale et religieuse. Il contracta lui-même la maladie, et dut en souffrir jusqu’à sa mort 4 ans plus tard en 1889, à l’âge de 49 ans.
Grâce à sa foi audacieuse, et surtout grâce à la miséricorde du Christ, le lépreux de l’évangile a été guéri de sa lèpre. Mais a-t-il été guéri du péché ? Il semble que non, car il a refusé la seconde étape de la guérison, qui passe par l’obéissance au Seigneur. En effet, Jésus le renvoya avec fermeté, en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre ». La Bible de Jérusalem traduit même : « le rudoyant, il le chassa aussitôt » et la TOB : « s’irritant contre lui, il le renvoya aussitôt » … D’où vient l’irritation de Jésus, qui le pousse à rudoyer ce lépreux ? Lui qui connaît le cœur de l’homme (Jn 2,25) sait que cet homme risque de lui désobéir. Il sait que ses miracles vont être mal interprétés, et qu’il sera considéré par les gens comme un guérisseur et comme un messie glorieux, et non comme le serviteur souffrant qui va se révéler petit à petit. Jésus ajoute : « Et donne pour ta purification ce que Moïse prescrit dans la Loi : ta guérison sera pour les gens un témoignage. » D’une part, il s’inscrit là dans la loi de Moïse, montrant qu’il n’est pas venu pour l’abolir, mais pour l’accomplir (Mt 5,17). D’autre part, il envoie un message aux prêtres, seuls habilités à réintégrer les lépreux dans la société : seul le messie était annoncé comme capable de purifier les lépreux[iv].
Malgré l’interdiction de Jésus, l’homme guéri « se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte qu’il n’était plus possible à Jésus d’entrer ouvertement dans une ville. Il était obligé d’éviter les lieux habités, mais de partout on venait à lui. » Finalement, ce n’est plus le lépreux qui doit vivre à l’écart, c’est Jésus lui-même. Cela signifie que le second a pris sur lui le péché du premier. C’est ce que Jean Baptiste avait déclaré en voyant Jésus venir à lui : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), et c’est ce que nous redisons lors de chaque eucharistie. Le Christ enlève nos péchés en les prenant sur lui[v]. Pour le moment, Jésus est un personnage si populaire que les foules viennent à lui de partout mais plus tard, il sera humilié comme les lépreux, sa chair sera déchirée par la flagellation et il sera crucifié en dehors de la ville…
Cet événement nous rappelle l’importance de l’obéissance, qui vaut mieux que tous les sacrifices. L’acte du lépreux peut sembler bon à première vue, puisque le Seigneur lui-même nous appelle parfois à proclamer ses haut-faits. Mais il y a un temps pour tout (Qo 3,1-14) et, en l’occurrence, il était trop tôt pour cette proclamation. Le roi Saül fut destitué parce qu’il préféra offrir des sacrifices que d’obéir à Dieu (1S 15).
Alors, frères et sœurs, voulons-nous être guéris de la lèpre du péché ? Pendant le Carême qui approche, pourquoi ne pas redire chaque jour, avec une confiance audacieuse : « Si tu le veux, tu peux me purifier » ? Laissons-le nous toucher lors de chaque sacrement, en particulier l’eucharistie et la réconciliation. Mais après ces moments de grâce, acceptons de lui obéir en toute circonstance, même et surtout lorsque nous sommes portés à ne pas le faire[vi]. C’est ainsi qu’il nous purifiera entièrement, et nous pourrons alors goûter la béatitude : « heureux les cœurs purs, ils verront Dieu » !
P. Arnaud
[i] Les mots « purifier » et « purification » reviennent 4 fois dans l’évangile aussi. La pureté, à laquelle les Pharisiens sont très sensibles, est une condition sine qua non pour entrer en relation avec Dieu.
[ii] C’est ainsi que Myriam, la sœur de Moïse, était devenue lépreuse après avoir jalousé son frère. De même Guéhazi, le serviteur d’Elisée devint lépreux à cause de sa cupidité (2 R 5,27).
[iii] Ou encore comme le père qui voit revenir son enfant prodigue (Lc 15,20).
[iv] C’est pourquoi Jésus pourra dire aux envoyés de Jean, qui demande s’il est bien le messie : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés … » (Lc 7,22) Il pourra dire aussi au moment du dernier repas : « Si je n’étais pas venu, si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas eu de péché, mais à présent leur péché est sans excuse. » (Jn 15,22)
[v] Saint Paul put ainsi écrire : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu. » (2 Co 5,21)
[vi] Samuel avait dit à Saul, qui avait désobéi à Dieu pour faire un immense sacrifice : « l’obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité vaut mieux que la graisse des béliers » (1S 15,22).