Libres comme des enfants de Dieu

Frères et sœurs, sommes-nous libres ? Un regard humble et lucide sur nous-mêmes nous permet de prendre conscience que nous ne le sommes pas toujours. Parfois, « ma façon d’agir, je ne la comprends pas, car ce que je voudrais, cela, je ne le réalise pas ; mais ce que je déteste, c’est cela que je fais » (Rm 7,15). Pourquoi ce constat amer ? Parce que nous nous laissons parfois asservir : par notre haine, par nos désirs impurs, par nos mensonges… Dans le désert du Sinaï, Dieu a commencé par libérer son peuple du joug des égyptiens. Ensuite, Il a voulu le libérer d’un second joug beaucoup plus lourd à porter, celui du péché. Dans ce but, Il lui a donné la loi ancienne, centrée sur les 10 commandements. Certes, cette loi était bonne, mais elle n’était pas définitive : elle était destinée à donner un commencement de liberté. La liberté plénière, seul le Christ peut nous la donner, car il est l’homme libre par excellence. « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens… Eh bien ! moi, je vous dis » : par ces mots, il signifie que sa parole est divine. En montant sur la montagne près du lac de Galilée, il a donné aux disciples une loi nouvelle, centrée sur les béatitudes. Ce faisant, il n’a pas aboli la loi de Moïse : « je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » Cet accomplissement, qui est celui de la loi mais aussi le nôtre si nous l’acceptons, exige une transformation radicale de notre cœur. Elle n’est possible que si nous laissons l’Esprit Saint nous guider. « La vie et la mort sont proposées aux hommes » (1° lect.) mais l’Esprit nous permet de faire les bons choix, ceux de la Sagesse qui est source de vie. Cette Sagesse n’est pas celle de « ceux qui dirigent ce monde » mais celle « du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, établie par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire… Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, en a fait la révélation. » (2° lect.) Où nous conduisent le Christ et l’Esprit ? A la place de notre mépris ou haine de l’autre, ils nous invitent à l’amour fraternel. A la place de notre concupiscence, ils nous invitent à la pureté. A la place de nos mensonges, ils nous invitent à la vérité. Méditons sur ces 3 sources de liberté, éclairés par les paroles et les exemples du Christ mais aussi de saint Jean-Paul II, qui fut un excellent professeur de morale.

 

Pour commencer, l’homme est parfois esclave de son mépris ou de sa haine des autres. Alors que le 5ème commandement interdisait le meurtre, Jésus va jusqu’à la racine du mal : il interdit de se mettre en colère, d’insulter et de maudire. Plus encore : il ne s’agit pas seulement d’être en règle par rapport à la Loi, ancienne ou nouvelle, il s’agit de vivre en frères. Aussi, ajoute Jésus, « lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande ». Même si je n’ai rien à me reprocher, si mon frère a quelque chose contre moi, je vais aller me réconcilier avec lui. Alors que le diable est parfois appelé l’Accusateur dans la Bible, l’Esprit Saint nous invite à pardonner. Un jour, le pape Jean-Paul II avait dit : « pas de paix sans justice, et pas de justice sans pardon ». La fraternité est à ce prix, dans le couple, dans la famille, dans la société. Et soyons lucides : parce qu’il nous arrive à tous d’enfreindre la Loi de Dieu, nous avons tous besoin d’être pardonnés, à un moment ou un autre.

 

Ensuite, l’homme est parfois esclave de sa concupiscence, de son désir de l’autre. Cet esclavage, dans certaines situations, peut aller jusqu’à l’adultère, mettant en danger les familles, bases de la société. Alors que le 6ème commandement interdisait l’adultère, Jésus va à nouveau jusqu’à la racine du mal : il interdit le mauvais regard. Pour éviter les tentations-mêmes, Jésus ajoute : « Si ton œil droit ou ta main droite entraînent ta chute, arrache-les et jette-les loin de toi : car c’est ton intérêt de perdre un de tes membres, et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne ». Certes, cette exhortation n’est pas à prendre au premier degré, comme Origène qui s’était châtré après l’avoir lu. Cependant, elle doit susciter en nous une grande vigilance, particulièrement dans notre société qui nous matraque d’images érotiques ou pornographiques. La meilleure protection est le « jeûne du regard », auquel le pape Jean-Paul II avait exhorté tous les chrétiens.

 

Troisièmement, l’homme est parfois esclave de ses mensonges. Alors que le 8ème commandement interdisait le faux serment, Jésus interdit tout serment. Pourquoi ? Parce que toute parole doit être vraie et pouvoir inspirer confiance : « Quand vous dites ‘oui’, que ce soit un ‘oui’, quand vous dites ‘non’, que ce soit un ‘non’. Tout ce qui est en plus vient du Mauvais. » Le serpent de la Genèse a su tromper Eve par des paroles mensongères. Aujourd’hui encore, notre société nous invite à la défiance. Plutôt que de faire confiance aux paroles de l’autre, on préfère rédiger des contrats avec de multiples alinéas pour être sûrs de ne pas se faire tromper. Nous avons ainsi fragilisé une autre base de notre société, qui ne peut bien fonctionner que sur la confiance. Ce n’est plus seulement la Parole de Dieu qui est remise en question, c’est la Parole tout court. Or les parents savent à quel point il est essentiel que leurs enfants puissent leur faire confiance et se fier à leurs paroles pour pouvoir grandir. Ils doivent « tenir parole ». Le mensonge peut tuer, comme la tragédie de Racine, Phèdre, le met crûment en lumière. Le pape Jean-Paul II, qui avait connu le nazisme puis le communisme, savait à quel point le mensonge faisait partie intégrante de ces systèmes totalitaires.

 

Ainsi, frères et sœurs, la Loi nouvelle de l’évangile, qui resplendit particulièrement dans les Béatitudes, est source de liberté. En les vivant parfaitement, le Christ s’est révélé comme l’Homme libre par excellence. Il n’a pas méprisé ou haï aucun de ses frères : sur la croix, il a dit : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font.» (Lc 23,34) Il n’a pas eu de désir impur sur les femmes : il les a regardées comme ses sœurs, filles de Dieu comme lui. Il n’a pas eu une parole double : même au moment de sa Passion, il n’a pas renié ce qu’il avait déclaré au grand nombre auparavant. C’est ainsi qu’il n’a pas aboli mais accompli la Loi de Moïse. Bien qu’il ait été soumis aux multiples lois de la vie humaine, et qu’il ait été tenté comme nous, il n’a pas péché. Il nous montre ainsi que paradoxalement, plus nous sommes serviteurs – on pourrait même dire esclaves – du Seigneur, comme lui-même a été soumis (amoureusement) à son Père, plus nous sommes libres. Parce que nous ne sommes plus alors soumis aux mauvais désirs, nous sommes capables d’accomplir le bien et ainsi de nous accomplir nous-mêmes. La 3ème partie du Catéchisme de l’Eglise Catholique, qui traite de la morale à partir des 10 commandements, creuse chacun à la manière du Christ, et montre ses implications profondes. Ce n’est que si nous acceptons de vivre dans cet Esprit de Sagesse que nous goûterons la vraie liberté. La radicalité que le Christ nous propose est attrayante, beaucoup plus que celle que les terroristes recherchent pour fuir notre société qu’ils haïssent, en partie à raison, parce qu’elle asservit l’homme à ses plus bas instincts : la violence, la pornographie, la consommation effrénée… Les réseaux sociaux servent à beaucoup aujourd’hui à insulter ou calomnier autrui, à assouvir leurs pulsions malsaines et à répandre des fake news. Ceux qui croient être libres d’agir ainsi parce qu’ils sont protégés par l’anonymat de leur écran se trompent. Sommes-nous prêts à choisir une autre voie ? « Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. » (1° lect.). Choisissons la vie et marchons sur le chemin des béatitudes. C’est ainsi que nous goûterons toujours plus la liberté des enfants de Dieu (Rm 8,21).

P. Arnaud